Du 05 au 11 avril 2015 la volcanologie se remémore l'éruption considérée comme la plus puissante connue (la précision est importante) dans les temps historiques et documentée par l'homme : celle du Tambora en 1815. Pour les volcanologues elle reste un événement exceptionnel à tous points de vue:
- par son ampleur d'abord: elle est moins puissante que l'éruption des Champs Phlégréens (Naples) il y a 40 000 ans environ mais supérieure à celle du Santorin il y a environ 3600 ans (datation plus précise ici). Elle est équivalente à celle du volcan Changbaishan (frontière Sino-Coréenne) vers 1000 de notre ère et à celle attribuée récemment au Rinjani en 1257 ou 1259. Elle est toutefois la seule de ces trois à être historique, les deux autres étant considérées comme antéhistoriques*.
- par l'ampleur de ses conséquences, décrites en fin de post
- parce qu'elle permet de ne pas perdre de vue l'objectif essentiel en volcanologie: comprendre ce qui s'est passé pour éviter que cela ne se reproduise.
Son statut d'éruption de tous les superlatifs me semble une raison plus que suffisante pour en rappeler les causes et les conséquences à l'occasion de ce bicentenaire.
Le volcan Tambora |
Les caractéristiques de l'éruption
Le Tambora est un important stratovolcan qui constitue presque à lui seul la péninsule de Sanggar sur la côte nord de l'île de Sumbawa. D'une forme ovale il mesure environ 50 x 40 km ce qui en fait un massif particulièrement important et imposant. Son sommet est ouvert par un impressionnant cratère, en réalité une caldera d'effondrement, presque parfaitement circulaire, profond de plus de 1000m et large de 6 à 7 km.
L'éruption qui s'est produite il y a 200 ans aujourd'hui est la plus importante connue dans les temps historiques avec un indice d'explosivité (VEI) estimé à 7.
Les différentes études qui ont été menées pour comprendre ce qui a produit une telle éruption ont permis de déterminer plusieurs de ces caractéristiques.
Les différentes études qui ont été menées pour comprendre ce qui a produit une telle éruption ont permis de déterminer plusieurs de ces caractéristiques.
La première est le volume de magma libéré : estimé dès 1986 à 33 km3 puis porté à une estimation de 50 km3 pour enfin revenir à 30-33 km3 par d'autres méthodes au début des années 2000. Il ne s'agit pas du volume du dépôt effectivement mesuré sur le terrain mais d'un volume dit "DRE", pour "Dense Rock Equivalent", qui est le volume des dépôts que l'on a "dégonflé" en:
- retirant le volume occupé par la porosité du dépôt lui-même (air)
- enlevant les éléments étrangers (roches qui ne sont pas le magma lui-même comme, par exemple, des fragments de cheminée ou de croûte).
Cette mesure donne une estimation du volume du magma qui est sorti de la chambre magmatique puisque avant de sortir les gaz sont dissous et le magma n'est pas expansé.
Cette mesure donne une estimation du volume du magma qui est sorti de la chambre magmatique puisque avant de sortir les gaz sont dissous et le magma n'est pas expansé.
Le volume réèl (non condensé) du dépôt est estimé à 113 km3 environ. Le chiffre donné comme ça n'est pas forcément évocateur mais on peut le comparer à l'éruption du Pinatubo en 1991, plus célèbre: environ 10 km3 non condensés (~5 km3 DRE). Cette comparaison est d'autant plus valable que les volcanologues considèrent depuis longtemps l'éruption du Pinatubo comme un modèle réduit de celle du Tambora. Un autre chiffre: Paris intramuros serait couverte de 1000m d'épaisseur si la totalité du dépôt y était ramené.
Si le volume n'est pas une mesure qui vous parle, regardons à quelle masse de lave cela correspond. Du fait de la densité du magma responsable de cette éruption (une trachyandésite dont chaque mètre cube pèse 2470 kilos), les 33 km3 émis pèsent..... 81,510 millions de tonnes!
