L'éruption du Colima est devenue vraiment spectaculaire (mis à jour 12 juillet, 09h42)

Fondamentalement il ne semble pas qu'il y a ait de changement au niveau du dynamisme de l'éruption elle-même: il s’agit toujours à la base d'une extrusion de lave relativement visqueuse, qui déborde du cratère sommital.

Simplement, depuis le post précédent cela s'est accentué et le débordement s'effectue maintenant sur
plusieurs versants simultanément et avec une plus grande intensité, ce qui donne un spectacle simplement incroyable...et potentiellement dangereux.

Les phénomènes (aléas)

Au a donc au coeur de ce "spectacle ignotechnique"* les avalanches de blocs. Elles ont commencé à partir du 08 juillet à devenir plus fréquentes, de plus en plus abondantes et volumineuses. Cela est dû à au moins deux évolutions, voire trois:

- la première: la coulée qui descend sur le versant sud s'allonge dans la pente et cela donne un volume plus important de lave instable et donc, forcément, plus de fragments qui se détachent, et des fragments aussi plus gros.

- la seconde : le problème avec la première évolution c'est que si elle était seule, le versant exposé aux avalanches se restreindrait à une portion du versant Sud-Ouest. Or, la zone affectée est maintenant beaucoup plus large puisque les versants Sud et, dans une moindre mesure, le Sud-Est, sont aussi impactés. Il semble donc que le débordement s'effectue maintenant sur au moins deux versants simultanément (on ne voit pas les versants Nord et Ouest sur la webcam donc je ne sais pas ce qu'il s'y passe). Cela implique que l'extrusion au sommet a gagné en volume depuis mon précédent post et que, peut-être, le débit de l'extrusion a augmenté.

- la troisième évolution est discutable mais certains indices permettent de supposer qu'elle existe: le magma qui est émis depuis 2-3 jours est peut-être plus riche en gaz. Cela pourrait être cohérent avec le fait que le débit de l'extrusion ait augmenté (si c'est bien le cas) mais, surtout, la façon dont se mettent en place les avalanches de blocs a changé.

Au départ il y avait surtout des blocs, certes chauds, qui roulaient dans la pente en soulevant un peu de poussière mais, depuis avant-hier ce n'est plus tout à fait la même chose: certaines avalanches ont un dynamisme proche de celui d'écoulements pyroclastiques, sans pour autant en être véritablement. Or, un élément clé pour qu'une telle transition d'un phénomène à l'autre puisse se faire, c'est la richesse en gaz de la lave:

*c'est lui qui donne aux écoulements toute leur fluidité et leur turbulence

* c'est lui qui, par la pression qu'il exerce au sein des fragments de lave qui se détachent, les fait exploser durant leur descente et les transforment en poussière, que l'on appelle plutôt "cendres volcaniques".

Une avalanche de blocs incandescent sur le versant sud, au petit matin du 10 juillet. image: webcamdemexico.com/retuit.me

Si la majeure partie des blocs de lave qui se détachent continuent de former des avalanches, une série d'au moins 4, peut-être 5, écoulements pyroclastiques s'est ainsi produite hier soir. Elle débute tranquillement vers 20h10 (heure locale) avec des avalanches de blocs plus abondantes et quasiment continues puis culmine avec la mise an place du premier véritable écoulement qui descend rapidement le versant Sud vers 20h18: en l'espace d'environ 3 minutes seulement il parvient à la base du stratocone, soit une distance parcourue d'environ 3500m, soit une vitesse approximative (et moyenne) de 70 km/heure (20m/s).

Le second écoulement arrive en base à 20h24 (environ), suivi d'un troisième à 20h32 (environ) et d'un quatrième à 20h39 (environ). Ce dernier semble avoir généré un panache copyroclastique** particulièrement imposant.

La série est visible sur le time-lapse ci-dessous.

Le passage progressif d'une extrusion plutôt lente pendant tout le mois de mai et le mois de juin a une activité aussi dynamique que celle qui anime le volcan depuis le 09 juillet pourrait trouver une (je dis bien "une") explication dans le fait que du magma neuf, un peu plus riche en gaz soit remonté tranquillement pendant mai-juin en poussant le magma plus ancien et dégazé qui occupait la cheminée de l'édifice. Ce magma ancien aurait formé la première phase, au dynamisme plutôt tranquille, de l'extrusion. Une fois évacué c'est le magma "neuf" qui arrive en surface avec un débit un peu plus fort ce qui augmente rapidement le rythme et le volume des avalanches et qui, parfois, donne des écoulements pyroclastiques.
Tant que cette phase très dynamique durera, ce type d'écoulement est susceptible de se mettre en place, intercalé entre les phases d'avalanches de blocs.

Au passage il faut préciser une chose: dans la presse mexicaine notamment on peut régulièrement lire que l'édifice a connue une activité explosive importante. Techniquement ce n'est pas faux: la formation d'un écoulement pyroclastique entre dans la définition de ce que sont les aléas (phénomènes) liés à une activité explosive. Cependant c'est tendancieux: à la source de ces écoulements il n'y a pas une violente explosion, simplement le décrochement d'un fragment très volumineux d'un dôme en train de déborder d'un cratère. Les écoulements qui se sont formés hier soir ont une origine plus "passive", différente de celles qui ont produit les écoulements qui ont rasé Herculanum au début de notre ère, ou les villes et villages qui ont été rayés de la carte lors de l'éruption du Tambora en 1815, par exemple.

