26 décembre 2016

Vers un futur réseau de surveillance des îles volcaniques isolées?

Très concrètement il est impossible encore à l'heure actuelle d'avoir une vision claire du nombre d'éruptions qui se produisent réellement chaque année sur Terre, et ce pour plusieurs raisons. La première est simple: la majeure partie des zones volcaniques actives sont au fond des océans et leurs éruptions passent tout simplement inaperçues. Ce fut le cas récemment avec la découverte d'un radeau de ponces, observé par avion et sur quelques image satellites à l'ouest de l'archipel des îles Tonga-Kermadec. A défaut de pourvoir retracer
sa trajectoire dans les jours qui ont précédé son observation, les volcanologues ont conclu, mais sans certitude, qu'un volcan sous-marin, appelé Monowai, pouvait en être la source.

L'autre raison est tout aussi logique: pour des volcans émergés mais situés en plein océan, les observations directes sont rares. De temps en temps, par chance, des navires peuvent croiser au large de l'une de ces île-volcans et constater qu'une éruption est en cours (l'exemple du Zavodovski cette année est une bonne illustration) et une météo clémente permet même parfois de bien observer ce qu'il se passe. Mais à part quelques exceptions, combien d'éruptions, faibles à modérées, passent inaperçue chaque année? Pour certaines, les données satellites permettent parfois de voir, un peu plus tard, que "quelque chose" s'est déroulé, mais elles ne sont jamais précises au point d'avoir les détails de l'éruption. Cette année encore a fournit un exemple concret de cette situation, avec une éruption sur Heard Island qui a eu lieu au cours de l'été, mais a été repérée uniquement en octobre.

Comment faire alors pour surveiller ces édifices? Et d'ailleurs, une question plus importante encore mérite d'être posée avance ça: pourquoi surveiller des volcans isolés et/ou sous-marins? C'est vrai quoi: personne n'habite à proximité!
La réponse tient peut-être en seul mot: tsunami. Car si en l'absence de populations humaines proches un volcan isolé ne génère pas de risques directs (par définition*), il faut d'abord penser que dans notre société mondialisée, plus de 60 % de la population totale vit dans ce que l'on appelle "la grande zone côtière", soit à moins de 150km d'une côte. Et une partie de cette population se trouve donc sur le littoral stricto sensu et est de facto exposée au risque de tsunami.

Mais quel lien avec les volcans isolés, me demanderez-vous?

Le voilà: lors d'éruption de grande ampleur, ou même parfois en l'absence d'éruptions, les volcans, structures plus fragiles qu'on ne l'imagine, peuvent subir une déstabilisation à même de faire s'effondrer un volume important de roches. Ces glissements de terrains gigantesques ont déjà des conséquences importantes lorsqu'ils se produisent sur la terre ferme, mais si cela se produit dans les eaux océaniques les vagues formées, rarissimes mais gigantesques, sont à même de traverser les océans, jusqu'aux zones côtières, habitées. Voilà un risque, indirect certes, mais bien réèl et pour l'heure encore assez mal quantifié, même si de nombreux travaux sur le sujet ont été et sont encore menés.

Donc comment surveiller ce qu'il se passe sur ces îles-volcans? Une équipe Japonaise a développé un système, pour l'heure à petite échelle, qui pourrait être la première pierre d'un réseau plus vaste de surveillance.

Le Japon, comme chacun le sait, est un archipel constitué de 3 îles principales, Honshu, Shikoku et Kyushu, et d'une myriade de petites îles, d'origine essentiellement volcaniques (mais pas que). Les plus éloignées se trouvent très loin des centres urbains Japonais, en plein océan Pacifique, l’extrémité du territoire Nippon dans le Pacifique étant le volcan Nikko, à plus de 1400 km de Tokyo

Or, puisque ces îles-volcans sont éloignées et pourtant très actives pour certaines, il est nécessaire de surveiller ce qu'il s'y passe, l'idéal étant de ne pas être obligé d'envoyer les gardes-côtes régulièrement, opération dont le coût est élevé. L'équipe de chercheurs, venus des Universités de Kobe et Tokyo et du JAMSTEC (Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology) a mis au point un prototype d'appareil de surveillance "multicapteur" autonome, capable de recevoir et transmettre des signaux produits par l'activité d'un volcan. Les tests ont été effectués lors de deux missions différentes, l'une en 2015 et l'autre en octobre 2016 au Nishinoshima, qui a connu une éruption longue, entre novembre 2013 et novembre 2015.




