Vraiment, les surprises s'accumulent et les superlatifs manquent pour décrire cette éruption. J'avais commencé hier la rédaction d'un post concernant l'instabilité du cône actif mais ce matin l'OVPF annonce que le trémor a subit une brusque baisse d'intensité: le lac de lave a disparu! Et d'après ce que montrent les images de la webcam du Piton de Bert, ce fut un événement rapide (je n'ose pas employer le terme "instantané" même si c'est l'effet que ça fait, vraiment).
Pour ne pas gâcher le travail d'hier, la première partie du post sera donc dédiée au cône, comme prévu, la seconde décrira la situation en cours. Je précise tout de suite que l'OVPF n'a pas encore déclaré la fin de l'éruption: des bouffées de trémor étant encore enregistrées et, par ailleurs, la lave coule toujours dans les tunnel. Or une éruption se définit d'abords par une émission de lave et en ce moment la lave coule toujours dans les tunnels. Il n'est par contre pas exclu que l'éruption soit entrée dans sa dernière ligne droite que l'activité se termine effectivement dans les heures/jours qui viennent.
1°) Le cône éruptif et son instabilité
Le bulletin de l'OVPF en date d'hier décrit un phénomène tout à fait incroyable et qui était un autre indicateur, finalement, de l'intensité de l'activité: l'instabilité chronique du cône actif, qui est un gros spatter-cone pour le coup (et non un hornito, cf post précédent).
Le bulletin explicite ce qui avait été déjà décrit par l'OVPF dans la presse à savoir une augmentation significative de l'activité ces derniers jours. Le trémor en particulier est connu une très forte progression à partir du 13-14 octobre.
Au niveau des phénomènes externes, observables directement, cette hausse de l'activité s'est distinguée par le percement du ou des tunnel(s) d'acheminement dans une zone qui n'avait pas ou très peu été affectée par ce phénomène. En effet entre le début du mois et le 13 octobre, seule la zone où progressaient les coulées pahoehoe montrait des fronts de coulées actives, comme par exemple sur cette image prise le 09 octobre sur laquelle on voit bien que la zone des tunnels est noire, sans coulées récentes.
Durant les 13 premiers jours de l'édification du champ de lave pahoehoe la zone des tunnels s'est très peu éventrée. Image: OVPF/IPGP |
Mais à partir du 13 octobre, moment où le trémor marque une hausse signe d'un débit plus important, des percements de tunnels à répétition se produisent sur la zone du(es) tunnel(s): elle devient plus fragile sous l'effet de la plus grande quantité de lave qui y transite. Ce sont simplement des ruptures de canalisations finalement. A titre d'exemple (et il y en a beaucoup) vous pouvez regarder l'image prise le 15 octobre et mise en début du post d'avant-hier. Il est interessant de noter qu'à partir du 16 octobre, jour ou un énorme percement a eu lieu la zone des coulées pahoehoe est devenue bien moins active: ce percement a visiblement dévié une grosse part de la lave qui alimentait ce champ de lave.
L'autre signe, moins visible sur les images de la webcam, est donc l'instabilité du spatter-cone décrit par l'OVPF, et dont voici un exemple, une photo tirée du bulletin d'hier. Je me suis permis un rapide montage pour expliciter ce que montre l'image pour les personnes non habituées à la lecture géologique.
Le cône est instable. Image: OVPF/IPGP |
Mais en quoi cette instabilité est le signe de l'intensité de l'activité? Vous vous souvenez que le spatter cone est l'accumulation de lambeaux projetés. Ici le moteur de la projection est le brassage du lac de lave qui occupait le cratère, brasage issu de l'arrivée de bouffées de gaz. Ces lambeaux ne s'élevant que très peu en l'air ils ne perdent que peu de chaleur avant de toucher le sol: ils restent chaud et mous, déformables (ductiles). La résistance mécanique d'un tel édifice est peu importante lorsque l'éruption dure car la colonne de magma qui est piégée à l'intérieur maintient à haute température l'édifice en construction: la soudure entre les lambeaux reste donc peu efficace et les parties les plus fragiles peuvent céder sous le poids du lac et sous les coups de boutoir que peut constituer son brassage intense. L'image ci-dessus montre ainsi le décrochement d'un panneau entier du cône et la libération d'une partie du lac de lave.
