23 septembre 2015

Le VUI: l'outil pour décrire l'état d'agitation des volcans

"Le volcan Mauna Loa vient de passer en alerte jaune" (sur une échelle à 4 niveaux).
"Le volcan Hakone passe en alerte niveau 2" (sur une échelle à 5 niveaux)
"Le volcan Bulusan passe en alerte niveau 1" (sur une échelle à 6 niveaux)
"Le volcan Copahue reste en alerte jaune" (sur une échelle à 4 niveaux)
"Le massif volcanique Chiles-Cerro Negro passe en alerte orange"
Etc...

Tous ces messages se ressemblent et ont un point commun: ils tentent de décrire, par une valeur ou une couleur, le niveau d'activité dans lequel se trouve un volcan, alors qu'ils ne sont pas éruption. Ils sont basés sur ce que l'on appelle un VAL (Volcanic Alert Level) mais, pour autant, ils ne recouvrent pas
tous la même réalité concernant l'activité du volcan concerné. En effet tous les VAL ne se valent pas, si je puis dire, puisque certains sont basés sur des chiffres, d'autres sur des couleurs, certains ont 4 niveaux, d'autres 5 ou 6.

Mais tous les volcans ci-dessus ont en commun d'être dans un état d'activité supérieur à leur normale, un état que les anglosaxons nomment l"unrest", dont la traduction littérale en Français est "agitation". Mais comment décrire au mieux cette "agitation", de manière uniforme quel que soit le volcan? Et quelle agitation mérite que l'on change de cran dans un VAL donné? L'enjeu qui se cache derrière cette question est fondamental: expliquer de la manière la plus juste un état d'agitation:
- aux personnes qui ont la charge de gérer les risques naturels, afin qu'elles puissent prendre les mesures les plus appropriées.
- au public afin que chacun puisse comprendre au mieux ce qu'il se passe, et réagir en conséquence.


Mais commençons par le début: qu'est-ce que l'"agitation"?

En termes simples, il s'agit d'une période d'activité interne à un volcan qui dépasse son activité habituelle.

Les causes de l'agitation sont variées et vont:
* de l'évolution normale d'un système hydrothermal actif, comme par exemple la rupture d'une couche de roches imperméables. Cela peut produire des secousses, des déformations et même des manifestations de surface. Il s'agit là d'un exemple d'"agitation non magmatique", c'est-à-dire qu'aucun magma n'est responsable de la situation. En général les signaux sont plutôt superficiels, puisque le système hydrothermal l'est lui-même. Je suppose, d'après les informations qui ont circulé ces derniers mois, que la crise du volcan Hakone (Japon) est dans ce cas de figure par exemple. Je préfère préciser tout de suite qu'une telle agitation peut mener à des manifestations de surface importante, voire dangereuse dans un périmètre donné. Il semble que l'explosion du volcan Ontake, en septembre 2014, en soit un exemple.

* aux signes marquants une intrusion de magma qui, à contrario de l'exemple ci-dessus, constituent une "agitation magmatique". Il s'agit souvent d'une sismicité importante, de déformations, de l'apparition de fumerolles ou de modifications de la composition de celles qui existent déjà. En général la localisation de ces signaux est plus profonde, puisque du magma remonte depuis une source profonde. Je précise tout de suite que ce type d'agitation ne conduit pas obligatoirement à une éruption, le magma pouvant rester coincé en profondeur. C'est plutôt le cas de la crise actuelle du Cotopaxi, par exemple, crise dont on attend de savoir sur quoi elle va déboucher, bien entendu.

La durée des périodes d'agitation est très variable: de quelques heures à plusieurs mois ou années ce qui, en plus de la diversité des causes, n'arrange pas la communication à propos de ce type de situation.

