Décrire ce qu'il se passe sur le cet édifice relativement isolé est toujours une gageure, car la météo est souvent défavorable, les observations directes rarissimes. Les moyens de surveillance ont toutefois été améliorés fin 2014 avec l'installation d'une webcam, de sismomètres et de détecteurs infrasons, très
utiles pour détecter les explosions.Rapide historique récent
Après les dernières éruptions récentes les plus intenses, en 2001 (VEI 3), 2006 (VEI 3) et 2013 (VEI3) le Cleveland n'a plus été le siège d'activité soutenue, mais plutôt des phases éruptives courtes, voire instantanées (une explosion puis plus rien pendant des mois). De temps en temps des signaux thermiques sont détectés par satellites au sommet, ou des pilotes volant dan la zone rapportent la présence de cendres, ou encore des capteurs infrasons situés sur des îles voisines ont pu permettre à l'Alaska Volcano Observatory, de modifier le niveaux d'alerte de l'édifice après ces événements aussi soudains que brefs.
Les phénomènes (aléas)
Pour ce qui est de la période la plus récente, la dernière de ces explosions soudaines remontait à novembre 2014, obligeant l'AVO à élever le niveau d'alerte aviation au jaune. Suite a cette activité explosive l'AVO avait pu constater la mise en place d'une masse de lave dans le cratère sommital. Après plusieurs mois de calme, ce même niveau avait abaissé au plus faible "Unnassignated" ("sans alerte particulière"), le 28 mai 2015.
Peu après, le 17 juin 2015, l'AVO est obligé de réévaluer le niveau d'alerte aviation au jaune suite à la détection, sur les données satellites, de hautes températures dans le cratère compatibles avec la présence de lave en surface. Par ailleurs une image du satellite LANDSAT 8 prise le 14 juin mettait en évidence un dépôt de cendres sur la neige du sommet.
L'image LANDSAT 8 du 14 juin 2015: la neige au sommet de l'édifice est salie par des cendres récemment déposées. Les pixels colorés montrent un signal thermique dans le cratère. Image: AVO/USGS |
Suite à cela seule la (rare*) détection de signaux thermiques a indiqué que quelque chose se passait au sommet car aucun signal particulier, ni aucun phénomène visible n'ont été détectés, jusque fin juillet.
Le 21 juillet dernier en effet une explosion est repérée grâce aux capteurs infrason, mais demeure totalement inobservable en raison de la météo: il n'y aucune information concernant la hauteur du panache ou sa dispersion, mais les volcanologues du AVO élèvent immédiatement le niveau d'alerte aviation à l'orange. C'est toujours ce statut qui a court pour le moment. Le 23 juillet le signal thermique est de nouveau détecté par l'AVO, toujours au sommet mais cette fois il a une double source:
- le cratère est la zone qui produit le rayonnement infrarouge le plus intense, compatible avec la présence de lave en surface.
- un rayonnement de même nature, moins intense que dans le cratère, est aussi visible autour du sommet : ce sont les dépôts encore chauds de l'explosion du 21 juillet.
Le signal thermique enregistré le 23 juillet par le satellite LANDSAT 8. Image : AVO/USGS |
Le MIROVA de son côté a aussi relevé un nombre plus important que la normale de signaux thermiques, parfois assez intenses, en particulier fin juillet-début août.
C'est lors d'un survol effectué le 04 août que les volcanologues ont pu prendre connaissance du responsable de ces signaux thermiques persistants: un dôme en croissance dans le cratère sommital. C'est le premier qui est repéré depuis 2012: lors d'un survol effectué en juillet 2014 le cratère était vide. Pour autant, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu d'autres dômes entre 2012 et 2015, qui ont pu disparaitre avant d'avoir été observés.
