3 février 2016

Dallol le non-volcan

Vous le savez déjà, je reviens d'une grosse semaine à Dallol ce qui m'a donné l'occasion non seulement de faire connaissance avec le site, mais aussi d'en apprécier, un peu, les multiples particularités. Je précise "un peu" parce qu'il aurait fallu des semaines pour faire le tour, dans le détail, de l'ensemble du site. Une chose a toutefois été claire très rapidement: Dallol n'est pas un volcan. Ce qui est en soit un sujet important, puisqu'une partie de la communication de plusieurs tours opérateurs, Français ou non, le décrit
comme tel. Ils ne sont d'ailleurs pas à blâmer puisque le Global Volcanism Program lui-même l'a intégré dans sa liste des volcans actifs holocènes, sous la dénomination de "cratères d'explosion". Je suppose qu'il y a là un lien avec les manifestations de surface, certaines décrites comme explosives en effet, qui ont été rapportées en 1926, puis plus récemment en janvier 2011 et janvier 2015 (et à plusieurs reprises avant 2011).
Mais caractériser un objet géologique comme "volcan", au sens actuellement admis, sur cette seule base est insuffisant.

Qu'est-ce qu'un volcan?

Reprenons donc tout depuis la base. Pour faire très court et simple, un volcan est un relief édifié lors de l'émission d'une lave. Ce relief est souvent positif (cône), mais peut être négatif (les cratères de type maar par exemple, ou les caldera ignimbritiques, comme autre exemple). L'accumulation de lave(s) sur un même site géographique au cours du temps donne un stratocône, ou stratovolcan.
La lave est une roche à base de silice dans la grande majorité des cas (basaltes, andésites, rhyolites, trachytes, etc, etc), très rarement à base de carbonate (carbonatites). Elle dérive par dégazage et cristallisation partielle d'un magma.
Le magma est une roche liquide formée par la fusion partielle (entre 3 et 20 % selon les endroits du globe) du manteau terrestre, plus rarement de la croûte continentale.*

Pour compléter la définition il faut préciser qu'en plus du relief de surface, la définition de l'objet "volcan" prend en compte le réseau de filons qui relie la source magmatique (manteau et/ou croûte continentale) à la surface, via une ou plusieurs zones de stockage communément appelées "chambres magmatiques".

Le volcan est donc tout à la fois une source de roches fondues + un réseau de filons et de chambres + un relief en surface, le tout composé de roches issues de la fusion du manteau et/ou de la croûte.

Or aucune des roches observables sur le site de Dallol n'est un silicate ou un carbonate (d'origine profonde, non sédimentaire). Quel que soit l'endroit sur lequel on se balade, que ce soit la zone hydrothermale du sommet, le site du lac noir (au sud-ouest), le lac jaune (ou Gaet’ale, au sud-est) ou les Canyons du versant ouest, dans tous les cas on ne trouve que des dépôts de sels**, parfois karstifiés (ouvert par un réseau de cavités souterraines) par des milliers d'années d'infiltrations et de circulation d'eau.
L'origine des roches de Dallol n'est pas le manteau ou la croûte: il s'agit de sédiments de type "évaporites" dont l'origine est probablement multiple:

- plusieurs incursions d'eau de la Mer Rouge depuis le nord
- arrivées d'eau de pluies depuis le plateau Éthiopien à l'ouest, et des "Alpes Danakil" à l'est
- émission de fluides hydrothermaux à la base des dépôts de sel en raison d'un magmatisme.

Ces dépôts ont été déformés, remaniés. Des émissions de fluides ultrasalés ont été émis et ont recouvert les dépôts anciens lors de la formation de Dallol. Mais sans roche volcanique, comment Dallol pourrait être un volcan?

Qu'est Dallol alors?


La réponse n'est pas immédiatement claire, et de nombreuses questions se posent toujours. Disons qu'il s'agit d'un dôme de sels particulier, résultat de la combinaison de plusieurs phénomènes géologiques, mais pas le volcanisme. Je ne connais pas d'objet équivalent ailleurs sur Terre***.
Avant de s'occuper plus avant de l'objet lui-même, il convient je crois de faire le point sur le contexte géologique auquel il appartient.

