Les informations qui arrivent de la République Démocratique du Congo concernant l'activité des deux volcans voisins Nyiragongo et Nyamuragira se font au compte-goutte. Il est donc difficile de savoir concrètement comment évoluent ces éruptions effusives proches de la ville de Goma.
En avril dernier j'avais pu partager avec vous la lecture d'une photo prise au Nyamuragira qui montrait le lac de lave. Depuis qu'il était apparu ce denier avait surtout été observé (repéré serait peut-être plus juste) via les données satellites, qui avaient permis de mesurer l'importance du rayonnement thermique émis.
Ces mêmes mesures, que l'on peut suivre grâce au MIROVA, sont restées
globalement stables dans le temps, les variations étant au moins en
partie dues à la présence de nuages et/ou à de véritables variations de
l'activité du lac lui-même. Il faut aussi prendre en compte la proximité
du Nyiragongo qui ajoute probablement une fraction de son rayonnement à la mesure du rayonnement du Nyamuragira, et inversement.
Mesure du rayonnement thermique sur le Nyamuragira: une partie est vraisemblablement du à la présence du lac de lave du Nyiragongo, présent sur la zone. Image : MIROVA |
On ne peut pas vraiment connaitre, sans une analyse approfondie des conditions météo quotidiennes, le rôle du paramètre atmosphérique dans les variations observées. Mais si l'on avait accès à des images récentes de l'activité du lac de lave, elles pourraient être comparées à celle que j'avais partagée dans le post du mois d'avril, ce qui donnerait au moins une idée des éventuelles variations de l'activité du lac.
Des questions se posent en effet:
- s'est-il agrandit et, si oui, par quel mécanisme?
- comment se fait l'alimentation du lac: un ou plusieurs évents?
- le lac est-il très dynamique, comme celui du Marum ou du Nyiragongo, ou plutôt sage comme celui du Kilauea ou de l'Erta Ale (je parle ici de manière général, chacun de ces lacs pouvant connaitre des périodes d'activité plus ou moins intense)?
Rapporter de nouvelles images, c'est ce que vient de faire le photographe Français Olivier Grunewald qui a eu l'occasion d'aller jeter un oeil au lac de lave début juillet et en a rapporté quelques très belles séquences filmées, dont en voici une.
Brassage de lave au coeur du volcan Nyamuragira le 10 juillet dernier en vue plus large
Posted by Olivier Grunewald on dimanche 26 juillet 2015
Que nous racontent ces images? Pour le savoir allons faire la chasse aux différences avec celle du mois d'avril, travail rendu possible par le fait que les deux points de vue sont les mêmes à un très léger décalage près mais qui n'altère pas la reconnaissance d'éléments communs aux deux images. Toutefois pour que la lecture soit plus aisée, j'ai dû recadrer l'image originale du MONUSCO (original que vous trouverez ici).
J'ai retenu trois objets différents communs aux deux images :
- deux arêtes, une de chaque côté du lac. Celle de gauche semble être ce que j'avais identifié en avril comme la lèvre d'un évent, mais cela reste à confirmer. Celle de droite est en fait le rebord d'une petite paroi verticale qui limite une plate-forme qui surplombe elle-même le lac.
- un petit évent secondaire: incandescent en avril, il ne manifeste en juillet qu'un dégazage.
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Une fois ces trois éléments (Arête 1, Arête 2 et petit évent) identifiés, les différences apparaissent plus clairement:
- la première différence qui saute littéralement aux yeux est la présence d'une vaste zone assez plane, sombre et d'aspect globalement lisse, même si la surface est un peu accidentée, que j'ai entourée de tiretés: c'est de la lave figée, qui recouvre une partie du fond du cratère. Elle ennoie partiellement le chaos de pierres qui encombrait le fond du cratère, à gauche du petit évent. Il s'agit là incontestablement du résultat d'au moins un débordement du lac de lave ce qui signifie que le niveau à varié au moins une fois.
Quand à savoir si la raison de cette variation est:
- interne (modification des conduits d'alimentation du lac, hausse du débit de lave, etc.)
- externe (effondrement d'un bout de paroi du cratère dans le lac)
- ou un mélange des deux (un effondrement déstabilise l'équilibre du lac et provoque sa hausse temporaire): impossible à dire.
En tout cas le petit évent du mois d'avril s'est retrouvé enseveli sous cette croûte de lave, peut-être la raison pour laquelle on n'en voit plus que le dégazage.
- l'autre différence, plus discrète au premier coup d'oeil, est le changement de la morphologie du lac. Celui qui a été photographié en avril est plus petit. En juillet on voit, par exemple, que juste au-dessus du petit évent le bord du lac a "rongé" le plancher en longeant la base de la plate-forme, sous l'Arête 2, ce qui forme une sorte de pointe là où, en avril, le bord du lac était plutôt arrondi. Il semble au passage qu'il manque aussi un bout de la plate-forme car l'arête 2 semble un peu plus courte sur l'image du juillet que sur celle d'avril (à confirmer). La vitesse, faible, à laquelle le lac de lave s'est agrandit semble indiquer que le mécanisme est l'érosion progressive des berges sous l'action du lac, en tout cas, de celle qui est à proximité du petit évent.
