14 juin 2015

"Où le magma va-t-il sortir?" : une nouvelle méthode de surveillance volcanique pourrait apporter la réponse

Le défi constant de la volcanologie appliquée est de suivre l'activité d'un volcan en temps réel afin de savoir si une éruption se prépare ou non. Souvent il s'agit de déterminer les phases pendant lesquelles un volcan montre une activité interne anormale et d'essayer de comprendre les causes de cette situation. Les autorités en charge de la prévention et de la protection sont alors alertées afin de prendre au plus tôt, les décisions qui s'imposent dans le cadre de plans de prévention déjà élaborés. Et plus la décision peut être prise en avance, mieux c'est, évidemment. Lorsque l'on constate qu'une masse de magma est en mouvement, un point clé pour la prise de décision serait de pouvoir dire, en temps réèl, où le magma se situe en
profondeur et quel est son parcours. Cela permettant d'anticiper l'endroit où il va sortir.


Fournir un outil facile à installer et qui permet ce suivi en temps réel de la migration d'une masse de magma à l'intérieur d'un volcan, grâce aux déformations qu'elle créé en surface, et ainsi anticiper le site de l'éruption : tel est le défi que ce sont lancés des chercheurs Italiens et Espagnols.


Quelques généralités

Avec les progrès de la technologie certains volcans sont de mieux en mieux surveillés. Si pour une grande majorité d'entre eux cette surveillance reste limitée à la seule sismicité, une poignée est quadrillée de réseaux denses d'appareils mesurant différents paramètres en temps réel: outre l'activité sismique, les changements du champs de gravité local, les déformations de la surface de l'édifice, les modifications de la composition des gaz émis, etc, sont scrutés minutes après minutes.
Attention: il est clair que ces volcans ultra-équipés sont encore rares, vu les coûts d'achat du matériel, l'infrastructure nécessaire pour acheminer et traiter la quantité immense de données et, tout simplement, les difficultés techniques liées à la pose et à l'entretient de certains appareils (la topographie n'est pas toujours aussi abordable qu'au Kilauea par exemple). On appelle ces édifices "volcans laboratoires".

Pour les volcanologues toute la question est de comprendre comment fonctionne, à l'intérieur, un édifice volcanique.
Du point de vue purement scientifique, c'est important: le volcanisme est un élément clé du fonctionnement de la machine Terre en général, un mystère que l'Homme tente d'élucider depuis la nuit des temps. En retour, la compréhension des volcans produite par la recherche fondamentale permet, dans les observatoires dédiés à la surveillance, de comprendre au mieux les signaux envoyés par l'activité volcanique et, par voie de fait, de prévenir les autorités compétentes lorsque quelque chose d'anormal se produit. La recherche fondamentale nourrit la volcanologie appliquée, et vice et versa.

Pour comprendre les difficultés de cette surveillance il faut garder en mémoire que, finalement, tout ce que les volcanologues ont à disposition ce sont des observations de la surface du volcan: lorsqu'un sismomètre enregistre une secousse sismique, c'est la vibration de la surface de la Terre qui est captée ; lorsqu'un GPS enregistre un déplacement c'est la déformation de la surface de la Terre qui est repéré ; lorsqu'on mesure des gaz, c'est leur composition une fois arrivés à la surface de la Terre qui est déterminée, etc.
Or ce qui intéresse ces scientifiques, c'est l'intérieur de l'édifice volcanique et tous ces signaux ne sont au final qu'une sorte d'écho très complexe et partiel de ce qui se passe au sein même de la plomberie. Voilà pour le défi.

L'objet "volcan" fonctionne dans un sens bien clair: de l'intérieur vers extérieur du globe. Le magma est produit en profondeur à partir de roches solides, il subit des transformations, connait un parcours plus ou moins direct vers la surface puis fait, éventuellement, éruption. Pas de problème.
Mais concrètement, pour les volcanologues, c'est exactement le chemin inverse qu'il faut faire: partir de ce qui peut-être vu ou mesuré en surface, ou dit autrement "partir des données enregistrées", pour tenter de retracer une histoire du magma en profondeur, en tirer des informations sur sa source (localisation, composition etc), son temps de trajet dans la croûte terrestre, ou sur la structure interne du volcan (nombre, forme et position des chambres magmatiques).

Au demeurant, c'est un peu le genre de problèmes qu'ont toutes les Sciences Naturelles, en particulier la géologie et l'astronomie, mais aussi la paléontologie, quand il s'agit par exemple de comprendre comment pouvait fonctionner le système digestif ou la façon de se déplacer d'un animal dont il ne reste que le squelette fossilisé et souvent partiel.

Depuis des décennies les mathématiques ont apporté leur aide à la volcanologie. Elle sont à la base de la création de modèles qui permettent d'expliquer les données envoyées par les appareils de mesure. D'une certaine manière les volcanologues partent de la conséquence d'un phénomène (la manière dont un ou plusieurs paramètres varient) pour identifier la cause (la source à l'origine des variations). Et le souci c'est que, souvent, une conséquence peut être expliquée par plusieurs causes différentes (4+4 ça ne fait que 8, mais pour faire 8 il n'y a pas que 4+4). Vous voyez que rien n'est simple dans cette affaire.

L'exploitation de ces données prend du temps, et le temps, lorsque tous les appareils de surveillances sont affolés par une masse de magma en mouvement, il n'y en a pas... Ce type d'approche est donc avant tout utile pour les progrès de la Science volcanologique, pas pour les autorités qui doivent prendre une décision. Ou du moins cela dépend de la manière dont sont traitées ces données.