2°) Le brusque changement de régime éruptif
Ca c'est vraiment la grosse surprise qui méritera, je pense, d'être étudiée dans le cadre de la compréhension de la dynamique interne d'une éruption: l'arrêt brutal de l'activité type "lac de lave". Un arrêt aussi brutal pose la question du mécanisme qui maintenait en place ce lac: quel subtile équilibre était donc à l'oeuvre là dessous? Comment intérpréter la hausse importante du trémor ces derniers jours, simultanée à une déflation, qui se termine par la disparition quasi instantanée (zut je l'ai écrit) du lac?
Chronologiquement, la situation est restée la même que ces 2 derniers jours jusqu'en fin de nuit. Les personnes sur place ont pu jusqu'à ce moment-là observer le lac brassé, les tunnels de lave qui se perçaient, même si les coulées qui s'en échappaient semblaient moins importantes que celles des jours précédents, etc.
Le cône très actif et des tunnels qui s'éventrent au levé du jour: un spectacle similaire à celui des jours précédents. Image: OVPF/IPGP |
Tout à changé à l'Observatoire à 08h02 lorsque le trémor commence à chuter brutalement. Sur les images des webcams le changement est tout aussi brusque: le panache de gaz libéré par le lac est encore intense à 03h57 TU (07h57 heure locale) et il presque complètement disparu sur l'image prise à 04h03 TU (08h03 heure locale): simplement ahurissant!!!
L'activité du lac de lave juste avant et juste après l'heure fatidique de sa disparition. Images: OVPF/IPGP |
Une telle variation d'activité ne peut pas rester sans conséquences pour le cône. Déjà on a vu dans le paragraphe précédent que sa construction avait été ces derniers temps entrecoupée de phases de destructions partielles, dues à son instabilité (elle-même étant une évolution normale). Imaginez qu'en quelques instants toute la colonne de lave qui occupait le cône a disparu, vidangé, vraisemblablement partie dans la tuyauterie des tunnels de lave! D'un seul coup, plus de pression mécanique exercée par le lac sur les parois, qui sont qui plus est fracturées et fragilisées. On peut imaginer alors que des morceaux entiers du cône se sont retrouvés instables et, de facto, se sont effondrés. Cela pourrait alors expliquer la succession de panaches marrons que la webcam a pu capturer dans la demie-heure qui à suivie la disparition du lac.
Émission d'un panache de cendres de teinte marron au niveau du spatter-cone. Image: OVPF/IPGP |
La façon dont le lac a disparu laisse évidemment perplexe. L'activité du Bardarbunga dans la plaine d'Holuhraun avait, vue de l’extérieur, quelques similitudes (je dis bien "quelques") avec un spatter-rempart (rien de moins qu'un spatter cone mais allongé) rempli par un lac de lave. Mais pour cette éruption Islandaise le mécanisme qui maintenait le lac actif était plutôt bien contraint (l'effet piston de l'affaissement de la caldera) et l'épuisement de l'activité a été progressif: le lac s'est progressivement encroûté tout en se vidangeant par les tunnels, simultanément à l'arrêt progressif de l'affaissement de la caldera.
Ici rien de tout ça: tout s'arrête brusquement ce qui signifie que ce qui maintenait le lac en place a disparu brusquement.
C'est une situation qui est "volcanologiquement" intéressante car elle n'est pas du tout fréquente et pose la question:
* de l'organisation interne des conduits: comment sont organisés les conduits qui alimentait le lac et ceux qui alimentent les coulées?
* du régime de dégazage de la colonne de magma (le gaz est l'un des composants essentiels du maintient des lac de lave)
* du lien avec l'évolution avec les paramètres géophysiques qui permettront de faire des hypothèses sur la manière dont l'activité a évolué à plus ou moins grande profondeur avant d'évoluer brusquement en surface, etc.
Quoi qu'il en soit, étant donné que, vu leur dégazage, les tunnels sont toujours plein de lave et que, par ailleurs, ont peu voir plus en aval des front de pahoehoe avancer, l'éruption est toujours en cours. Au pire la fin du lac de lave est un signe avant coureur de la fin de l'éruption mais en aucun cas un synonyme contrairement à ce que titre une partie de (mais pas toute) la presse réunionnaise ce matin.
Affaire à suivre, évidemment.
Mise à jour 19h57
Maintenant que la nuit est tombée sur l'île, il est facile de constater que le calme est revenu au sud du Dolomieu. Plus de lumières étincelantes là où les coulées parvenaient à percer la carapace durcie de leur surface. Il ne reste plus que de vagues lueurs au niveau de la plate-forme des coulées Pahoehoe et deux spot légèrement brillants au niveau de la zone des tunnels d'alimentation de ladite plate-forme. Il peut s'agir, et c'est vraisemblablement le cas, de skylights, zone où le toit des tunnels est effondré. La lave coule-t-elle encore dans les tunnels ou la source est-elle complètement tarie? Là je ne sais pas du tout mais le trémor semble avoir totalement disparu: ces lueurs pourraient n'être que résiduelles, le reste de lave encore suffisamment fluide finissant de s'écouler.
Une image presque triste: les dernières lueurs de l'éruption. Image: OVPF/IPGP |
La disparition du trémor ce matin est tout simplement ahurissante, comme le montre ce sismogramme partagé par Fournaise.info. Finalement "instantané" est une adjectif approprié.
Posté par Fournaise.info sur dimanche 18 octobre 2015
Mise à jour 19 octobre, 07h50
L'OVPF a publié un bulletin ce matin qui indique que l'effusion, donc l'éruption, est terminée mais qu'une sismicité a repris sous l'édifice. Pour le moment la Préfecture n'a fait aucun communiqué particulier : l'alerte reste à 2-2 et l'accès à l'Enclos est toujours interdit sans autorisation.
Sources : OVPF/IPGP, Fournaise.info
passionnante cette éruption...
RépondreSupprimermerci de votre analyse
Bonjour, et merci :-)
SupprimerBonsoir...
RépondreSupprimerQUI a tourné le robinet ? ;)
Vraiment fascinant cette arrêt soudain de la source de la lave.
Bonsoir.
SupprimerEt bien justement j'aimerais aussi le savoir! :-)
Bonjour
RépondreSupprimerj'ai hâte de savoir si cette sismicité se traduit par la poursuite de la déflation de l'édifice (réservoir de lave vide), avec une possibilité d'effondrement ( ??).
ou au contraire par une inversion, une inflation, qui traduirai une continuité dans l'alimentation du système, qui rappelons le, est en place depuis plusieurs mois.
Dans ce dernier cas, il serait très intéressant de comprendre l’arrêt instantané du trémor: un mouvement de terrain colmatant les tuyaux ? et présagerait sans aucun doute d'une prochaine éruption.
Vraiment passionnant tout cela.
Autant durant l'éruption il me paraissait "sans danger" de descendre dans l'enclos, autant cela me parait très risqué à ce jour: l'édifice doit reprendre un équilibre, et cela peut se traduire par des mouvements de terrain imprévisibles et brutaux.
Bonne journée à tous, Thomas.
Je pense que les données géophysiques et géochimiques ainsi que les observations de terrain devraient permettre de bien contraindre cette activité dans le contexte de la réalimentation. J’aimerai être scientifique à l’observatoire par les temps qui courent !
SupprimerJ’ai une hypothèse à proposer. Pour commencer, imaginons que la réalimentation se fasse par bouffées plutôt que de manière continue, ce que l’on peut supposer. Ensuite, l’arrêt de l'activité est la conséquence soit du tarissement en magma, soit de celui en gaz (ou les deux). Vu l'activité explosive du 17 octobre, on peut raisonnablement penser que ce soit plutôt un tarissement en magma, ce qui est alors concordant avec une réalimentation par bouffées. On serait tout simplement arrivé à la fin d’une bouffée de réalimentation. Plus de magma disponible = arrêt de l’activité.
Pour ce qui est du terrain, les abords du spatter-cone et le champ de lave pahoehoe sont, en effet, assez dangereux.
Bonne soirée,
Ludovic
A Thomas Lecomte
SupprimerBonjour. Une déflation ne signifie pas un réservoir vide mais plutôt un réservoir plein mais dépressurisé, ce qui est différent. Pour analogie: un ballon dégonflé reste un ballon plein d'air, mais à la même pression que la pression atmosphérique.
Au delà de cette remarque tout à fait annexe, la question de l'arrêt de cette éruption, dans le contexte de la recharge magmatique qui a lieu depuis déjà quelques mois et après plusieurs semaines d'une activité éruptive folle, est centrale je pense en effet.
A Ludovic
Les remontées par bouffées me semblent en effet être une réalité. On peux le voir à toutes les échelles: de la source mantellique aux réservoirs intermédiaires, puis de ces derniers jusqu'aux réservoirs superficiels puisque de ces derniers jusqu'à la surface, puis même pendant l'éruption où les coulées progressent par à coup, ce qui ne se voit presque pas à l'oeil nu mais est parfaitement clair en time-lapse.