Contexte géologique

Dallol est apparu dans la partie nord du Danakil, une zone affaissée ("graben") de la croûte terrestre située dans la partie nord du "Triangle de l'Afar". Cette dépression, dont la surface est à -120 m d'altitude, est la conséquence de l'ouverture d'un rift parallèle à celui de la Mer Rouge toute proche. Elle est une portion de ce que les géologues appellent le "Rift Afro-Arabe", qui fait la connexion du Rift de la Mer Rouge avec le Grand Rift Est-Africain, au sud-ouest et celui du Golf d'Aden, au sud-est. Dit autrement il constitue, avec la Mer Rouge, la branche nord-ouest (les traits verts sur l'image ci-dessous) du "point triple de l'Afar".
L'ensemble des sites que je viens de nommer a été résumé sur l'image Google Earth ci-dessous: j'espère qu'elle sera assez lisible, car il n'est pas forcément évident de s'y retrouver.

Danakil, "Triangle de l'Afar", "Point Triple de l'Afar" etc...: une image pour synthétiser le tout.

La plaine du Danakil elle-même ne montre aucun signe tangible de volcanisme: les roches volcaniques se trouvent plus au sud avec le volcan Gada Ale (30 km) et 80 km au nord-ouest avec le volcan Erythréen Alid. Toutefois il s'agit d'un rift actif, dont la formation a commencé il y a environ 11 millions d'années. Et par ce biais, la présence d'une activité hydrothermale sous les couches de sels et du magmatisme sont envisageables: les rifts actifs sont en effet des zones où du magma peut facilement se former.

Comme tous les rifts, la plaine du Danakil sépare deux "blocs": à l'ouest les hauts plateaux Éthiopiens et, à l'est, un fragment qui a commencé de s'en détacher il y a environ 11 Millions d'années, mais s'est réèllement isolé depuis "seulement" environ 5 millions d'années. Ce fragment porte divers noms selon les auteurs:
- bloc Danakil
- microcontinent Danakil
- Alpes Danakil
- Horst Danakil

Il sépare actuellement la plaine du Danakil et la pointe sud de la Mer Rouge. Il est très probable que, dans quelques millions d'années seulement, ce microcontinent entrera en collision avec le "talon" de la plaque Arabique, fermant le passage qui relie la Mer Rouge à l'Océan Indien. Deux scénarios s’envisagent alors: soit la Mer Rouge reste isolée et s'assèche, donnant une immense plaine de sels, a l'image de la Méditerranée il y a 5Ma, lorsqu'elle s’asséchât totalement suite à la fermeture du détroit de Gibraltar ("épisode Messinien"). Soit l'eau de l'Océan Indien entre par le sud du triangle de l'Afar (golf de Tadjoura), ennoie la plaine du Danakil et fait la connexion avec la Mer Rouge au nord du volcan Alid.

Le bloc Danakil, séparé depuis 11 millions d'années des hauts plateaux Éthiopiens.

L'"objet" Dallol

D'abords, c'est vraiment un endroit unique au monde. Certes l'ambiance, même lorsqu'on n'y reste qu'une heure, comme le proposent plusieurs des tours opérateurs croisés sur place, fait déjà ressentir ce côté exceptionnel. Mais y rester plusieurs jours permet, par l'imprégnation du lieu, de profiter des détails: cristallisations merveilleuses et tellement diverses (oeufs, filaments, cubes, "feuilles", tours, terrasses, flocons, "nénufars" et bien d'autres etc...), des traces d'événements géologiques passés, la diversité de formes des dépôts de sels, dont certains semblent avoir parfois mimé des éruptions volcaniques et dont le mécanisme de mise en place reste pour l'heure mystérieuse. Sans oublier les innombrables sons: glougloutements, chuintements, écoulements, bruissements et craquement des pas sur le sel; ou les couleurs qui mélangent jaune vif, vert, ocres.
Plus concrètement, vu depuis l'extérieur, le site se présente sous la forme d'une vaste zone surélevée qui culmine à -48 m d'altitude. Elle émerge d'environ 70 m au-dessus de la plaine du Danakil qui, de son côté, se trouve en moyenne à -120 m d'altitude. C'est la raison pour laquelle on appelle souvent la zone "dôme de Dallol". Ce qui est juste vu la forme générale du massif, mais de facto peu prêter à confusion avec le terme "dôme" employé dans le cadre du volcanisme. La partie principale du bombement est, pour simplifier, circulaire, avec un diamètre de 3 km environ à la base.
Le sommet du bombement est affaissé, formant une structure circulaire nommée "cratère" d'un diamètre d'environ 1400 m. Le mot cratère est donnée par analogique avec la structure volcanique mais ici c'est un affaissement lent, comme un dégonflement, du sommet qui en est à l'origine (voire "Mécanisme du bombement/soulèvement", plus bas)