Si dans la presse, Française ou autre, vous lisez que le Colima vient d'entrer en éruption, vous saurez donc que ce n'est pas le cas et qu'il ne s'agit que d'une phase (pas la première du reste) d'une éruption qui a débuté voilà plusieurs années. Ce qui n'enlève rien au fait que l'activité en cours, de par son dynamisme, créé des problème, pour l'instant mineurs heureusement.


Les conséquences

L'accentuation progressive, depuis la nuit du 07 au 08 juillet , des avalanches de blocs a généré une hausse tout aussi progressive de la quantité de cendres soulevées par leur mise en place avec de faibles chutes de cendres alentours au cours de la journée d'hier. Mais c'est avec l'importante quantité de cendres émises par la phase d'écoulements pyroclastiques que les chutes de cendres les plus importantes ont été recensées, jusqu'à plus de 200 km au nord-est de l'édifice, dans la petite ville de Jalostotitlàn.
Suite à cette hausse d'activité, marquée par l’apparition des écoulements pyroclastiques, les autorités civiles ont décidé d'évacuer les 19 résidents de la  petite bourgade de la Yerbabuena, située à seulement 7 km  sur le versant sud-ouest de l'édifice, et ont renouvelé l'interdiction d'avoir une quelconque activité dans un rayon de 5 km autour du sommet du volcan. Ces personnes sont actuellement hébergées un peu plus loin, à La Becerrera****.
Sur le court-moyen-long terme, les cendres actuellement déposées seront une source probable de lahars (coulées de boue) dans les rivières qui descendent des versants actuellement touchés par l'activité.
Côté aviation il ne semble pas y avoir de perturbations particulières.

* comme il n'y a pas de feu sur les volcans je ne peux me résoudre à utiliser le terme "pyrotechnique" et doit donc produire ce néologisme, plutôt moche mais qui me semble plus réaliste.

**le panache de cendres qui s'élève au-dessus d'un écoulement en train de progresser, voir ce lien pour un schéma

**** ces noms parleront à celles et ceux qui ont été voir le Colima mais je salue ici particulièrement une personne, qui se reconnaitra forcément, avec qui j'ai aussi des souvenirs personnels autant que professionnels associés à ces noms

Mise à jour, 18h50

Un survol de l'édifice a été réalisé aujourd'hui par une équipe de la Protection Civile de l'Etat de Jalisco. Sur la vidéo ci-dessous, réalisée pendant ce survol, on voit nettement l'importance du dégazage qui entraine sans discontinuer une quantité, certes relativement peu abondante mais bien présente, de cendres. Avec celles qui sont issues des avalanches de blocs, ces dernières retombent jusqu'à au moins une dizaine de kilomètre de distance à l'ouest et au sud-ouest de l'édifice: elles ont été signalées dans les villages de Zapotitlan de Vadillo et Carrizalillos. Il semble que la zone interdite d'accès ait été revue à la hausse et atteigne 10 km de rayon.

Gracias a los compañeros y titular de @PCJalisco por este video #VolcánColima, reconozco su trabajo y compromiso. pic.twitter.com/OTXZhJwji1

— Roberto López Lara (@RobertoLopezJal) 11 Juillet 2015

A noter aussi une image dont l'ambiance est spectaculaire: elle a été prise hier soir par Sergio Tapiro Velasco pendant la phase d'écoulements pyroclastiques. Il se trouvait alors à seulement 7 kilomètres du sommet de l'édifice et le mur de cendres qui sert de toile de fond à cette image est un panache co-pyroclastique.
Tout simplement impressionnant.

Une ambiance incroyable au pied du Colima hier soir. Image : Sergio Tapiro Velasco

C'est aussi Mr Tapiro Velasco qui indiquait il  a quelques instants seulement que l'activité produit un son puissant semblable à un moteur d'avion a réaction. Il s'agit du dégazage et ce son confirme les images de la vidéo ci-dessous: il est très puissant.

Mise à jour 21h02

La Protection Civile de Jalisco a fait savoir que de nouveaux écoulements pyroclastiques assez volumineux, similaires à ceux d'hier soir, se sont mis en place aujourd'hui sur le versant sud. Sur la webcam, partiellement bouchée par les nuages et la poussière, on ne voit que le sommet d'une série d' imposants panaches co-pyroclastiques, qui se succèdent entre 12h00 et 12h30 (heure locale)...En fait 12h30 est à peu près l'heure à laquelle tout est bouché et on ne voit plus ce qu'il se passe donc le phénomène a pu durer un pu plus longtemps.

Un écoulement pyroclastique d'aujourd'hui. Image: Protection Civile de Jalisco

L'un des panaches copyroclastiques d'aujourd'hui. Image : webcamdesmexico.com/retuit.me

Pour le moment rien dans la presse ne précise quels types de conséquences cette nouvelle phase d'écoulements pyroclastiques a eu mais nul doute qu'il y a eu des chutes de cendres alentours.

Mise à jour, 12 juillet 2015, 09h42

L'activité extrusive reste très dynamique et alimente, visiblement sur tous les flancs (et il est dommage que l'on ne voit que le quart sud-ouest de l'édifice), des avalanches de blocs et des écoulements pyroclastiques. Il semble qu'il y ait parfois quelques explosions que l'on peut distinguer par un panache, petite bouffée de cendres qui s'élève au-dessus de l'édifice, mais cela reste peu fréquent et elles sont toujours de faible intensité.

Petite digression:

J'ai un souci avec le mot "explosion" car la définition de l'activité explosive ne correspond pas exactement à ce que recouvre l’acception courante du mot "explosion" et l'emploi de ce dernier ne produit donc pas forcément l'effet escompté dans les explications.

Ici l'activité explosive se manifeste sous la forme d'une émission continue de cendres et de gaz, et non sous la forme d'une libération brusque et plus ou moins puissante (accompagnée d'un boooom), ce que sous-entend le mot "explosion" dans son acception courante. Ce dernier est donc mal adaptée pour décrire ce qui se passe sur le Colima actuellement (et lors de beaucoup d'autres éruptions en réalité).
En fait cette activité explosive (sens volcanologique) est une sorte d'"explosion continue", ininterrompue et modérée au sommet de l'édifice. C'est celle qui génère une quantité non négligeable de cendres, auxquelles s'ajoutent celles produire par les incessantes avalanches de blocs, qui sont souvent très volumineuses, et les quelques écoulements pyroclastiques qui, lorsqu'ils se mettent en place, sont eux-aussi assez impressionnants.
Fin de la digression

Toute cette production de cendres a fini par avoir raison de la sécurité dans le ciel ouest mexicain: les autorités ont pris la décision de fermer l'aéroport national Miguel de la Madrid Hurtado, situé près de la ville de Cuauhtémoc, à 26 km au sud-est du volcan.

L' Aeropuerto Nacional Licenciado Miguel de la Madrid Hurtado et le Colima en toile de fond. Image: Google Earth

L'autre conséquence importante de cette éruption intense c'est l'évacuation de 300 personnes supplémentaire environ de 5 zones habitées différentes (Juan Barragán, Los Machos, Caucentla, Cofradía, El Agostadero,)

Quid de la coulée de lave?  Celle qui a commencé à déborder sur le flanc sud-ouest a continué de progresser assez lentement. Il faut dire qu'avec la quantité de matière qui s’effrite de son front et de ses flancs elle ne risque pas de grandir très vite.

Progression de la coulée de lave entre les 07 et 11 juillet. Images: webcamsdemexico.com/retuit.me

En fait la vraie question devrait être "quid DES coulées" car un second lobe s'étire maintenant sur le flanc sud du stratocône.

La seconde coulée de lave visqueuse, issue du débordement de la galette de lave (dôme surbaissé) qui a remplit le sommet. Image: webcamdemexico.com/retuit.me

Il n'est pas rare dans l'histoire récente de cet édifice que de multiples coulées de lave se forment simultanément sur plusieurs flancs (il y avait eu des débordements sur deux versant en mars 2013). Cela vient du fait que le cratère n'est pas très grand, se remplit donc vite...et déborde facilement sur plusieurs de ses bords.

J'ai vu passer ce matin (ou hier soir?), sur un article mexicain, un rapprochement de cette activité avec l'éruption de 1913, qui fut extrêmement puissante (VEI5). Je doute réèllement que ce type de comparaison puisse être fait: le VEI de cette activité ne dépasse probablement pas le VEI 2: c'est une estimation personnelle, sans autre valeur technique/scientifique car je n'ai pas d’estimation de volumes de cendres mais je doute qu'on dépasse les 10 millions de m3, l'une des conditions nécessaires pour passer au VEI3, en tout cas pour le moment.

Un moyen de prendre du recul par rapport à cette activité, qui commence à percer dans l'espace médiatique international, est de la regarder depuis l'espace.
Au sol en effet on commence a être submergés d'images impressionnantes, produites par une webcam (une des meilleurs que je connaisse) dont le cadrage est relativement serré ce qui donne à chaque avalanche, à chaque écoulement une dimension assez forte, et des photos spectaculaires, car l'activité est intense et produit des ambiances incroyables.
Mais depuis l’espace, on ne voit pas cette activité: elle ne passe même pas la couche de nuages qui recouvre le pays. Elle reste somme toute très modeste en comparaison avec d'autres auxquelles on a assisté ces dernières années (Kelut, Sangeang Api, j'en passe et des meilleures).
Finalement, une situation à laquelle elle peut être un peu comparée est celle du Sinabung: une activité modérée qui a des conséquences locales. Ces dernières sont plus graves au Sinabung parce que la répartition de la population est différente, plus dense au pied du volcan, et parce que l'éruption dure dans le temps.

Sources: webcamdemexico.com/Retuit.me; presse Mexicaine; Sergio Tapiro Velasco via @SkyAlertMx; Protection Civile de Jalisco