7 janvier 2016

Volcan Santiaguito: d'où viennent ses explosions annulaires?

Décrypter les mécanismes d'une activité éruptive en cours est l'une des voies de la recherche moderne en volcanologie. Comment se comporte le magma au cours de son ascension? Comment réagit la structure de l'édifice? Comment évoluent les différents paramètres que sont la température, la quantité de gaz dissouts et quelle est leur influence, en profondeur ou à proximité de la surface? 
Ces quelques questions et beaucoup d'autres plus techniques ne peuvent pas trouver de réponse par l'observation directe, à l'oeil nu d'un volcan: seul l’échantillonnage et une kyrielle de tests en tous genres peuvent fournir des résultats qu'il faut ensuite interpréter.
Au cours de l'antépénultième crise éruptive du Fuego, au Guatemala, je vous avais fait part de quelques résultats récents qui visaient à expliquer le côté cyclique de l'activité de ce volcan.
Aujourd'hui, c'est au fonctionnement d'un proche voisin, le Santiaguito, que je souhaiterai vous intéresser.


Le Santiaguito est un ensemble de dômes de lave qui ont commencé à se former après l'immense éruption de 1902 qui avait vu s'effondrer le flanc sud-ouest de l'imposant stratovolcan Santamaria. La construction des dômes du Santiaguito a commencé en 1922 au fond de la cicatrice et au cours des décennies, 4 ont fait leur apparition. Pour mémoire:
- le "Caliente" fut le premier en 1922, actif jusqu'en 1937: c'est l'acte de naissance du Santiaguito
- le dôme dit "La Mitad" voisin, apparait en 1937 à l'ouest du Caliente et reste actif jusqu'en 1947
- le dôme "El Monje", voisin du précédent, apparait en 1947 et reste actif jusqu'en 1955
- le dôme "El Brujo", le plus à l'ouest de l'alignement, apparait en 1955 et reste actif jusqu'en 1986.
Dès 1978 l'activité est revenue sur le Caliente, simultanément à celle du Brujo. Les deux dômes vont fonctionner de concert (situation unique depuis la naissance du Santiaguito) jusqu'en 1986. Depuis lors seul le Caliente fonctionne, de manière ininterrompue. Les différents épisodes d'effondrement, de reconstruction, d'émissions de coulées visqueuses etc, font de lui plus un petit stratovolcan qu'un dôme au sens strict: c'est donc plutôt par habitude que par souci de réalisme que l'on dit "dôme du Caliente".

Image extraite du post publié le 24 janvier 2015 sur laquelle on voit (depuis le sud) les différents dômes du Santiaguito. Image: USAID/Michigan Tech/INSIVUMEH-annotations: Culture Volcan

Après cette très brève présentation, voyons l'activité.

Il s'agit la plupart du temps d'une activité explosive modérée, parfois faible, associée à une extrusion de magma visqueux extrêmement lente. Elle est réputée chez les volcanophiles car elle peut-être observée soit de près à partir du spot situé sur le dôme La Mitad, soit observé depuis le sommet du Santa Maria, ce qui est un point de vue exceptionnel, mais qui se mérite physiquement*.

Depuis  plus d'une décennie (au moins), les explosions se font le long de la paroi de la cheminée, au contact avec la colonne de magma visqueux qu'elle contient. Comme la cheminée est circulaire, ou peu s'en faut, le départ des explosions en surface se manifeste sous la forme d'une série d'évents qui sont tous alignés en cercle**. Chaque explosion ressemble donc à un tir de mine (et à voir c'est juste exceptionnel, sur la vidéo ci-dessous la séquence intéressante se déroule entre la 35ème et la 58ème seconde).



Un mécanisme pour cette activité avait été proposé par deux chercheurs, Gregg J.S. Bluth et William I. Rose en 2004 dans un article paru au Journal of Volcanology and Geothermal Research. Leurs observations, basées sur 12 heures de films récoltés sur 3 années, leur avait permis de supposer que c'est au contact paroi/magma que se joue chaque explosion annulaire ("ring explosion"). Le magma monte lentement dans le conduit, du fait de sa charge en gaz, ce qui génère des frottements. La pellicule de magma au contact de la paroi se retrouve progressivement cisaillée ce qui facilite la formation de bulles de gaz, donc une surpression locale, donc les explosions.