Autour du "dôme" principal se trouvent trois autres structures:
- à environ 1 km de la base ouest, un petit dôme secondaire, sans activité hydrothermale connue
- juste au sud-ouest, et alignés selon un axe nord-sud, une succession de petits bombements de quelques mètres de hauteur, sur lesquels se trouvent des sites hydrothermaux. Le plus important est le "Black mountain", un beau "dôme" de sel noir au pied duquel se trouve le "lac noir", qui serait apparu au moment d'une activité explosive en 1926.
- à environ 2500 m à la base sud-est du bombement principal, on trouve Gaet’ale, aussi appelé "lac jaune". Il semble avoir été réactivé en 2005 et pose des questions de sécurité pour le tourisme à cause des émanations gazeuses qui s'y produisent. Très nombreux sont les oiseaux morts, petits et gros, à cet endroit: prudence obligatoire.

Les principaux "spots" du site de Dallol.
Les principales questions qui se posent quand à ce "dôme" de sels sont le mécanisme de sa formation, et son âge.

Age

Il n'a pas pu être déterminé avec certitude mais dans une publication présentée l'an dernier, des chercheurs Islandais ont proposé un âge maximum de 30 000 ans environ. Il s'agit en réalité de l'âge de la dernière venue d'eau de mer depuis la Mer Rouge, par le nord, dans la plaine. L'évaporation aurait laissé un dépôt d'Anhydrite (CaSO4), qui est actuellement bien visible au sommet des canyons du versant ouest. Il sert de repère pour visualiser le bombement, ou soulèvement, qui a donné naissance à Dallol.

La couche d'Anhydrite qui surmonte les dépôts de sels et les protège (relativement) de l'érosion est un marqueur qui permet de visualiser le bombement des dépôts. Image personnelle.
Vue générale de la zone des Canyons, depuis le sud-ouest. Les traits noirs marquent la base de la couche d'Anhydrite: on voit nettement leur courbure, résultat du bombement/soulèvement. Image: H.Franzson et al, 2015

Mécanisme du bombement/soulèvement

Tout comme pour l'âge, il faut garder à l'esprit que les travaux ont permis d'avancer des hypothèses, mais que pour l'heure la certitude n'est pas de mise.

L’imagerie sismique a permis de mettre en évidence la présence, sous Dallol, d'un fossé local, d'origine tectonique, large de 4 km environ. Le Dallol en occupe le centre. Tout cela est enfoui sous les 2000 m d'épaisseur de sels qui, maintenant, forment la plaine qui entoure le bombement.


L'analyse des dépôts de sels qui constituent Dallol a incité H.Franson et ses collègues de l'Iceland GeoSurvey à proposer une chronologie relative des événements qui ont conduit à sa formation.

- en premier lieu vient donc un premier bombement, dont l'âge est inférieur à 30 000 ans, et qui est supposé être le résultat d'une intrusion magmatique en profondeur, peut-être à la limite entre surface de la croûte continentale et la base du dépôt de sels: c'est l'hypothèse qui domine pour le moment. Le résultat est le soulèvement de l'ensemble des dépôts, dont l'Anhydrite, qui commence dès lors à s'éroder: c'est le début de la formation des canyons, dont ceux du versant ouest restent maintenant les seuls visibles.

Dépôts de sels dans le graben (à gauche), puis premier bombement. Images: H.Franzson et al, 2015


- Suite à cela, et alors que le sommet du bombement est déjà en cours d'érosion, une nouvelle intrusion de magma, un peu moins profonde que la première, se met en place. La conséquence est le soulèvement de la partie centrale du premier bombement, à l'emplacement de l'actuel sommet de Dallol. Cette seconde poche de magma libère ses propres fluides mais ceux-ci se mélangent avec l'eau infiltrée à travers les couches de sels: un système hydrothermale complexe, et probablement unique au monde (à ma connaissance), se met en place, qui mélange eaux sursaturées en sels et fluides magmatiques.

