16 décembre 2015

L'éruption du volcan Fuego à nouveau en hausse (mis à jour 17 décembre)

Les derniers bulletins de l'INSIVUMEH sont clairs: l'activité strombolienne classique est à nouveau en hausse pour la 12ème 13ème fois cette année. Cette nouvelle phase a débuté hier avec une augmentation de la fréquence des explosions (4 à 6 par heure hier, peut-être plus aujourd'hui) mais surtout l'apparition des coulées de lave. Une seule était décrite hier dans le bulletin quotidien (publié le matin) mais dans le bulletin spécial édité en milieu de journée, deux coulées étaient déjà répertoriées. Et le bulletin émis aujourd'hui fait état d'une troisième...
Situées dans les ravines Trinidad, Santa Teresa et Las Lajas (flancs sud-ouest, ouest et sud) elles étaient longues alors d'environ 800 m pour les deux premières hier soir, le dernier bulletin ne précise pas la longueur de la troisième
L'une des caractéristiques de ces phases d'activité plus intense ce sont les images de la webcam de l'Observatoire du Fuego (OVFGO): elles sont saturées en permanence dans l'infrarouge lorsqu'elle est en mode nuit. En mode jour, c'est le panache de gaz, qui contient un peu de cendres, qui se révèle assez caractéristique: assez dense et alimentée en continue, il résulte de la forte activité explosive en cours, et se différencie donc des panaches intermittents de l'activité strombolienne normale. Actuellement les projections presque ininterrompues de blocs et de bombes s'élèvent jusqu'à environ 400m de hauteur d'après l'INSIVUMEH.
L'activité strombolienne normale. Image: OVFGO/INSIVUMEH/USAID/Michigan Tech
L'activité strombolienne intense actuelle. Image: OVFGO/INSIVUMEH/USAID/Michigan Tech
Le panache de l'activité strombolienne normale. Image: OVFGO/INSIVUMEH/USAID/Michigan Tech
Le panache de l'activité strombolienne intense. Image: OVFGO/INSIVUMEH/USAID/Michigan Tech
Pour l'heure il n'y a pas de problème particulier concernant cette nouvelle phase mais les différentes composantes des gestions de crises, observatoire et CONRED sont en vigilance afin de pouvoir agir rapidement si l'activité devienne vraiment intense. Si vous avez suivi les précédentes crises sur ce blog vous savez déjà que la principale crainte est double:
- la formation d'écoulements pyroclastiques à partir des coulées de lave, si leur débit devient trop important (cela les rends instable dans les fortes pentes du stratovolcan)
- la formation de lahars (coulées de boue) à cause des dépôts mis en place par les phases les plus intenses

On peut bien sûr se demander pourquoi l'activité fonctionne ainsi par cycles, durant lesquels alternent phases d'activité strombolienne normale et phases plus intenses arrivant parfois au paroxysme.

Des volcanologues se sont penché évidemment sur la question, et ont tenté de trouver les clés du fonctionnement actuel du Fuego. "Actuel" ici ne signifie pas "ce qu'il se passe aujourd'hui ou ces derniers mois", mais plutôt "ce qu'il se passe depuis la fin des années 90", car la crise en cours a débuté en 1999.

Lors d'une étude publiée suite à deux années complètes de suivi de l'éruption du Fuego, entre 2005 et 2007, les volcanologues J.J.Lyons, G.P.Wait, W.I.Rose et G.Chigna ont émis l'idée que les cycles d'activité pouvaient être le résultat de la présence, en profondeur, d'une structure sous la quelle du gaz pouvait s'accumuler progressivement. Dans ce modèle, le magma est émis plutôt tranquillement tant lorsqu'une partie du gaz reste bloqué: c'est la phase strombolienne classique, peu intense au Fuego. Mais quand la quantité coincée devient trop importante une grosse bulle se forme et remonte, ce qui déclenche la phase plus  intense: il s'agirait d'une illustration du modèle développé à la fin des années 80 par C.Jaupart et S.Vergniolle (IPGP).

Il ne s'agit bien sûr là que d'un modèle qui vise à expliquer l'ensemble des paramètres mesurées (et leurs variations) et les observations faites entre 2005 et 2007 mais cela semble fonctionner, au moins dans les grandes lignes. Mais une autre étude publiée en 2011 par deux des auteurs de l'étude précédente,  à savoir J.J.Lyons et G.P.Wait, visait à mieux comprendre l'activité en mesurant notamment la sismicité. Leur conclusion est cohérente avec le système de formation d'un bouchon* mais les données semblent aussi indiquer qu'une poche de magma est située sous le versant sud-ouest, à environ 300m à l'ouest du sommet (vers 3500 m d'altitude). Elle est visiblement localisée à l'intersection de deux failles internes à l'édifice, et elle bizarrement orientée: en plutôt plate, elle penche de 35° vers le sud-ouest. Les auteurs supposent que du magma s'est accumulé sous une ancienne coulée, assez résistante et imperméable: il s'agirait donc d'un sill de magma**. Cette structure jouerait-elle un rôle actif dans le fait que l'activité fonctionne par cycles, en retenant par exemple une partie du gaz comme évoqué plus haut? Cela reste à déterminer: G.P.Wait m'a confirmé que le modèle ci-dessus devrait probablement être réévalué mais restait pour l'heure valable dans les grandes lignes.

* le modèle fait appelle à la perte d'H2O au cours de la remontée, ce qui augmente la viscosité, elle-même a encore accentuée par la formation de microcristaux
** un dyke est une accumulation de magma dans une espace libre (faille, fissure) qui recoupe, traverse des structures antérieures à lui (anciennes coulées, anciens sédiments, tout ce que vous voulez). Un sill à l'inverse est une accumulation de magma qui se fait en longeant, sanas les recouper, des structures précédentes. Ici le magma se serait agglutiné sous une ancienne coulée et aurait donc pris la même orientation qu'elle.


Mise à jour 18h04

Un nouveau bulletin spécial de l'INSIVUMEH indique que les coulées font:
- 2000m dans la ravine Trinidad
- 1500 m dans la ravine Las Lajas
- 1200m dans la ravine Santa Teresa

La hausse du débit de l'effusion est donc très significative et la probabilité que des écoulements pyroclastiques fassent leur apparition a augmenté (rappel: une probabilité n'est pas une certitude).

Mise à jour 17 décembre 11h05

Les derniers bulletins de l'INSIVUMEH font état d'une baisse de l'activité depuis hier en fin de journée, après une 20ène d'heure d'activité intense mais, heureusement sans écoulement pyroclastique. Les coulées sont toujours présentes pour le moment mais on peut aussi noter au moins une avalanche de blocs assez importante. Très brusque, elle démarre de la zone sommitale et non des coulées mais le plus important à remarquer la concernant, il me semble, est qu'elle n'est pas liée à des explosions: il ne s'agit pas de blocs qui retombent et roulent après avoir été projetés en l'air.

Avalanche de blocs qui n'est issue ni d'une explosion ni de l'effritement d'une coulée de lave. Image: OVFGO/INSIVUMEH/USAID/Michigan Tech

On sait que l'accumulation rapide de fragments de lave (blocs,bombes, cendres, lappilis) amène à la formation d'un "tas" dont la stabilité dépend beaucoup, peut-être même essentiellement, du substrat sur lequel il repose. Un substrat horizontal permettra au tas d'être évidemment plus stable que si le substrat est penché. Or ici les phases d'activité intense se sont enchainées à un rythme important depuis le début d'année (plus d'une par mois) et on sait qu'une partie des projections se sont accumulées au sommet,  sur la si petite et étroite zone sommitale bordée de pentes à plus de 35°: on peut difficilement imaginer un substrat plus défavorable à la stabilité des accumulations de blocs/bombes/cendres/lappilis.
Du coup on peut supposer que l’avalanche ci-dessus, et peut-être d'autres (les images sont peu claires, à cause des nuages) est liée à l'effondrement d'une partie d'un tas de lave accumulé sur le bord du cratère.

Sources: OVFGO/INSIVUMEH/USIAD/Michigan Tech; G.P.Wait

4 commentaires:

  1. Bonjour,

    Magnifique blog, fascinant tant par la qualité des informations que par les efforts qui sont faits pour tout rendre compréhensible aisément à un profane...

    Petite question: ce type de fonctionnement sur un volcan basaltique (à ma connaissance), calme, explosions stromboliennes puis paroxysme à fontaines d laves, me rappelle étrangement une vieille connaissance volcanique pas très loin de chez nous, qui a joué au même jeu en début de mois de façon spectaculaire, et qui est coutumier du fait depuis l'antiquité... Notre bien aimé Etna, avec ses éruptions de fontaines de laves démentielles lorsqu'il est dans un cycle d'activité sommitale, ne pourrait-il pas fonctionner de la même façon? (pressurisation d'une chambre magmatique superficielle dont le couvercle est constitué par une structure plus résistante, tant que la pression est basse rien ne se passe comme maintenant, dés que la pression augmente des fuites se produisent sur l'un des 4 cratères et une activité strombolienne se déclenche, et lorsque la pression atteint un seuil critique le bouchon d'un des cratères saute et tout le contenu de la chambre magmatique est vidé explosivement en une heure ou deux, puis le cycle recommence)?

    Juste le fruit de quelques réflexions...

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    1. Bonjour, et merci pour votre enthousiasme concernant ce blog :-)
      Vous avez vu juste, du moins selon les auteurs des études dont j'ai parlé plus haut. En effet l'article publié suite aux deux années d'observations du Fuego fait cette comparaisons entre l'activité cyclique du Fuego, les cycles paroxysmaux de l'Etna, en particulier au début des années 2000, et certaines phases de l'éruption du Mauna Ulu au Kilauea entre 69 et 71.
      Je ne sais pas si le modèle proposé dans cet article, paru en 2009, et bon mais en tout cas la comparaison Fuego:Etna a bel et bien été faite.
      Bien vu donc ! :-)
      Bonne journée

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    2. Merci beaucoup pour la réponse, et encore félicitations!!

      Dans le même genre, je me demandais si ce qu'on a vu au Villarrica en début d'année (la grande éruption de fontaines de laves précédée d'une activité strombolienne croissante) n'était pas totalement comparable.. A chacune de ses éruptions historiques, il a fait ça.

      https://www.youtube.com/watch?v=Uh5dxocLqLU

      En fait, ça a l'air d'être un mode de fonctionnement classique des volcans basaltiques, que l'on dit "non explosifs"...sauf quand ils le sont!

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    3. Bonjour Alcide. Je ne suis pas sur qu'il faille comparer la situation du Fuego et du Villarica....mais je ne suis pas non plus sûr du contraire :-) Pas assez de données pour être sûr mais il y a effectivement des points communs: les deux systèmes sont en conduit ouvert notamment. La cyclicité de l'activité du Fuego est peut-être due à la présence de la poche à faible profondeur (le sill) qui pourrait avoir un effet tampon et provoquer la cyclicité. Si cela manque au Villarica, cela peut expliquer la constance de son activité, contrairement à celle du Fuego.

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