Le schéma du mécanisme proposé par le Bluth et Rose en 2004. Image: G.J.S Bluth et W.Rose/JVGR-2004
Oui mais dans le détail, comment ça se passe? Pourquoi la formation de bulles à cet endroit particulièrement?
Un article, publié par 12 chercheurs cette fois, piloté par Yann Lavallée (Université de Liverpool) vient de paraitre dans la revue Nature. Ce chercheur est spécialisé dans le comportement rhéologique*** des magmas, et ses recherches visent à mieux cerner quelles conséquences découlent des déformations qu'il subit au cours de son déplacement au sein de la croûte terrestre, et juste avant une éruption.
Depuis plusieurs années il s'interroge sur le rôle que peut avoir la température sur la formation des vésicules (bulles) de gaz au sein de la colonne magmatique. En ce qui concerne la volcanologie actuelle, le mécanisme principal de la formation des bulles reste la décompression, un phénomène connu de tout le monde: c'est le principe des boissons gazeuses, qui ne deviennent vraiment gazeuses, pétillantes, que lorsqu'on les ouvrent, c'est-à dire au moment où la pression dans la bouteille chute.

Pour résumer: Pression forte = gaz dissout; Pression faible = gaz exsolvé sous forme de bulles

Or depuis quelques années le rôle de la température sur la formation des bulles est exploré, car plusieurs phénomènes dans une colonne de magma peuvent concourir à la faire grimper de manière importante (jusqu'à plusieurs centaines de degrés selon certaines simulations).
Y.Lavallée s'est donc intéressé au Santiaguito, connu pour ses explosions circulaires étudiées par Bluth et Rose.

Tout d'abord des observations plus fines de l'activité ont permis à l'équipe de constater que la galette de lave qui occupe le sommet connait, un peu comme au Kilauea mais pour des raisons différentes, des cycles d'inflation/déflation (soulèvement/affaissement, ou gonflement/dégonflement si vous préférez). Cette déformation est cyclique, régulière et rapide: un cycle toutes les 26 minutes pendant leurs observations. Mais les cycles se déroulent selon deux modalités différentes:
* soit une inflation lente suivie d'une déflation lente (une courbe en forme de wok renversé en quelque sorte): dans ce cas-là rien ne se passe en surface hormis la formation de fractures circulaires dues au soulèvement.
* soit une inflation lente au début mais qui accélère et culmine suivie d'une déflation très rapide (une courbe en forme de chapeau de sorcière, pour visualiser). C'est en association avec ce type de cycles que les explosions se produisent. Lors de ces événements le sol peut se soulever puis s'abaisser en 1 seconde d'environ 1m****.

Des cendres émises lors d'une campagne d’échantillonnage en 2012 ont été observées au microscope électronique (imagerie par électrons rétrodiffusés, ou BSE (pour "Back-scattered electrons")). Leur texture se révèle particulière, montrant de petits filaments de magma dont certains contiennent des petites bulles. La particularité de ces petites gouttes de magma c'est qu'elles ont une composition hétérogène: comme si plusieurs magmas s'étaient retrouvés ensemble, mais sans se mélanger (comme l'eau et l'huile): il semble que la partie liquide du magma initial (la dacite) se soit trouvée mélangée avec un autre magma , dont l'origine ne peut pas être profonde, mais locale. Or ce type de texture avait déjà été observée dans des échantillons issus d'expérimentations en laboratoire qui visaient à caractériser le comportement des magmas lorsqu'ils subissent des frictions.
Si si, vous connaissez déjà ce type d'expériences, en tout cas si vous êtes lectrice-teur assidu(e) de ce blog: j'en parlais dans un post sur le tempo des dômes et la surveillance.

Au moment où un déplacement se met en place dans la colonne de magma, son frottement contre la paroi génère une friction. Si elle est suffisante, l'échauffement produit permet à certains cristaux de refondre très localement, ce qui forme un peu de magma dont la composition diffère de celle du magma dacitite car la composition d'un cristal est différente du celle du magma. Si une explosion pulvérise et expulse le tout sous forme de cendres, le matériau se fige en l'état au contact de l'air, avec les deux magmas non mélangés.
Les résultats des expériences menées en laboratoire sur des échantillons de lave du Santiaguito ont permis de constater que la friction pouvait faire monter, très localement et sur un temps très court, la température de plusieurs centaines de degrés celsius, en plus de la température de la dacite, qui est à environ 850°C. Localement la température peut donc grimper à plus de 1300,  voire 1400°C, largement de quoi faire refondre totalement certains cristaux, mais uniquement dans la zone de friction.

Mais quel lien avec les explosions qui, elles, sont dues à un excès de pression, résultat de la formation de bulles de gaz? Les chercheurs ont constaté la présence de petites vésicules gazeuses dans la partie refondue. La corrélation leur a permis de poser l'hypothèse que la formation de ces bulles est aussi le résultat de la friction et donc de la hausse brutale de températures qui en résulte. Les expérimentations réalisées en laboratoire sur des laves naturelles ont permis de constater que l'eau, qui est la phase fluide la plus abondante dans les magmas, et de très loin, voit sa solubilité (capacité à rester dissoute) diminuer lorsque la température du magma augmente. Or évidemment moins l'eau est soluble, plus elle forme de bulles.
Et si vous remontez juste à la fin du paragraphe ci-dessus, vous vous souviendrez alors qu'au moment des épisodes de friction, la température peut monter localement à plus de 1300°C, de quoi provoquer localement une chute brutale de la solubilité de l'eau (et d'autres gaz, moins présents)...et donc la formation brutale de bulles...donc une suppression....donc des explosions.

L'activité explosive annulaire du Santiaguito est donc, pour cette équipe aussi un phénomène plutôt superficiel: ils estiment que la fragmentation du magma sous l'effet de la croissance des bulles se fait à environ 300m de profondeur. Par ailleurs le mécanisme à l'origine de l'apparition des bulles n'est pas une décompression mais une très forte hausse locale de température dans la zone de frottements, au contact entre magma et paroi de cheminée, une hausse qui peut dépasser les 500°C.
C'est en association avec les cycles d'inflation les plus importants, c'est-à-dire les mouvement les plus amples de la colonne de magma,  que se déclenchent les explosions, car c'est à ce moment-là que les frictions sont les plus importantes (donc la hausse de T° aussi, donc la formation des bulles et la surpression aussi). Lors des cycles plus tranquilles, les frictions sont moins intenses, moins de bulles sont produites, et le gaz libéré est évacué de manière passive et progressive (déflation douce).

* surtout si vous souhaitez camper au sommet 1 jour ou 2: il faut transporter eau+nourriture +matériel de couchage, et ça pèse.
** une expression qui peut paraitre bizarre mais d'un point de vue géométrique une droite (pas un segment) n'est que la surface d'un cercle sur laquelle on zoom indéfiniment. Un exemple de cet effet est l'horizon, que l'on voit au bord de la mer, qui est droit, linéaire, alors que la Terre est ronde.

*** rhéologie: étude de la réponse d'un matériau, naturel ou non, soumis à une contrainte.

**** un phénomène visible, mais très discret vu la distance, sur la vidéo de l'explosion mise dans le post: saurez-vous le repérer?

Sources:
Bluth et Rose, 2004-JVGR
Y. Lavallée et al, 2015, Nature

8 commentaires:

  1. Bon article.
    Pour le moment il n y a pas encore d'unanimité entre les deux classes de modèles (pressurisation par les gaz ou flux de magma saccadé et fragmentation par friction), et c'est précisément pour ca qu'est organisé en ce moment meme au Santiaguito un grande campagne de mesure avec une cinquantaine de chercheurs qui sondent le volcan de facon aussi multidisciplinaire que possible... Work in Progress...

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  2. Très intéressant.
    L'augmentation locale de la température va faire également baisser la viscosité de la lave et donc faciliter le dégazage c'est peut être pour çà qu'on a une explosion "faible" le long des paroi et donc une montée en pression limitée qui évite des dégâts au niveau du dôme...un bel exemple d'équilibre. Les caractéristiques de la dacite chauffée au niveau minéralogie doivent être intéressantes...

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    1. Ce qui est curieux, c'est que le magma émis semble plutôt pauvre en gaz, ce qui signifie qu'il s'agirait peut être d'un "fond de cuve" de la chambre magmatique qui a fourni l'éruption de 1902. Ce magma ne dégaze que si on lui "secoue les puces", c'est à dire qu'il faut frotter suffisamment pour que ça chauffe et que ça bulle... Pas assez d'énergie et de gaz pour faire sauter le dôme...

      Cette éruption est en fait, une mourante qui prend son temps pour mourir..

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    2. Le système d'alimentation a été étudié (publication en 2012 J.A.J Scott et al) par le biais de la minéralogie (amphibole, plagioclase). Les conclusions (qui seront peut-être revues à l'avenir: la certitude absolue n'est pas le domaine de la Science) semblent indiquer une zone de stockage profond et continue entre 24 et 12 km, puis une remontée à une vitesse estimée entre 27 et 84 mètres par heure, sans stockage superficielle. Plus interessant, et cohérent avec les résultats ci-dessus, le magma semble acquérir sa rigidité à un niveau très superficiel: entre 200 et 800m de profondeur sous le sommet d'après les auteurs, et forme un "plug", une masse rigide dans la partie supérieur du conduit.

      En fait la friction n'est possible que parce que le plug est poussé par le magma ascendant (activité magmatique continue): le plug est collé à la paroi de la cheminée ce qui empêche tout mouvement brusque mais la poussée est trop forte, le collage cède, le plug bouge, frotte contre la paroi, s'échauffe et produit les bulles, la surpression, les explosions annulaires. Si la poussée est trop faible, le plug bouge lentement, la friction est (je suppose) partiellement compensée par une déformation plastique, le gaz est évacué plus en douceur: pas d'explosions.

      Ce système magmatique fonctionne bien, de manière continue, et connait encore des phases d'activité plus intense que la normale(mise en place de la nouvelle coulée du flanc est en 2014 par exemple).

      De mon point de vue, qui n'est pas meilleur qu'un autre, j'ai l'impression (juste une impression) que le système est stable, et qu'il n'est pas particulièrement en train de s'éteindre. Il faut dire que l'activité en cours est tout à fait similaire en style et en intensité à ce que j'ai vu il y a une décennie: ça n'aide pas à voir un affaiblissement :-)

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    3. Le magma remonte à 27 m/h-84 m/h?? Et il va où, parce que les coulées ne suffisent pas à évacuer tout ça... Un cylindre de 50 m de diamètre poussé vers le haut de 84 m,ça fait (si mes maths sont pas trop pourries) 164.850 m3 de magma émis à l'heure, soit un débit proche de 45 m3/sec..... Et compte tenu de la rigidité de la chose.... Tiens tiens, ça fait bien penser à la Montagne Pelée et son aiguille de 500 m de haut en fin d'éruption de 1902!

      En ce qui concerne l'avis que j'avais d'extinction, ou du moins de purge du système magmatique, il semblerait que si réalimentation continue (par définition basaltique, ce qui sort de la plaque en subduction est du basalte riche en gaz et très chaud), on verrait progressivement la température augmenter, et la chambre magmatique se purger de la dacite..

      L'éruption deviendrait de plus en plus andésitique, puis andésito-basaltique, la charge en gaz augmenterait ainsi que l'explosivité dans un premier temps, jusqu'à atteindre un équilibre lorsque la composition de la chambre évoluerait aussi vite que le magma est alimenté, c'est à dire une andésite basaltique à 54-55% de SiO2 et une activité strombolienne permanente, façon Reventador ou peut-être Arenal.

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  3. Très intéressant, on a peine à expliquer qu'un phénomène apparemment aussi simple puisse être en réalité aussi mystérieux...

    Encore dans mes parallèles abusifs, on dirait un peu le fonctionnement de certaines explosions du Colima (où on voit très bien les évents actifs en bordure de cratère, comme si la colonne de magma qui l'occupait libérait ses gaz au contact des parois de la cheminée, pas de façon aussi franchement annulaire, mais pas loin)..

    Certaines explosions du Sakurajima (voir sur Photovolcanica) semblent également démarrer de façon latérale, de 2 cotés opposés aux cratère, mais dans ce cas le sommet de la colonne de magma doit être pulvérisé ensuite, parce que la suite du panache se forme au centre et de façon très puissante = fragmentation en masse ou dépressurisation d'une poche de gaz superficielle qui fait sauter le bouchon?

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    1. Ah! En ce qui concerne le Colima, je laisse volontiers le clavier à Robin :-). Il me semble aussi m'être fait la remarque sur le colima, pas sur le Sakurajima (mais pourquoi pas). Et ça ne doit pas être les seuls. Je me souvient m'être fait la remarque pour le Semeru aussi (pas toujours, mais parfois ça ressemble: https://www.youtube.com/watch?v=IQu-PYzV7gE).
      Ca ne doit pas être hyper rare à partir du moment où un plug se met en place j'imagine.

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    2. https://www.youtube.com/watch?v=_oulgUoyKaA

      Du grain à moudre... Ca y ressemble bien non? (avec quelques phases d'activité plus typiquement vulcanienne)

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