Pour faire un point, les principaux phénomènes qui caractérisent une période d'agitation sont:
- la sismicité d'origine volcanique
- la déformation
- l'intensité du dégazage et la composition des gaz émis

Il peuvent se produire de manière synchrone ou non, et il peut n'y en avoir qu'un ou deux sur les trois.
Et histoire de corser le tout, un édifice volcanique se met en place dans des zones tectoniques particulières qui produisent leur propre sismicité (failles d'ampleur régionale par exemple), leurs propres déformations, et parfois même leur propre circulation de fluides. Par ailleurs la manière dont chaque édifice réagit à l'introduction d'une masse de magma diffère, en fonction de sa structure interne par exemple, ce qui fait que chaque crise se déroule de manière unique, ayant sa propre durée, son propre enchainement des événements, sa propre intensité etc.

On comprend donc qu'analyser une période d'agitation demande non seulement beaucoup de mesures mais aussi une bonne connaissance du terrain local et régional, c'est à dire le contexte dans lequel s'inscrit cette agitation.

C'est dans l'objectif d'unifier au niveau mondial la description d'une période d'agitation que la chercheuse Sally Helen Potter, de l'Université de Massey (Wellington, Nouvelle Zélande) a travaillé sur sa thèse. Une partie, le chapitre 5, a été publiée dans le Bulletin of Volcanology en août sous le titre "Introducing the Volcanic Unrest Index (VUI): a tool to quantify and communicate the intensity of volcanic unrest" (Mettre en place l'"Indice d'Agitation Volcanique": un outil pour quantifier et communiquer sur l'intensité d'une période d'agitation volcanique"): c'est, en quelques sorte, l'acte de naissance de cet outil appelé VUI.

Pourquoi c'est important de bien visualiser une période d'agitation?

Cette question de l'utilisation des systèmes d'alerte, ou VAL, est au cœur même du travail de volcanologue d'observatoire. Une question résumée par l'auteur dans l'introduction de sa thèse grâce à un exemple qui l'a marquée: "si une caldera* commence à montrer des signes d'agitation, à quel "cran" doit-on placer le niveau d'alerte?". Ce qui sous-entend: "quels sont concrètement les paramètres qui doivent influencer notre jugement dans la décision de changer ou non le cran, en fonction de ce que l'on sait de cette caldera".
Car ce jugement entraînera des conséquences en terme de communication avec les autorités et leur réaction, mais aussi directement la manière dont la population va comprendre l'information, se l'approprier, et réagir.
C'est pour estimer au mieux l'importance d'une agitation, et donc la pertinence de changer le cran dans un VAL avec toutes les conséquences socio-économiques que cela engendre, que cet outil a été développé.

En effet, qu'une agitation soit d'origine magmatique ou non, le changement d'alerte qu'elle entraîne actuellement s'accompagne des mêmes conséquences.Cela peut aller de la simple fermeture d'accès à des zones dangereuses (voir les récentes crises sismiques qui n'ont pas été suivie immédiatement d'une éruption au Piton de la Fournaise par exemple), à l'évacuation préventive des personnes situées dans une zone à risques (sur le volcan Hakone par exemple).
Dans le cas d'une agitation non magmatique, qui n'aboutit à aucune activité éruptive, il est aisé de comprendre qu'une évacuation est peu utile et donc perçue comme un échec du travail des volcanologues.

Créer un tel outil demande de quantifier correctement un état d'agitation et, pour mettre au point le VUI, la chercheuse est partie du principe qu'il faut pouvoir s'appuyer de manière plus directe sur les données et observations issues de la surveillance. L’outil doit malgré tout garder une ergonomie simple et compréhensible par tous. Un défi, en somme, vu la complexité des phénomènes volcaniques et la diversité des causes qui produisent les périodes d'agitation. Un défi relevé puisque le VUI se présente sous la forme d'un tableau.