Dessiner la source en temps réèl

L'Etna fait partie du lot des volcans laboratoire cités plus haut: couvert de capteurs, "loftstorysé" grâce à de très nombreuses webcams disséminées à différents endroits, on peut dire que pas un soubresaut du mythique géant n'échappe à l'Institut National de Géophysique et de Volcanologie. Ce n'est donc pas pour rien que l'équipe de F.Cannavò, composée de chercheurs de l'INGV de Catane et de l'Institut des Géosciences de Madrid l'a choisi pour tester sa méthode de suivi de l'activité volcanique.
Plutôt intéressés par les déformations que subit le volcan lorsque du magma y pénètre, ils ont tenté de trouver une solution technique qui permettrait d'utiliser les données envoyées en temps réèl par un réseau de GPS pour tenter d'anticiper son point de sortie. Pour tester leur programme ils ont repris les données qui ont été amassées pour l'éruption du 13 mai 2008, qui leur a servi de test.
Un de leur principal objectif était de produire un outil qui prenne le moins de temps possible pour donner un résultat, afin qu'il puisse être intégré dans le fonctionnement même des observatoires.

De nombreuses modélisations tentent de reconstruire ainsi la source profonde qui créé les déformations  en surface. Souvent elles le font par le biais d'une méthode dite "des éléments finis". Elle se fait en général à postériori de l'éruption, afin d'en comprendre les causes de manière la plus précise possible. Essentielle de part la finesse des résultats qu'elle procure, elle a le défaut, important dans le cadre d'une surveillance, d'être très chronophage du fait de la quantité de données à traiter.

Les chercheurs sont donc parti d'une autre approche, dite  des modèles analytiques, qu'ils ont exploité d'une manière plutôt nouvelle. En effet, pour être utilisée, elle nécessite normalement de partir d'un modèle initial, même assez simplifié, de la source (un forme géométrique) à l'origine des déformations. Cette dernière est une masse de magma dont le modèle doit calculer la forme  pour expliquer les déformations....ce qui prend encore un peu trop de temps.
Les chercheurs ont donc élaboré un programme qui permet de localiser une source à partir des données envoyées par les GPS, sans avoir besoin de calculer une géométrie initiale (on dit alors que géométrie de la source est "libre").
D'où un temps de calcul réduit à quelques dizaines de secondes, une durée d’exécution qui permet un suivi en temps réel de l'évolution de cette source interne au volcan, capable d'expliquer les déformations observées en surface. Et par ce biais il est possible d'estimer quelle partie du volcan est statistiquement la plus susceptible d'être le site de l'éruption en préparation.

Afin d'être testée, la méthode fut donc appliquée à l'éruption du  13 mai 2008 sur l'Etna, qui a le double avantage:
- d'avoir été suivie par un important réseau de capteurs GPS, donc beaucoup de données disponibles, et...
- ....d'avoir déjà eu lieu:  les chercheurs n'ont eu qu'à comparer le résultat de leur modélisation à la réalité pour voir s'il en était proche ou non.

Le résultat est plutôt satisfaisant pour cette équipe qui a lancé son programme pour modéliser la source des déformations à une cadence de 30 minutes. La simulation a ainsi pu relier les déformations enregistrées la veille de l'éruption, entre 20 et 22 heures TU, à une source exerçant une suppression, verticale et s'étirant entre -2000 m à + 2000m par rapport au niveau de la mer (on la voit à 1min 9 seconde dans la vidéo). Elle a été suivie à partir de 06h du matin (TU) le 13 mai de nouvelles déformations interprétées comme le résultat d'une seconde source de surpression, plus superficielle et située cette fois à 2500 m au dessus du niveau de la mer, au nord-ouest du sommet, allongée du nord-ouest au sud-est (elle se développe entre les 27ème et la 37ème seconde de la vidéo). Ces caractéristiques font penser aux dyke, filons de magma allongés.
Dans les simulations cette seconde source finit par produire une déformation maximale dans le secteur est des cratères sommitaux, précisément là où l'éruption a effectivement eu lieu. Par ailleurs la localisation de la source des déformations par cette méthode est cohérente avec celle déduite des données sismiques de cette même éruption.
Bref: la simulation leur a permis de "voir", à une cadence de 30 minutes, le parcours d'une source des déformations qui ont précédé l'éruption et qui aboutit bien au site ou elle a eu lieu (à l'est des cratères sommitaux).



Autrement dit, en appliquant leur programme aux données GPS du réseau situé sur l'Etna, puis en lui demandant de produire une image à une cadence régulière (toutes les 15-30 minutes par exemple), les volcanologues pourraient bientôt suivre en temps réel la migration de sources causant les déformations observées par les GPS plusieurs heures, voir jours avant le départ d'une éruption, dont il devient envisageable d'anticiper la localisation.

Une information qui a toute son importante pour les responsables de la protection civile qui pourront dès lors prendre les décisions qui s'imposent et informer en avance les populations potentiellement menacées, fermer des accès sensibles etc.
Il en reste plus qu'à tester le programme en réèl et espérer que, dans un avenir proche, nous puissions nous aussi, assister en live sur le site de l'INGV, à la migration du magma avant une éruption.
Il faut ajouter que le programme, en plus de produire un résultat en quelques dizaines de secondes seulement, n'a besoin que d'un ordinateur de bureau classique pour fonctionner (et le réseau GPS pour fournir des données).

Source : "Real Time Tracking of Magmatic Intrusions by means of Ground Deformation Modeling during Volcanic Crises", F.Cannavò et al, 2015, dans Nature.

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