Concernant celui qui est actuellement présent, il ne s'agit pas d'un dôme de lave ultravisqueuse comme celle que l'on a pu observer lors des dernières éruptions des volcans Kelut, Unzen, Chaiten ou Soufriere Hills par exemple. Il s'agit plutôt d'une lave de viscosité modérée s'extrudant à très faible débit qui forme, sur la plancher du cratère, une masse très aplatie (comme un blini si vous voulez): on parle plutôt de dôme surbaissé. Une analyse des laves (la première me semble-t-il sur ce volcan) a été menée en 2010 et avait conclu que celles qui sont émises au sommet sont fréquemment des andésites basiques: le comportement (viscosité modérée) et la teinte (sombre) du dôme actuel sont cohérents avec ce type de lave mais il faudrait échantillonner et analyser cette lave pour savoir réèllement sa composition, et donc sa nature. la forme aplatie du dôme est aussi la conséquence du très faible débit de l'extrusion.
En effet lorsque le débit est important la lave s'étale moins vite qu'elle n'est émise ce qui donne généralement des extrusions ayant des pentes marquées. Mais à très faible débit la lave s'étale latéralement plus vite qu'elle ne sort verticalement ce qui donne une profil très applatit.
Quoi qu'il en soit cette extrusion semble active, ou l'a été très récemment**, comme le montrent les multiples, et très pédagogiques, fractures qui décorent la surface du dôme. Celle-ci est suffisamment froide et donc rigide pour se déformer de manière cassante (fragile) plutôt que de manière plastique (ductile). C'est normal pour un dôme qui est une masse alimentée par dessous: la lave émise en premier se refroidit, durcit et devient cassante. Le magma qui continue de sortir sous cette croûte solidifiée la déforme, la soulève ce qui la fracture. Ici la morphologie régulière du plancher permet au dôme d'avoir une forme parfaitement circulaire et, par ailleurs, l'évent par lequel sort cette lave est pile au centre du cratère. Dans ces circonstances, la déformation du dôme est régulière ce qui créé deux types de fissures:
- concentriques: surlignées en rouge sur l'image ci-dessous à droite
- radiales en bleu
Le dôme de lave surbaissé du Cleveland et les déformations qui résultent de sa croissance; 04 août 2015. Image: John Lyons, AVO/USGS. |
Cette situation est vraiment très pédagogique au niveau de la manière dont le dôme se déforme sous l'effet de sa croissance interne dans un environnement très régulier où les forces et les contraintes se répartissent de manière équitable. Notez par exemple que la plus interne des fissures concentrique a isolé le sommet du dôme, sorte de disque parfaitement circulaire et à l'intérieur duquel il n'y a aucune déformation notable.
Bilan: le volcan Cleveland est en éruption. Il s'agit d'une éruption d'importance très réduite, essentiellement extrusive (effusion de lave visqueuse) qui forme un dôme surbaissé au sommet. Très rarement cette extrusion est entrecoupée d'une activité explosive modeste. Il se pourrait que l'actuelle extrusion soit un exemple de ce qu'il se passe au sommet du Cleveland depuis plusieurs années, car des petits dômes se sont succédés au sommet de l'édifice en 2011, 2012, détruits à chaque fois par des explosions. Parfois l'activité explosive devient un peu plus intense: la dernière fois, ce fut mai 2013 et, depuis, seules quelques explosion, espacées dans le temps et faibles à modérées, ont eu lieu.
Aussi il n'est pas exclu qu l'activité devienne plus intense à court moyen terme.
Conséquences
Le passage en alerte aviation orange est, comme pour tous les édifices de l'archipel des Aléoutiennes, le signe qu'une activité explosive, émettrice de cendres, peut être un danger pour les lignes aériennes qui passent dans le secteur. Le danger n'est pas forcément immédiat mais peu survenir brusquement et les pilotes doivent donc se tenir prêts à pouvoir changer de route en cas d'activité explosive. L'île étant inhabitée (par les humains en tout cas) il n'y a pas de conséquences particulières redoutées sur place.
** le MIROVA a détecté un ensemble de signaux thermiques assez importants fin juillet-début août, une dizaine de jours après l'explosion du 21 juillet: la mise en place du dôme actuel pourrait correspondre à ces signaux thermiques.
Source : AVO/USGS; MIROVA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire