Le volcanisme est un phénomène géologique complexe qui a longtemps été l'apanage de la planète Terre. Les découvertes d'un volcanisme sur Mars (éteint), sur Vénus (actif), Io (actif) et d'autres corps du système solaire permet de constater que ce que l'on appèle volcanisme peut se produire avec des matériaux initialement divers (pas uniquement des silicates fondus) et dans des conditions de pression et température très variées.
Et il se pourrait qu'Ahuna Mons, un relief récemment découvert à la surface de Cérès, le plus gros astéroïde de la ceinture d'astéroïdes (entre Mars et Jupiter) et considéré même comme un planétoïde, ne viennent encore étendre le champ des caractéristiques de ce que l'on définit comme étant du "volcanisme".
Au départ le volcanisme est entendu comme étant le résultat d'un ou plusieurs phénomènes géologiques qui:
- permet(tent) à un matériau initialement solide et situé à l'intérieur d'un astre, d'entrer en fusion
- permet(tent) au matériau fondu de remonter vers la surface et, parfois, de créer des zones de sockage ("chambre magmatique")
- permet(tent) à ce matériau fondu d'être émis à la surface pour fabriquer un relief, alors appelé "volcan".
Ce qui est très important, c'est de garder à l’esprit que le volcanisme est un témoin de ce qui se passe à l'intérieur des astres qui en portent la trace à leur surface.
Sur Terre, pour le moment, le volcanisme est définit sur la base de la fusion d'une roche silicatée située dans ce qu'on appelle le manteau supérieur, et parfois aussi dans certaines portions de la croûte continentale, dont la composition est, grosso modo, celle du granite. Il est donc intéressant de constater qu’existent, ailleurs dans le système solaire, des reliefs dont la morphologie correspond à celle des volcans terrestres: cela indique que des mécanismes géologique complexes peuvent y être à l’œuvre, ou l'on été par le passé.
Quid de Cérès?
La taille de cet astre, d'un diamètre de 950 km seulement, a longtemps été un frein pour considérer qu'une quelconque activité géologique puisse y avoir lieu. En effet créer un relief sur un astre, quel qu'il soit, demande une énergie mécanique qui, la plupart du temps, provient d'une source d'énergie interne (radioactivité, changement d'état*) ou externe (déformations mécaniques intenses/effets de marée) à cet astre.
Or Cérès s'est formé il y a plus de 4 milliards d'années et, vue sa taille, doit être refroidi depuis longtemps. Toutefois la sonde Dawn, qui a été envoyée dans l’espace il y a presque une decennie maintenant, et est actuellement en orbite autour de Cérès, a pu mesurer la topographie de la surface du planétoïde. Ces mesures ont révélé en 2015 la présence d'un relief atypique à sa surface, appelé Ahuna Mons. Il s'agit d'une bosse aplatie, haute de 4500 m par rapport aux terrains qui l'entourent, longue de 21 km et large de 13 km.
Pour l'heure aucun autre relief de ce type n'a été identifié à la surface de Cérès et, de fait, sa présence nécessite une explication.
Ahuna Mons. Image: NASA/JPL/Dawn mission |
Comment faire lorsqu'on doit étudier un relief situé à plusieurs centaines de millions de kilomètres du soleil?
La seule source d’information disponible est la morphologie même du relief étudié, qui peut renfermer des indices pouvant permettre d'éclairer en partie les mécanismes qui l'ont formé.
C'est ce qu'ont fait Ottaviano Ruesch et ses collaborateurs du NASA Goddard Space Flight Center, aidés d'autres scientifiques Américains et Allemands, qui ont épluché les détails de la morphologie d'Ahuna Mons et en ont tiré un article paru le 02 septembre dans la revue Science.
A quoi ressemble Ahuna Mons?
Il se présente sous la forme d'une bosse dont le sommet est aplatie, légèrement concave. Ses versants, plutôt lisses, sont assez raides et réguliers avec une pente à 35° environ et sont striés de lignes alternativement claires et sombres, qui descendent la pente.
La zone sommitale, à contrario des versants, présente une surface plus chaotique avec des creux de forme linéaire et quelques orifices circulaires. En observant les alentours du relief, les scientifiques ont pu constater qu'il se situe au sommet d'une plus vaste zone légèrement en relief .