- L'un des résultats les plus incroyables de la mise en place de ce circuit hydrothermal est l'évacuation de fluides ultrasalés qui vont recouvrir les versants nord, est et sud-est du nouveau bombement, masquant en partie les canyons sur ces versants. Je disais plus haut que l'activité à Dallol avait pu mimer parfois une activité volcanique: ces fluides sursaturés sont décrits comme des coulées de sels, non pas simplement de l'eau salée qui s'écoule, mais une masse bien plus visqueuse que de l'eau. Il est connu que des masses de sel peuvent se déformer facilement, fluer sous leur poids parfois de plusieurs centimètres par an. Toutefois H.Franson et ses collègues semblent décrire quelque chose de plus rapide que ça, et là je manque de références pour bien visualiser la chose. Le "cratère" sommital, quand à lui, serait lié à un "dégonflement" du système hydrothermal après l'évacuation du grand volume de ces "coulées de sels". C'est après le dégonflement que se sont mis en place ce qui est décrit comme des "dômes" de sels, dans le "cratère". Pourquoi des "coulées" à un moment et des "dômes" à un autre? Pourquoi une telle différence de viscosité entre les deux types de fluides salés? Cela reste un mystère pour le moment.

Intrusion de magma, mise en place du système géothermal et bombement conséqutif (à gauche); Évacuation de "coulées de sels" et affaissement du sommet du bombement ("cratère") à droite. Images: H.Franzson et al, 2015

- L'activité hydrothermale maintenant mondialement connue, qui se déroule essentiellement au sommet du Dallol, se met en place en dernier, en majeure partie dans le quart sud-ouest du "cratère", très rarement ailleurs sur le massif. Elle ne cesse d'évoluer au gré de l'ouverture de filons de fluides, de la fermeture d'autres, de l'alimentation en eau du système hydrothermal, semble-t-il. Sur place nous avons pu constater cette évolution rapide: des mares entières s'assèchent en 48 heures, de nouvelles terrasses se forment...

- Plus récemment encore, mais à une date inconnue, une intrusion magmatique de petite taille se met en place au sud-ouest de Dallol, dans la zone dite du "Black Mountain", et que nous avions pris l'habitude, sur place, d'appeler "Petit Dallol", d'abords parce que d'autres avant nous l'avaient déjà ainsi nommée. En plus de la formation du dôme de sel noir dit "Black Mountain", un résultat visible de la dynamique de cette zone est le soulèvement des couches de sels. Il est rendu parfaitement visible grâce à d'importantes failles inverses dont le jeu (le décalage) dépasse parfois, en surface, 2m. La fraîcheur de ces failles semble indiquer un âge vraiment récent pour ce soulèvement.

Le soulèvement d'une partie de la zone du Black Mountain, au sud-ouest du sommet du Dallol, dans la plaine de sels, est bien visible grâce à de belles failles inverses. Image personnelle.


Par ailleurs cette zone du Black Mountain est le siège d'une activité hydrothermale similaire à celle qui se produit au sommet du Dallol, avec une surface moindre. Et quelques petites différences aussi, dont l'une est bien connue des volcanophiles qui ont visité le site: c'est le seul endroit d'où est émise la Bischofite, un minéral à base de Chlore et Magnésium. Elle pourrait provenir d'une couche de Bischofite (MgCl2·6H2O) et Carnallite (un minéral proche de formule KMgCl3·6(H2O)) qui a été détectée en profondeur lors de campagnes de carottages.

Activité récente

Si Dallol s'est vu donner la dénomination "volcan", c'est vraisemblablement en raison:

- des quelques explosions qui s'y sont produites
- de la couleur jaune due au soufre, qui donne la teinte jaune au sel et pique les yeux

Pour ce qui est des explosions, elles ont laissé quelques traces, avant tout dans la zone du Black Mountain. Y en a-t-il ailleurs? C'est possible, mais comme nous n'avons pu visiter qu'une partie de la zone, je ne saurais être sûr.
La plus spectaculaire d'entre elles est sans conteste le lac noir, trace circulaire qui aurait été laissée par une explosion de 1926. Il faut noter toutefois qu'une origine non explosive n'est pas a exclure: certains auteurs, spécialistes des dépôts d’évaporites, y voient la possible trace d'une doline, c'est-à-dire l'arrivée en surface d'une cavité sousterraine. Les dépôts de sels, comme ceux de carbonates, subissent une dissolution et peuvent donc se creuser d'un réseau de cavités.

Le bien nommé lac noir, très chaud (plusieurs dizaines de degré Celsius). Image: Personelle
Quel que soit son origine (explosion, effondrement, mixte) ce lac, depuis sa formation, n'a cessé de s’élargir sous l'effet de l'érosion (dissolution?) par le liquide qui le remplit (qui n'est pas de l'eau). Il suffit, pour s'en convaincre, de regarder deux images Google Earth, l'une prise en 2003, l'autre en 2013.

Modification de la taille du Lac Noir entre 2003 et 2013. Images: Google Earth

On ne sait pas avec précision où se sont déroulées les manifestations récentes qui ont été observées, en janvier 2011 et janvier 2015, au niveau du site de Dallol: il semble que personne n'était sur place au moment des événements. C'est depuis le village d'Amedela (15 km à vol d'oiseau) que de petits panaches ont été observés . Toutefois des détails dans la zone du Black Mountain suggèrent que c'est peut-être là qu'elles ont eu lieu, et non au sommet.

A la pointe sud de la zone surélevée (celle de l'image plus haut, avec les failles inverses) on peut observer une masse de sel d’aspect chaotique et dont certaines parties ont été soulevées, basculées. Alentours sont dispersés des blocs de sel de toutes tailles mais avec une disposition particulière: les plus gros sont les plus proches, et plus on s'éloigne, plus la taille moyenne des fragments diminue. Tout cela évoque une origine explosive d'une puissance modeste, mais probablement suffisante pour grièvement blesser, par impact et/ou brulure, voire tuer toute personne se trouvant à proximité au moment fatidique. La fraîcheur de l'ensemble, caractérisée par l'absence d'érosion significative des blocs de sels projetés, plaide pour quelque chose de très récent, mais il n'est pas possible d'un coup d'oeil de savoir si cela résulte de l'activité de 2011 ou 2015.

Zone soulevée et blocs dispersés alentours, possibles signes d'une explosion récente. Image personnelle

De cela il faut probablement tirer un enseignement: faire très attention lorsqu'on se trouve dans la zone du Black Mountain, notamment sur le "Petit Dallol": une explosion de vapeur est toujours possible, et les précurseurs, s'ils existent, ne sont probablement pas faciles à détecter...si tant est qu'ils se manifestent assez longtemps en avance****.

L'autre site remarquable de la zone de Dallol est le "Lac Jaune" (Gaet’ale). Il s'est réactivé en 2005 avec la mise en place de geysers hauts de 3m. Cette activité a duré trois ans puis a été remplacée par une activité moins spectaculaire. Dès le départ, les habitants d'Amedela, allant voir le site, ont pu constater la basse température des eaux, et son acidité moindre qu'ailleurs sur Dallol. Ils ont aussi tout de suite remarqué la grande mortalité animale (oiseaux, insectes) qui accompagnait l'activité, due à une importante libération de CO2. Les fluides qui sortent à Gaet’ale sont différents de ce qui se passe au sommet de Dallol et au Black Mountain. Point de chatoyantes couleurs ici, mais le CO2 libéré semble d'origine magmatique malgré tout: il semble donc y avoir un lien, une connexion, malgré tout.

Un oiseau mort sur la berge de Gaet’ale, probablement tué par le CO2. Image personnelle.

L'activité de ces dernières années (soulèvements, explosions de vapeur, geysers de Gaet’ale) pourrait être en relation avec une activité sismique importante qui s'est déroulée en 2004 dans le secteur et dont l'origine, d'après un groupe de chercheurs emmenés par A.Nobile  (INGV/Université de Leeds/Université Rome3), fut l'intrusion d'un dyke de magma à partir d'une chambre située sous Dallol, à environ 2400 m de profondeur (ce qui du coup corrobore la présence d'une chambre à la base du dépôt de sels).
Une étude menée au sujet des interactions magma-sels par une équipe internationale de chercheurs semble indiquer que lorsqu'un magma silicaté pénètre dans un épais dépôt de sels, il aura tendance à s'étaler latéralement pour former une poche (sill) lorsqu'il rencontre une couche de Bischofite et/ou Carnallite, du fait de leurs propriétés mécaniques. Or il se trouve qu'au moins une couche de ces sels existe sous la plaine du Danakil, vers 900 m de profondeur, et il n'est pas impossible que d'autres plus profondes s'y trouvent: de quoi permettre le stockage d'un peu de magma, plutôt que son éruption, et entrainer la déformation des couches sus-jacentes..
Conclusion 