On voit aussi très bien qu'il y a deux zones de brassage importantes, et une troisième petite. Le brassage principal est clairement celui du bas: c'est là que la colonne de magma remonte. La zone de brassage en haut à gauche quand à elle ne fait pas de gros remouds mais "seulement" une multitude de petites bulles qui éclatent à la surface: peut-être s'agit-il d'une zone de dégazage piégée au fond du lac? Sur la vidéo on peut noter une différence dans le panache de ces deux zones: celui qui émane du plus intense brassage (celui du bas) est plus bleuté que l'autre: il serait interessant de savoir si la composition de ces deux panaches est réèllement différente ou s'il ne s'agit que d'une illusion d'optique.
Concernant ces deux zones de brassage, la photo du mois d'avril est malheureusement moins détaillée car les gaz masquaient alors la surface du lac. On ne peut exclure que dès avril ces deux zones existaient...mais on ne peut être sûr non plus: les témoignages des observateurs du MONUSCO seraient, sur ce point, indispensables.
Je tiens à remercier Olivier Grunewald de m'avoir autorisé à mettre en ligne et annoter son image afin de me permettre de rédiger ce post.
Vous trouverez plus de vidéos, notamment une zoomée sur le brassage du bas, ainsi que des photos de ses divers sujets sur sa page facebook.
L'image du MONUSCO, originale est sous licence Créative Commons CC-BY-SA 2.0, ce qui implique que la version recadrée l'est aussi.
Je finirais ce post par une information concernant l'éruption de 2011-2012 du Nyamuragira. Spectaculaire, car elle avait débuté au pied du flanc nord-est par une importante activité fissurale avec des fontaines de lave et un débit soutenu, elle avait créé un champ de lave assez vaste.
Une équipe de volcanologues Belges et Luxembourgeois, F.Albino, qui travaille à l'Université de Miami, B.Smets de L'université de Bruxelles, N.d'Oreye du Muséum National d'Histoire Naturelle du Luxembourg et F.Kervyn du Museum pour l'Afrique Centrale de Bruxelles, a pu estimer le volume de lave libéré par cette éruption en comparant deux images radar de la zone faite avant et après l'éruption.
Ils tombent sur une estimation de 305.2 millions de m3, plus ou moins 36 millions, ce qui est un volume très important, pour une éruption qui a duré "seulement" 4 mois environ (07 novembre 2011- fin février ou début mars 2012).
Histoire de comparer: l'éruption du Bardarbunga a libéré 1.6
Sources : MONUSCO; Olivier Grunewald; Virunga National Park
"High-resolution TanDEM-X DEM: An accurate method to estimate lava flow volumes at Nyamulagira Volcano (D. R. Congo)", F.Albino et al, juin 2015, dans le Journal of Geophysical Research
Bonjour,
RépondreSupprimerMerci pour votre blog que je suis régulièrement. C'est chouette d'avoir accès à toutes ces infos facilement, et de pouvoir être au courant de l'actu volcanique!
Probable petite erreur dans l'article ci-dessus:
Il me semble que le Bardarbunga a plutot libéré ~1.6 milliard de m3 soit 1.6 km3 de lave en ~6 mois; ce qui fait ~5fois plus que l'estimation faite pour l'éruption de 2011-2012 du Nyamulagira.
à+
Lydéric France
OUPS! et oui bien sûr!!!! vous avez raison, le mélange de pinceaux est impardonnable. Pourtant ce n'est pas faute d'avoir suivi l'éruption en question mais on n'est jamais à l'bri d'une coquille, grosse ou petite, surtout en fin de journée.
SupprimerMerci pour la relecture :)
J'étais au lac Erta ale début décembre 2014 et selon le guide qui y va régulièrement il était à cette époque en forte activité (fontaine de lave, fort dégazage), la différence avec les lacs de lave de RDC et Vanuatu c'est qu'on peut approcher du lac très facilement sans matériel spécifique on peut même y approcher à un mètre!
RépondreSupprimerBonsoir. Comme je le disais l'activité des lacs de lave peut varier mais,statistiquement, on a plus l'habitude de voir celui du Nyiragongo ou d'Ambrym brassé de manière intense, contrairement à ceux d'Erta Ale, Kilauea ou Erebus qui sont globalement plus "calme". C'était dans ce sens que je faisais la remarque mais je ne doute pas que vous ayez assisté à un beau spectacle (un lac de lave est-il, d'ailleurs, un spectacle moche?).
SupprimerVoilà en tout cas une video que je viens de trouver sur laquelle des images de l'Erta Ale ont été tournées en décembre 2014: il suffit de comparer le dynamisme pour y voir, malgré tout, une nette différence.
https://www.youtube.com/watch?v=_lBlbRzvde4
Pour finir je pense qu'il faut faire attention à l'expression "fontaine de lave" qui implique en réalité un régime de dégazage particulier, dit annulaire, et qui sur les lacs de lave est un peu trop souvent employé pour décrire le simple éclatement très rapproché de bulles de gaz à la surface du lac. Par définition ce régime annulaire ne peut se mettre en place au sein d'un lac de lave car il résulte de l’intégration d'une colonne de magma avec le conduit qui permet son éruption :-)
Des fontaines de lave créées par des remontées de bulles de gaz c'est exact!
RépondreSupprimeraux dernières nouvelles les compagnies minières qui ont construit une magnifique route en pleine ancienne coulée de lave en direction de port de Djibouti veulent interdire ou limiter l'accès aux touristes et encore plus au Dallol ou des mines de potasse sont exploitées!
Le tarif augmente chaque année pour les 4 jours d'excursion et devrait un jour atteindre les 1000 USD contre 600 USD en moyenne en 2014. Cela reste tout de même plus facile que la RDC ou les conditions de visa et la situation de zone de conflit limite fortement l'accès de ces 2 volcans grandioses