21 décembre 2015

Eruption récente dans les Mariannes

La découverte a été faite, au tout début du mois, pendant une mission d'exploration des fonds de l'archipel des Mariannes par le Schmidt Ocean Institute. Elle n'a été possible que grâce à la cartographie précise de la zone par plusieurs méthodes, dont l'utilisation d'un sonar, d'un CTD Tow-yo* et de véhicules type ROV et AUV (pour tout savoir sur les robots explorateurs de volcans et leurs différences, voir ce sujet).

1- La mission d'exploration

Elle a eu lieu en novembre-décembre à bord du navire Falkor du Schmidt Ocean Institute. Elle avait pour but la cartographie précise d'une bande longue d'environ 600 km du nord au sud et large d'une quarantaine de kilomètres, à l'ouest des îles Mariannes. Il s'agissait, pour les différentes équipes de chercheurs embarqués, de localiser et caractériser les principales zones hydrothermales, grâce à des mesures de bathymétrie, des échantillonnage d'eau, des photos etc, etc. D'un point de vue purement géologique, elle correspond à ce que l'on appelle un Bassin Arrière-Arc (BAA). Ces BAA sont des sites géologiques très particuliers où la tectonique, et généralement le volcanisme associé, sont très importants. Je passe ici sur l'aspect purement technique du mécanisme de formation des BAA (rollback slab etc) mais ce qu'il faut savoir c'est qu'il s'agit de zones d'une grande complexité géologique. S'y côtoient des fosses très profondes (-11034 m pour le point le plus bas de la fosse des Mariannes), des plaines, des falaises, des monts sous-marins dont certains émergent hors de l'eau pour former des îles. Certaines d'entre elles sont d'origine volcanique (tel ce bel exemple entre décembre 2014 et janvier 2015) tandis que d'autres, comme Guam par exemple, sont des sédiments déposés au fond de l'océan puis agglutinés en immenses talus dont le sommet dépasse hors de l'eau.
S'ajoutent à cela les sites hydrothermaux sous-marins ("fumeurs noirs"), où la vie y est si particulière.
L'animation 3D ci-dessous montre bien la complexité de la topographie sous-marine dans le bassin Arrière Arc des Mariannes.



2- La découverte

C'est donc au début du mois,le 04 décembre, alors que la mission avait entamé l'étude de la portion n°5 de la zone planifiée, que le CTD Tow-Yo a permis de décrocher le jackpot: une vaste zone d'évents hydrothermaux, dont le 4ème plus profond sur Terre, parmis les plus de 700 sites déjà découverts. Profondeur: -4230 m**.
Détection du panache de particules relâchées par l'activité hydrothermale. Image: SOI/Sharon L. Walker

Mais cela ne s'arrête pas là: les photos prises par l'AUV Sentry dans la zone ont permis de découvrir de nouvelles coulées de lave, bien sombres et absolument dépourvues de sédiments: leur âge ne pouvait être que très récent.

Contraste frappant entre des coulées de lave gis claires anciennes et celles, très récente,s plus sombres. Image: SOI/Sentry AUV

Les chercheurs n'ont pas attendu pour tenter d'en savoir plus concernant ces laves. Ils ont eu la très bonne idée de comparer les données bathymétriques récoltées dans la zone lors d'une mission en 2013 à celles, en haute définition, récoltées par l'AUV Sendry début décembre. Et en effet, une différence importante de la topographie s'est faite jour: une série de monticules de lave s'est formée entre les deux campagnes océanographiques. Une éruption a donc eu lieu par 4200 m de fond en toute discrétion.
Pour les chercheurs il est facile de faire la différence (la soustraction) entre les deux jeux de données (2013 et 2015) afin d'estimer le volume de lave des monticules: 60 millions de mètres cubes (0.06 km3) ont été émis lors de cette éruption invisible. Les monticules sont alignés sur une fissure orientée nord-sud, longue de 7km et sur laquelle plusieurs évents ont libéré les coulées. C'est au nord que l'épaisseur de lave accumulée est la plus importante: 127 m de pillow lava.

Comparaison des données bathymétriques en 2013 et 2015. Les traits noirs entourent les zones où un ajout de matière a eu lieu. Image: Susan G. Merle/SOI

La concordance des deux découvertes, intense activité hydrothermale et traces d'éruption récente, pose évidemment la question de leur lien potentiel. Les chercheurs à bord du navire ont évidemment débattu ce point, mais pour eux cette concordance est d'abord fortuite. En effet l'activité hydrothermale qui subsiste après une éruption sous-marine est plutôt faible sur le site où elle s'est déroulée, ce qui est incompatible avec l'intensité de l'activité des évents découverts le 4 décembre. Par ailleurs, la localisation des coulées correspond à un site localisé un peu au sud des évents hydrothermaux principaux, à un endroit où l'activité hydrothermale est, justement, plus diffuse.
La zone d'activité hydrothermale principale est donc probablement pérenne. Mais il ne peut être exclu que l'activité magmatique qui a conduit à l'éruption ait pu la renforcer:
- par l'ouverture de nouvelles fractures (infiltration d'eau supplémentaire) et/ou...
- ...une arrivée de magma nouveau, donc de chaleur et de divers éléments minéraux, etc.

3- Conclusion

Une des questions favorite des médias quand ils arrivent à avoir un volcanologue ou un volcanophile au bout du micro est: "combien d'éruptions y a-t-il chaque année?". Et de bon coeur la réponse est peu ou prou toujours la même: 40, 50, 60 répondent les invités. Sans jamais, oh grand jamais, préciser qu'il ne s'agit que des éruptions aériennes.
Chères lectrices, chères lecteurs, la prochaine fois que vous entendrez la question à la radio, rappelez vous que:
- la zone volcaniquement la plus active du globe, se sont les fonds océaniques, au niveau des zones de divergence de plaques: rides (médio atlantique, pacifique etc) et bassins arrière arc.
- que cette zone est aussi la plus vaste et la moins connue du globe et qu'en conséquence...
-.. on ignore totalement combien d'éruptions s'y déroulent chaque année.

De facto, on ne sait pas encore comptabiliser précisément le nombre annuel d'éruptions terrestres. On ne sait le faire que pour celles qui sont aériennes, et une partie de celles qui sont sub aériennes, qui constituent la portion la moins importante du volcanisme.

Bref, à la question des médias la seule réponse qui soit finalement valable est :"on ne sait pas", suivi de quelques précisions évidemment. Et l'avantage à cette réalité c'est que la question, récurrente sur le web: "y a-t-il plus d'éruptions maintenant qu'avant?" devient (enfin) obsolète.


Source: Schmidt Ocean Institut. Merci à K.H.Rubin de l'Université d'Hawaï.

* le CTD Tow-Yo est un appareil de mesure et d’échantillonnage tracté ("to tow" en anglais) par un bateau. CTD signifie "Conductivity, Temperature and Depth" ("Conductivité, Température et Profondeur") et se réfère aux paramètres mesurés par l'appareil. "Tow yo" se réfère à la manière dont les mesures sont faites: depuis le bateau tracteur on enroule et déroule successivement le câble de fixation du CTD ce qui fait varier sa profondeur au fur et à mesure de sa profondeur, un peu comme un yoyo (d'où le "yo"). C'est un outils utilisé pour la détection des évents hydrothermaux sous-marins.

** pour l'heure, on ne connait de manière assez précise qu'environ 10% des fonds marins. Le reste est inconnu dans le détail: les fonds océaniques, tel celui visualisé sur Google Earth par exemple, n'est cartographié que par satellite avec une définition qui varie de 1000m à 1850 m par pixel...autant dire qu'on a aujourd'hui une vision aussi claire du fond des océans qu'Hubble en avait des objets lointains avant sa correction.


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