Les différentes caractéristiques d'Ahuna Mons ont été comparées avec celles d'autres reliefs du système solaire, tant Terrestres que Martiens. Et les seuls qui correspondent sont les dômes de lave, masses de lave à très haute viscosité, lentement extrudées à la surface pendant certaines éruptions. Le communiqué de la NASA qui explicite cette découverte fait d'ailleurs un rapprochement assez impressionnant entre la morphologie d'Ahuna Mons et le dôme actif du Sheveluch**.
Un ressemblance troublante entre Ahuna Mons à gauche et le dôme actif du Sheveluch (Molodoy Shiveluch). Image: NASA Goddar SFC |
Sur Terre, un dôme (activité éruptive dite "extrusive") se forme par l'émission d'une lave de très haute viscosité qui, au moment de son émission, s'accumule sur place, formant une sorte de "boule". Sa surface se refroidit au contact de l'air ambiant et forme une carapace solide qui entoure la masse à haute température, plus plastique. L'alimentation en lave fait croitre le dôme, ce qui a pour effet d'étirer et de fragmenter la carapace avec, à la clé, des blocs qui s'en détachent fréquemment au cours de sa croissance. Ils descendent les flancs de manière isolée ou sous la forme d'avalanches, voir d'écoulements pyroclastiques, et forment un important talus de débris qui entoure la masse ductile du dôme.
Pendant leur descente ces blocs se fragmentent et une partie est réduite à l'état de poussière plus fine (cendres). Vu de l'extérieur, la masse ductile du dôme semble alors émerger du talus de débris constitues de l'accumulation de cendres et blocs. La carapace du dôme peut en outre, être ouverte par des fractures dues à l'étirement de la carapace, ou même par des cratères dus à des explosions.
Toutes ces caractéristiques sont résumées dans cette très belle image du dôme de l'Unzen en 1991 (éruption qui coûta la vie au couple Krafft).
De cette croissance il résulte deux choses:
- la carapace fracturée du dôme a un aspect plutôt chaotique. Le seul endroit d'où on peut l'apercevoir est la partie qui n'est pas cachée par le talus de débris, donc au sommet.
- le talus de débris a un aspect moins "tourmenté", car il contient une fraction non négligeable de cendres, qui lui confèrent une texture plus lisse. Par ailleur les blocs qui se détachent laissent dans leur sillage une trainée dans le sens de la pente, similaire aux traits sombres et clairs visibles dans les pente d'Ahuna Mons.
Bref: les caractéristiques visuelles et morphologique correspondent bien à ce qui a été décrit pour Ahuna Mons et, n'ayant pu trouver aucune autre morphologie connue qui pourrait expliquer la sienne, les spécialistes en concluent donc que l'explication la plus probable est qu'il s'agit bien un volcan de type "dôme"...mais d'un genre particulier.
La constitution d'Ahuna Mons
Car il n'est pas possible, vu la taille de Cérès, qu'un matériau silicaté puisse se trouver à l'état de fusion ("magma" au sens terrestre du terme) et fasse éruption ("lave") pour former un volcan, comme c'est le cas sur Terre.
Alors, même si le mécanisme de formation d'Ahuna Mons est similaire à ceux qui forment les dômes volcaniques Terrestres, de quel matériau est-il fait? Pour le savoir, il faut déjà avoir une iodée de quoi est fait Cérès lui-même, forcément.
L'analyse des données récoltées par les différents instruments embarqués sur la sonde Dawn, ainsi que l'analyse fine de l'orbite de cette dernière autour de Cérès, ont permis à diverses équipe de conclure que le planétoïde est, très probablement, constitué d'un noyau rocheux entouré d'une masse de glaces, parmi lesquelles la glace d'eau semble être en bonne proportion. La glace est constituée d'un mélange salé et boueux (décrit comme tel par les spécialistes qui étudient Cérès), chargé en particules silicatées du groupe des Phyllosilicates (sur Terre on y trouve les différentes argiles, les Micas, les Chlorites, le Talc etc.).