Le principe est simple: un flotteur, sorte de planche sans voile, est équipé de divers appareils de surveillance et de mesure, telle qu'une webcam, d'un GPS,  une antenne de transmission, un microphone pour enregistrer les ondes de chocs produites par les explosions, et un capteur capable de détecter les secousses sismiques via leur transmission dans l'eau. Pour assurer l'autonomie en énergie, ce flotteur est rattaché via un cordon à un "planeur" sous-marin équipé d'une série d'ailes mobiles. Lorsque le flotteur est balloté par les vagues, il monte et descend, ce qui entraine aussi le planeur sous -marin. Ses ailes pivotent autour d'un axe au cours de ces mouvements de montée/descente, or qui dit mouvement dit "énergie mécanique", qui est transformée en énergie électrique par le planeur. L'électricité est alors envoyée via le coron aux appareils de mesure sur le flotteur.
Bref ce système est alimenté par l'énergie des vagues, autrement dit par une ressource inépuisable et qui ne produit aucun déchet.

Le système de surveillance volcanique marin autonome. Image: JAMSTEC

Lors du test effectué en février-mars 2015, les chercheurs avaient validé une première série de test des appareils de mesure ainsi que de tests de l'appareil en charge de la transmission satellite des données jusqu'à Tokyo. L'activité éruptive battait encore son plein à ce moment-là ce qui  avait permis non seulement de faire les tests en condition réelle, mais même permis de repérer les microtsunamis générés par des effondrements de bout de coulées de lave.
J'avais expliqué ce risque de tsunami au Nishinoshima dans un post publié en août 2014.  C'est aussi lors de cette séance d’essai qu'à été installé, par 2200m de fond et à environ 12 km de l'île, le  VTM (Vector TsunaMeter) dont le rôle est de détecter le passage d'un tsunami via les variations de pression et de champ éléctromagnétique qu'il génère dans la colonne d'eau.

Lors de la seconde mission de test en octobre 2016, l'ensemble des appareils testés avaient été regroupés sur le flotteur et accroché au planeur sous-marin. Le volcan n'était alors plus en éruption depuis près d'un an, mais l'objectif était surtout de tester les capacités de réception, de transmission et d'autonomie en énergie de cette station marine mobile de surveillance volcanique. Il s'agissait aussi de vérifier que la station respectait bien la trajectoire programmée, car elle devait tourner progressivement autour de l'île, guidée par le GPS.

Schéma du système global installé et testé en 2015 et 2016. Image: Université de Kobe

Les tests se sont révélés très concluants mais il faudra aux chercheurs trouver des solutions pour permettre la transmission à distance des données avec un plus grand débit. Car pour l'heure la transmission en direct des images des webcams (4 différentes permettant une vision à 360°) est impossible, lorsqu'elle s'effectue simultanément avec celle des données des autres capteurs. Les chercheurs essayerons d'améliorer la communication entre la station mobile et le VTM fixé au fond marin, afin de pouvoir transmettre directement les données relatives au passage de tsunamis, et ainsi mettre en place d'éventuels moyens d'alerte pour les côtes, plusieurs heures avant l'arrivée d'une potentielle vague sur les côtes Japonaises.

On peut dès lors rêver d'un véritable réseau de ce type d'appareils pour les pays possédant des îles volcaniques éloignées, sur lesquelles il n'y a que peu ou pas de populations, mais qui génèrent des risques indirects. Il compléterait le réseau terrestre et donnerait probablement plus d'informations concernant les activités éruptives sous-marines des archipels volcaniques. ces derniers ont généralement constitué d'édifices dont une partie n'est pas encore émergée, et qui sont donc difficiles à surveiller.

Source: Université de Kobe, via phys.org

* la définition d'un risque, naturel ou non, se définit comme la conjonction, dans une zone géographique donnée, de la probable survenue d'un aléa (= phénomène) et de la présence d'une population dans la zone d'influence de cet aléa, le tout pondéré par un facteur plus ou moins aggravant appelé "vulnérabilité".
Donc Risque = Aléa x Présence humaine x vulnérabilité: s'il n'y pas de population, le risque est  nul.; s'il y a une forte population mais une absence d'aléa, le risque est aussi nul.

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