L'activité à Dallol n'a, pour l'heure, projeté aucune lave: ce dernier reste donc avant tout un site purement hydrothermal, non volcanique, même si une poche de magma, pourvoyeuse de fluides et de chaleur, pourrait, au moins en partie, être en cause. La présence d'une activité hydrothermale sans manifestation volcanique n'est pas rare: à titre d'exemple, citons le site de Yangbajain, dans l'Himalaya, dû à une poche de granite.
Certains auteurs parlent tout de même, pour Dallol, de "système proto-volcanique" car il est évidemment impossible d'exclure qu'un jour une partie du magma situé sous Dallol puisse faire éruption. Cela ne serait d'ailleurs pas tellement étonnant, encore moins illogique: dans un rift actif comme l'est celui du Triangle de l'Afar, la mise en place de magma, et son expression en surface sous forme de volcanisme, est fréquent et normal (lac de lave de l'Erta Ale, éruption du Dabbahu en 2005,du Manda Harrao en 2007 et 2009; du volcan Alu en 2008; Nabro en 2011, etc...)

Il ne faut toutefois pas perdre de vue que l'intime interaction entre fluides magmatiques et d'évaporites, dans un contexte désertique à fort taux d’évaporation fait de Dallol un site exceptionnel, unique au monde. Sa formation et son évolution sont bien plus complexes que les dômes de sel classiques (diapirs), connus par ailleurs un peu partout sur Terre.
Dallol est un site aux caractéristiques sans pareils, qui mérite d'être mieux connu, mieux visité, et mieux respecté*****.



Sources: outre de quelques observations personnelles et de discussions faites sur place, ce post tire ses informations de:

- "Surface Exploration and First Conceptual Model of the Dallol Geothermal Area, Northern
Afar, Ethiopia
", H.Franzson et al, 2015, in Proceedings World Geothermal Congress 2015

- Salty Matters, de John Warren

-"Dike-fault interaction during the 2004 Dallol intrusion at the northern edge of the Erta Ale Ridge (Afar, Ethiopia)"; A.Nobile et al, GEOPHYSICAL RESEARCH LETTERS, 2012



* et là il faut être tout à fait honnête: les mots n'ont que le sens qu'on leur donne. Pour l'heure "magma", "lave" etc s'appliquent d'abord à des liquides silicatés, voire carbonatés. Mais le CRPG (Université de Lorraine) parle des magmas terrestres comme des liquides silicatés ou pas, incluant dans la définition, les sels et les composés soufrés liquides. Peut-être faut-il alors distinguer un "volcanisme silicaté" d'un "volcanisme non silicaté", ou alors élargir la définition de ce qu'est un volcan, et donc une éruption, à l'émission d'autres matériaux que des roches silicatées/carbonatées?
Dit autrement: au vu des conventions en cours Dallol n'est pas un volcan, mais si les conventions évoluent, le statut de Dallol changera aussi.

** je maintiendrais le mot au pluriel car il s'agit bien là de l'accumulation de divers sels: Halite (NaCl), Sylivite (KCl); Carnallite (KMgCl3·6(H2O)); Anhydrite (CaSO4) etc.

*** mon truc, c'est le volcanisme: je connais bien moins l'halocinèse, même si j'ai quelques notions...

**** on a vu que pour l'explosion de l'Ontake, autre manifestation hydrothermale, tout s'est joué 10 minutes avant l'explosion.

***** nous avons pris un peu de temps pour ramasser les déchets laissés par les groupes précédents, soit par les touristes eux-même, soit par leurs accompagnants.

7 commentaires:

  1. Bonjour,

    Récit passionnant pour ce lieu hors norme.

    La gestion des déchets par les tours opérateurs locaux est malheureusement le dernier de leur soucis ! ils ramènent beaucoup de bouteille d'eau pour les touristes et locaux qui finissent sur le site

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  2. Bonjour,

    Tout d’abord, un grand merci pour ce résumé des plus pédagogiques, comme toujours !