Le VUI créé par S.H.Patter. Image: Thèse de S.H.Potter, 2014
Le principe est simple: les volcanologues vont remplir les cases, lorsque c'est possible, en se basant sur ce que fournissent les données concernant les trois "pôles principaux" que sont la sismicité ("local earthquakes"), la déformation ("local déformation") et l'activité géothermale ("geothemal system and degassing"). Chaque "pôle" est divisé en plusieurs paramètres comme la durée des essaims de séismes, le taux de déformation, le flux de chaleur ou la composition des fluides, le tout étant issu des échantillonnages, mesures et autres données produites en temps réel.
Le rôle et l’expérience des volcanologues, sur les volcans dont il ont en charge la surveillance, est ici crucial. En effet les mesures, par exemple :" la sismicité en cours donne 10 secousses/jour" ou "le sol s'est soulevé de 3 cm en 1 mois" etc, vont être convertie en un score (entre 1 et 5) dans le tableau grâce à cette expertise.

Pour être plus précis, reprenons l'exemple de la sismicité ci-dessus. Sur un volcan donné "10 secousses par jour" va être considéré comme un score faible par les volcanologues qui le surveillent, parce que c'est une sismicité à peine supérieure à l'habituelle. Sur un autre volcan qui subit la même sismicité les volcanologues vont la considérer comme moyenne ou forte parce que l'activité habituelle de ce volcan est nettement plus faible.
Au final deux sismicités similaires vont être évaluées différemment, auront un score différent.
L'expérience de l'observateur est donc ici essentielle pour jauger, estimer l'importance réelle des signaux: c'est, je pense, l'élément clé de cet outil.

Pour tous les paramètres qui ont une mesure fiable les volcanologues remplissent les cases puis, au final, il font une moyenne qui donnera un score total, entre 1 et 5. Si une mesure est inexistante ou corrompue, la case correspondante est laissée vide.

Pour un score de 1, il n'y a aucune agitation particulière, pour un score de 4 et 5, l'agitation est importante et peu mener à une éruption, avec un probabilité importante pour un VUI 5.
Un VUI de 3 ou plus a de fortes chances d'indiquer que l'agitation est produite par une source magmatique, alors que les VUI faibles (1 et 2) ont plus de chance de traduire un phénomène superficiel.

Mais attention: avoir un score faible ne signifie pas qu'il n'y a pas de dangers. Par exemple, je serais assez curieux de savoir quel fut le VUI de la crise qui a précédé l'explosion de l'Ontake, en septembre 2014. Et à l'inverse subir une crise avec un VUI important ne signifie pas qu'une éruption va obligatoirement avoir lieu: là aussi, je serais curieux de savoir quel VUI serait attribué à la crise du Cerro Negro (frontière Equateur-Colombie).

Cet outil, très interessant à plusieurs points de vue me semble-t-il, permet de montrer la gradation qu'il peut y avoir dans les crises qui agitent régulièrement les volcans. Cette gradation permettra d'expliquer au mieux pourquoi une crise est importante ou non, peu ou très critique etc. Elle permettra peut-être de mieux justifier et expliquer pourquoi les autorités ont décidé de changer le cran dans le VAL et de déclencher des mesures d'évacuation, par exemple.

C'est un outil complémentaire, et similaire dans  sa construction et dans sa logique, au VEI (Volcanic Explosivity Index): le VUI décrit l'importance d'un épisode d'agitation qui peut précéder une éruption, alors que le VEI décrit l'importance d'une éruption explosive.

Merci à Erik Klemetti d'avoir porté à connaissance sur son blog (en Américain) les travaux de Sally Helen Potter.

* la thèse a porté sur l'analyse de crises des volcan Néo-Zélandais, dont la caldera de Taupo.

Sources:
Blog Eruption
Sally Helen Potter : "Communicating the Status of Volcanic Activity in New Zealand, with Specific Application to Caldera Unrest",  Thèse en Gestion des Crises, Université de Massey, Wellington, 2014

6 commentaires:

  1. Bonjour,

    très instructif, merci.