Par contre j'avoue ne pas comprendre l'expression "tarissement en magma", qui évoque pour moi un brusque retrait de la colonne magmatique en profondeur, incompatible avec le dégazage très abondant quelques minutes avant l'arrêt de l'éruption. Est-il possible d'expliciter cette idée? Car j'ai peur de ne pas me la représenter correctement.
Pour moi le système reste plein de magma, plus ou moins riche ne gaz je ne sais pas, mais qui ne peut plus sortir pour une raison autre que le manque de gaz. Un blocage du système, par des mouvements sous-terrains "fermant le robinet" pour reprendre l'expression laissée en commentaire par Matthieu et Chloé me paraitrait plus vraisemblable tant ce fut brusque. Il serait interessant de voir si dans les données sismiques il n'y aurait pas un événement, ou une série d'événements, noyés dans le bruit du trémor par exemple vers 08h02. On m'a même demandé si il ne serait pas possible que la magma ait finit par partir, en sous-terrain, dans une des rift-zones comme ça peut se produire à Hawaï. Il n'y a rien qui indique ce type d'évolution pour l'heure mais je suppose que les déformations et la sismicité vont être scrutées.
Une remarque concernant un autre sujet, similaire mais annexe, à propos de l'éruption de 2003. Le livre "historique des éruptions du Piton de la Fournaise de 19998 à 2007" distingue 4 éruptions en 2003: mai-août-septembre-décembre. Il est interessant de noter qu'au Global Volcanism Program une seule éruption, qui a duré de mai 2003 à janvier 2004 (VEI 1) est décrite. La définition d'une éruption est donc subjective.
Pour reboucler avec l'éruption en cours: la fin brutale du 18 octobre, similaire à celle de l'éruption d'août 2003, signe-t-elle la fin d'une éruption ou la phase d'une première phase d'une éruption? C'est un peu la question sous-jacente, qui justifie aussi que le plan ORSEC n'est pas été remis en vigilance mais juste abaissé en "Sauvegarde" aujourd'hui.
Très bonne journée.
Ça reste une thèse personnelle, en lien direct avec ma perception de la zone interne du Piton de la Fournaise.
SupprimerL’éruption d’avril 2007 marque un tournant et est pour moi le point de départ de cette idée. Ce qui est certain, c’est que lors de cette éruption, le système magmatique s’est partiellement vidangé et que depuis il n’y avait pas traces d’une réalimentation. Cela semble maintenant être en cours.
Les éruptions post-2007 sont interprétées comme des éruptions de ces résidus, probablement sous la forme de petites poches « indépendantes ». Cela donne déjà des clés sur la question de l’arrangement, la forme et le fonctionnement de ce réservoir magmatique. Pour moi, ce réservoir est plutôt inoccupé, chaotique…du moins jusqu’au début de la réalimentation. Je pense que c’est là où nos perceptions divergent.
Mais cette éruption d’août 2015 ne ressemble en rien à ces éruptions résiduelles, tant au niveau du volume que de la phénoménologie éruptive ou des magmas émis. Justement les magmas. Ayant observé la minéralogie des laves tout au long de l’éruption, j’ai la certitude que le magma en début d’éruption n’est pas le même qu’à la fin. Mais avant de parler d’une participation du magma profond, il faut attendre les analyses géochimiques. Mais on peut imaginer que c’est bien lui. Ainsi dans ce contexte de réalimentation d’un magma profond qui a pris « le relais » du magma résiduel du début d’éruption, et bien on serait tout simplement arrivé à la fin d’une bouffée d’alimentation. Oui, cela évoque un brusque retrait de la colonne magmatique mais pour moi le dégazage abondant avant celui-ci n’est pas incompatible car le magma profond est riche en gaz. A 08h02, il n’y a tout simplement plus eu de magma disponible et donc de gaz, ce qui n’étais pas le cas quelques minutes auparavant.
Plutôt qu’une fermeture du robinet, je vois plus une coupure d’eau pour rester dans le thème. Ce qui est sûr, c’est que les scientifiques de l’observatoire ont plus de cartes que nous ; données sismiques entre autres. Et j’espère qu’ils en auront assez pour bien avancer la partie.
Pour l’autre sujet, c’est à moi de marquer mon étonnement quant à l’interprétation du Global Volcanism Programm. Je ne sais pas sur quoi ils se basent car ces éruptions sont bien distinctes, tant au niveau de la localisation qu’au niveau géophysique. On a quand même entre dix jours et deux mois d’intervalle entre les éruptions. La définition d’une éruption doit être claire : lave = éruption. Ainsi, pour moi, l’éruption est belle et bien terminée.
La science…
Bonne soirée, également.