    Le message de fond du récit touche à la définition du volcan qui est un sujet passionnant, il suffit de lire ton paragraphe sur ce propos. Sans lave, pas de volcan. C’est aussi simple que ça. Système proto-volcanique ? Oui et non. La définition est là encore plus évasive que celle du volcan. Certes, c’est un endroit où de la lave pourra sortir dans le futur, mais tout comme sur l’intégralité de la zone Danakil. Sous Dallol, il y a visiblement une ou plusieurs sources magmatiques, ce qui explique l’activité hydrothermale mais cette source n’est pas forcément un réservoir actif, dans le sens où l’on n’a pas forcément une connexion active avec les profondeurs (enfin, je ne crois pas). Cela peut aussi tout simplement être une simple et unique intrusion. De plus, cette activité pourrait aussi être classée dans le domaine du post-volcanisme…complexe !
    Toutefois, et c’est là que ça devient intéressant, les descriptions dans le paragraphe expliquant la formation du « cratère » et des coulées de sels sont épatantes car H. Franson décrit une dynamique d’un liquide, que l’on pourrait aisément approcher d’une dynamique magmatique ! Je fais là lien avec le premier astérisque du récit et la définition du CRPG d’un magma terrestre qui m’a carrément surpris ! Magma = liquide silicaté + sels et composés soufrés liquide. Finalement, si on prend en compte le cas des carbonatites dans le volcanisme, alors pourquoi ne pas intégrer les sels ? On parlerait alors de volcanisme silicaté, carbonaté, halin… Après tout, on parle bien de volcan de boue. Dallol pourrait donc bien être un volcan de sel… Un volcan serait alors un édifice accueillant une dynamique liquide…
    En tout cas, je trouve que ce sujet est très intéressant. L’exemple de Dallol remet les idées en place et pose des questions…

    D’autre part, il est clair que le site est unique mais il me semble que l’on trouve aussi une activité hydrothermale en milieu salin dans le salar d’Uyuni en Bolivie. Y en a-t-il d’autres sur les hauts plateaux andins ? Même si le site n’a visiblement rien à voir avec celui de Dallol (je ne le connais pas), il serait intéressant de les comparer.

    Concernant le contexte géologique, imaginer l’ennoiement de la plaine du Danakil est tout simplement extraordinaire. L’Erta Ale deviendrait la seule île volcanique n’appartenant ni à un point chaud ni au contexte de subduction !

    Enfin, et mon commentaire est bien assez long, je tenais à écrire que c’est une honte qu’un site si particulier ne soit pas respecté un minimum. S’étonner de la beauté de la nature et la polluer : une attitude des plus paradoxales !

    Encore merci pour cet article qui m’a vraiment enthousiasmé.
    Bonne soirée,

    Ludovic

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  3. L'objet "unique" est décrit par de nombreux géologues un peu partout dans le lorsqu'on a la présence de couches de sels (au sens large, halite, sels de potasses, gypse, anhydrite ...). il est d'ailleurs souvent associé à des zones tectoniques actives avec présence de volcanisme. il serait temps d'acquérir quelques notions sur l'halocinese et les diapirs.

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    1. Vous avez raison, il faut mieux rester anonyme avec ce genre de message ! Un peu de politesse et de forme ne ferait pas de mal Monsieur le géologue...

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    2. Bonjour les géologues anonymes. Je remercie Ludovic pour sa réaction mais je n'irais pas blâmer l'anonymat d'une réaction alors que je publie tout sous un pseudo :-). Il est vrai, par contre, que la politesse manque et enlève beaucoup de l'intérêt du commentaire. Je vais toutefois faire une réponse.

      J'ai le défaut,je le confesse volontiers, de ne pas me prendre pour quelqu'un aux connaissances absolues, sans failles. Le monde est vaste, les connaissances sont infinies et changent dans le temps.
      Ais-je nié ignorer s'il y a d'autres objets équivalents sur Terre? Non point.... mais je n'en connais effectivement pas d'autres.

      Et pour faire de votre commentaire, messieux-dames les GA, une réaction éclairée, il aurait suffit qu'elle soit éclairante plutôt que critique. Des exemples que diable! S'il vous plait, et des explications, en lieu et place des phrases inutilement lapidaires. Cela ne pourra être que bénéfique, à moi comme aux lectrices-teurs, car c'est aussi ça, la culture: partager. Les commentaires sont d'abord là pour ça.