    Y'a juste ça => "Sur un volcan conné 10 secousses" :)

    Cordialement,
    At

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    1. Bonjour et merci. On a beau relire et relire encore, il reste des coquilles... :-)

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  2. Bonjour,

    Bel outil, à première vue. Je pense qu’il est temps d’unifier dans ce monde de la volcanologie qui ne cesse de grandir. Et cette étude intervient dans ce sens. Maintenant, à quand des études semblables sur un lexique de la volcanologie précis et commun par exemple ? Il serait temps…
    Concernant cette étude, la grande question est de savoir si ce nouvel index sera utilisé. Je m’interroge aussi sur la capacité de cet index de différencier une crise sismique d’une crise éruptive. Je ne suis pas sûr qu’il réussisse par exemple à différencier la crise sismique du 30 juillet du Piton de la Fournaise de la crise éruptive du lendemain…
    En tout cas, encore un bel article! J’ai particulièrement apprécié les exemples de crises ou éruptions récentes pour imager le propos… Merci et bravo !

    Ludovic

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    1. Bonjour Ludovic. Je suis d'accord: il faut avoir un langage commun en sciences. Côté volcan le plus représentatif, je pense, est par exemple la distinction entre coulée pyroclastique ou déferlante pyroclastique qui, pour les spécialistes du sujet, n'a visiblement plus lieu d'être depuis le début des années 2000. De mon côté, j'ai longtemps employé, cours d'université oblige, la différenciation jusqu'à ce que mes errances 2.0 m'obligent à mettre mon logiciel à jour :-)

      Pour répondre à votre interrogations: à priori, l'intensité du VUI contraint déjà pas mal la source avec une incertitude assez grande pour un VUI 3 (normal: il est au milieu de l'échelle...) je pense.
      Quand à l'exemple de la Fournaise il faut peut-être ne pas douter avant d'avoir essayé: il serait interessant de savoir, si les volcanologues de l'observatoire veulent bien tester l'outil, quel VUI avait cette crise, justement. Sachant que l'un des points cruciaux de la détermination de cet indice est la période d'analyse. Or vous le premier savez, car vous en avez parlé à plusieurs reprises dans les commentaires, que des signaux profonds on commencé à se manifester il y a plusieurs mois et que le volcan est au-dessus de sa "baseline" depuis déjà pas mal de temps. Alors faut-il étudier chaque "mini crise" et lui attribuer un VUI? Ou faut-il regarder la situation sur sa durée la plus longue (plusieurs mois) et lui attribuer un VUI "global"? C'est une question à laquelle seuls les volcanologues de lOVPF pourraient répondre car ils seraient seul juges de ce qui doit être considéré comme important ou non, puisqu'ils ont tous les signaux à disposition et l'expérience de l'activité historique.

      En tout cas merci pour votre retour positif sur cet article ! Je trouve que ce VUI est un bel outil qui mérite d'être éprouvé à grande échelle pour qu'il soit, le cas échéant, amélioré.

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  3. Je suis toujours émerveillé (si, si il faut le dire!) par la qualité de vos articles. Etant moi-même un peu scientifique, je suis à même d'apprécier votre travail. J'ai une petite préférence pour la simplification et un VUI à 4 niveaux tels pratiqué en Indonésie. vert = normal ; jaune = waspada (éveil) ; orange = siaga (attention) ; rouge = awas (tirez-vous!). Traduction un peu approximative, mais illustrant l'attitude à adopter.

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    1. Bonjour pir, et merci pour votre compliment: ça fait plaisir!
      Pour précision: le système normal-waspada-siaga-awas est un VAL. Le VUI sert plutôt à déterminer si une crise, avec sismicité et/ou déformation et/ou modification du dégazage/manifestations hydrothermales, doit conduire à changer de cran et passer du vert au jaune, ou du jaune à l'orange etc. Le VAL est donc modifié en fonction de l'analyse fine de la crise que permet le VUI.
      Bonne journée à vous.

      CV

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