Ahuna Mons serait donc constitué de l'extrusion d'une masse de boue salée solidifiée qui, à la manière des dômes de lave terrestres, aurait été extrudée à la surface de Cérès. La morphologie allongée de ce que les spécialistes appellent un cryovolcan (volcan de glace(s)) les incitent à penser que sa construction s'est faite en plusieurs phases d'extrusions distinctes, un peu à la manière des dômes Terrestres qui, la plupart du temps, sont composites. La NASA a préparé une petite animation, visible dans ce petit film, à partir de 1'40".
C'est d'ailleurs le cas du dôme du Sheveluch, qui n'est pas un dôme unique, mais une succession d'extrusions empilées les unes par dessus les autres.
L'ensemble de ces observations ont permis de réaliser une carte géologique d'Ahuna Mons.
Carte géologique d'Ahuna Mons. Image: O.Ruesch et al |
Mais quel âge peut avoir une telle structure?
Avancer une réponse sûre n'est évidemment pas facile sans échantillons à analyser, mais l'étude de sa surface donne aussi des éléments clé, qui permettent de supposer un âge plutôt récent, géologiquement parlant.
Le premier constat est assez simple: Ahuna Mons n'a visiblement été percuté que par un nombre extrêmement limité d'astéroïdes depuis sa formation, vu la quasi absence de cratères à sa surface. Le constat est d'autant plus important que Cérès se trouve dans une ceinture d’astéroïdes, où on peut supposer que les impacts sont plus fréquents qu'ailleurs.
Par ailleurs, la morphologie elle-même est jeune: les pentes sont encore fortes alors que la plupart des reliefs ont tendance, avec le temps, à s'étaler sous l'effet de la gravité, même si cette dernière est faible, et l'érosion du aux petits impacts de météorites.
Enfin les auteurs de l'étude rappellent que les surfaces qui ne sont pas protégées d'une atmosphère ont tendance à s'assombrir sous l'effet de l'accumulation de particules spatiales et des radiations solaires, or Ahuna Mons est plus clair que les terrains qui l'environnent.
En utilisant une méthode statistique, basée sur la répartition des cratères d'impact et leur taille, le tout calibré en fonction d'échantillons lunaires rapportés par les mission Appolo et datés de manière absolue, les chercheurs ont déterminé qu'Ahuna Mons a pu se former entre 72 et...800 millions d'années! Certes, la marge est très grande, mais géologiquement parlant on reste dans les époques les plus récentes du système solaire, très longtemps après la fin des grandes périodes de bombardement qui ont accompagné les débuts du système solaire.
Restent de nombreuses questions sans réponses:
- par quel mécanisme cet objet, unique sur Cérès, a-t-il pu se former? Qu'est-ce qui a provoqué cette remontée de matière visqueuse à travers la croûte du Planétoïde?
- Existe-t-il des équivalents sur Cérès, plus érodés?
- y-a-t-il un lien avec les zones très brillantes, qui pourraient résulter d'une sorte d'activité hydrothermale, observées ailleurs sur Cérès?
- combien de temps a-t-il fallu pour qu'Ahuna Mons soit édifié?
- combien de temps a-t-il fallu pour qu'Ahuna Mons soit édifié?
Il pourrait y avoir des éléments de réponse supplémentaires dans les mois qui arrivent: la sonde Dawn est actuellement à basse altitude, ce qui permet de produire des images à plus haute résolution. De quoi avoir plus de détails de la surface d'Ahuna Mons.
Quoi qu'il en soit si sa nature volcanique vient à être définitivement confirmée, elle permettra d'étendre encore un peu plus le champ d'application de ce qui peut être défini comme "volcanisme", dans le système solaire. Notamment ce type de phénomène géologique pourrait être étendu à la surface des petits corps du système solaire là où, jusqu'à présent, il s'agissait plutôt d'un phénomène réservé aux gros astres (planètes et leurs satellites).
* lorsqu'un matériau passe de l'état liquide à l'état solide par exemple, il restitue l’énergie thermique qu'il avait initialement absorbé pour qu'il passe de l'état solide à l'état liquide. Sur Terre, ce phénomène se produit dans le noyau dont la partie externe (liquide) cristallise pour former le noyau interne solide, ce qui est une des sources de chaleur actuelle (pas la principale) de notre planète.
** pas l'extrusion en cours, mais une extrusion antérieure.
Sources:
- O.Ruesch et al, 2016: "Cryovolcanism on Ceres"; revue Science
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