      Je connais un peu les diapirs : la côte sud de l'Iran est, pour moi, une source d'admiration rien que pour eux. Mais je n'ai pas fait de l'halocinèse ma spécialité, aussi pardonnez mes lacunes dans cette science.
      Mais j'ai précisé, je crois, que Dallol n'est pas un diapir. C'est-à-dire pas une intrusion de sels venue crever la surface de la plaine mais, structurellement, des couches de sels déformées verticalement par une intrusion de magma, érodées puis partiellement recouvertes par quelques émissions très particulières de fluides ultrasaturés en sels, sous forme de coulées et de dômes visqueux.
      J'ai aussi précisé qu'il n'y a pas de volcanisme à Dallol, ni nul part dans la plaine de sel alentour: seul Gada Ale, sur la frange sud des dépôts de sels (plus au sud il y a du sable), vient mettre un peu de basalte sur du sel. Il est, d'ailleurs, lui-même déformé par du diapirisme.

      Je réitère donc que Dallol est un site unique au monde, non lié à du diapirisme, et sans volcanisme. Et ce serait un plaisir (non feint, réèllement) que de vous voir nous donner des exemples d'autres sites similaires, et donc non diapiriques. Après tout, ne sommes-nous pas tous envieux d'apprendre, et apprendre encore? Moi en tout cas, je le suis: ma curiosité est insatiable.

      Bien à vous

      CV

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  4. J'adore le terme "système proto-volcanique"... Ce site qui a l'air magnifique pourrait bien être un "pas-encore-volcan" plutot qu'un "non-volcan" ;)

    Le jour où une impulsion magmatique un peu plus puissante crèvera la couche de sels pour atteindre la surface, là ce sera un "vrai volcan" ! Et que se passerait-il? Compte tenu de la quantité de fluides (dont je suppose qu'il s'agit de solutions aqueuses très saturées d'halogénures ou de sulfates de métaux alcalins/alcalinoterreux), pourrait-on parler de phréatisme/phréatomagmatisme? Et dans ce cas Dallol ne serait-il pas à un stade phréatique préliminaire à sa probable évolution volcanique avec les explosions de 1926, 2011 et 2015?

    Sinon, la chose fascinante que vous mentionnez, est que le contenu du Black Lake de 1926 n'est pas de l'eau. De quoi s'agit-il alors? Honnêtement, ma formation de chimiste laisse mon esprit vagabonder, et je me prends à rêver... Un eutectique de sels, ce genre de mélange dont les constituants, isolément cristallins, fondent à température ambiante lorsqu'ils entrent en contact? Ou, rêve suprème, un liquide ionique, c'est à dire un sel plus ou moins hydraté dont le point de fusion est inférieur à la température ambiante (comme l'acétate de sodium dans les packs de chaleur rechargeables).. En gros, un animal curieux de laboratoire, que la nature aurait synthétisé sur place à la perfection ?

    Les "coulées" visqueuses de sel aussi, ça fait rêver... Est-ce que ça a été émis à température ambiante (auquel cas il pourrait aussi s'agir d'un eutectique dont les composants se seraient séparés par cristallisation au contact de l'air, ou d'une solution très très très saturée d'un sel très dense et excessivement soluble genre chlorure de magnésium et de calcium). Si les coulées ont été mises en place fondues c'est encore plus fascinant, celà signifie que le flux de chaleur est tel que la température dépasse les 300-400°C nécessaires à la fusion de ce type de sel... et que l'état "proto-volcanique" est encore plus avancé!

    Désolé pour cette digression chimique (après tout, je ne signe pas Alcide Cloridrix pour rien ;) , quoi qu'il en soit, c'est fascinant.

    Bien à vous.



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    1. Bonjour Alcide. Plutôt d'accord avec votre première remarque, j'ai hésité pour le titre. Mais "Proto" et "non-volcan" valent autant l'un que l'autre, "proto" désignant plutôt "ce qui n'est pas encore" alors que "non-volcan" désigne ce qu'il est aujourd'hui: pas d'incompatibilité là-dedans, mais deux faces d'une même idée.
      Nulle doute qu'à l'arrivée d'un magma en surface, les premières phases éruptives seraient phréatomagmatiques: la plaine de sel est, en réalité, creusée par un réseau de cavités, et gorgée d'eau.

      Quand au Black Lake: il y a des idées qui trainent, mais nous en saurons peut-être plus dans quelques mois. La seule chose dont je sois sûr c'est que des températures ont été mesurées dans le lac il y a déjà quelques années: au moins 70°C. Le maintient à l'état liquide se fait donc à une température supérieure à l'ambiante. Si j'ai des infos là-dessus je ferais passer :-)

      En tout cas ça fait plaisir d'avoir les réflexions d'un chimiste: l'endroit serait un bon terrain de jeu pour votre profession :)

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