L'analyse des dépôts et leur distribution a par ailleurs permis de déterminer que l'éruption a produit deux colonnes de cendres distinctes. Une première, qui s'est élevée le 05 avril à une altitude de 30 km environ, ce qui est comparable à celle qu'à produit le Pinatubo. Puis une seconde le 10 avril, jour du paroxysme, aussi appelé climax de l'éruption, avec une colonne de cendres monumentale haute de 43 km! Encore aujourd'hui on retrouve les dépôts de cendres produits par ces panaches sur une épaisseur de 1 à 2 cm à 1000km de distance, malgré deux siècles d'érosion en climat équatorial!
La majeure partie du volume de magma -environ 26.6 km3 DRE- a produit ces panaches, faits de cendres et de ponces qui ont recouvert complètement l'île de Sumbawa et sévèrement touché l'île de Lombok, pourtant située à 150 km de distance. Toutefois les panaches en question ont une double origine:
- une petite partie des cendres, environ 5%, a formé directement un panache classique c'est-à-dire a connu une trajectoire ascensionnelle dès sa sortie du cratère.
- une autre, bien plus volumineuse, environ 40 %, a d'abord commencé à se mettre en place au sol sous forme d'écoulements pyroclastiques de grande ampleur (ignimbrites) puis s'est retrouvée dans d'immense panaches co-pyroclastiques qui ont rejoint le "vrai panache" en augmentant considérablement sa taille. Ces cendres furent en fait littéralement aspirées par la colonne de chaleur qui s'est élevée au-dessus de l'édifice.
Maintenant que l'on a fait le tour des données concernant la lave (la fameuse trachyandésite), allons voir du côté des gaz émis. 1816 est communément appelée en Europe et au États-Unis "année sans été" en raison d'un climat particulièrement perturbé. Le principal facteur de ces changements est le Soufre, qui perturbe l'albédo (pouvoir réfléchissant) atmosphérique. L'éruption en a relâché 58 millions de tonnes sous forme de dioxyde de Soufre qui, après réactions avec des particules atmosphériques, a donné une masse d'aérosols sulfatés estimée à environ 100 millions de tonnes!!
Il faut préciser que la majeure partie de cet immense volume de magma a été émis en l’espace de 5 ou 6 heures seulement, réparties entre les deux phases des 05 et 10 avril.
D'où vient le magma responsable de cette éruption?
Comme pour la grande majorité des magmas, la source est avant tout la roche du manteau terrestre ("péridotite" au sens large). Le phénomène qui, dans cette partie du globe, permet la fusion partielle du manteau est une subduction: le bord de la plaque Australienne plonge sous la plaque Eurasienne. Dans un article paru en 2011 dans le Journal of Petrology Ralf Gertisser et ses collaborateurs retracent, grâce aux multiples outils de la géochimie, le parcours de ce magma depuis la source jusqu'à son éruption: en voilà les grandes lignes.
Pour le cas du Tambora le magma initial (on parle de magma parent) est issu d'un faible taux de fusion (environ 2%) avec une participation de roches sédimentaires.
Mais que viennent faire de telles roches dans cette histoire? Il faut simplement se rappeler qu'avant qu'une plaque ne subducte sous une autre, sa surface est couverte de sédiments, déposés par les fleuves, les vents, l'activité biologique etc. Et lorsque cette plaque retourne dans les profondeurs du globe, une partie d'entre eux est emporté. Pour le Tambora les conditions ont été suffisantes pour qu'une toute petite fraction (moins de 1% de fusion des sédiments) participe à la production de magma. Celle-ci se situe à une profondeur qui reste imprécise mais qui pourrait se situer entre 30 et 50 km.
Après son apparition le magma parent migre par simple différence de densité et s'agglomère dans une première chambre, très volumineuse, située à la base de la croûte soit, sous le Tambora, entre 14 et 17 km de profondeur. Après une première stagnation durant laquelle il connait quelques transformations par cristallisation, le magma "modifié" migre vers une seconde chambre, dite superficielle, qui se trouve entre 7.5 et 2.3 km de profondeur. C'est dans ce réservoir que les conditions de l'éruption de 1815 se sont progressivement mises en place,
Pendant environ 4000 ans il a accueilli de petits afflux de magma "modifié" en provenance du réservoir profond. Entre chaque remplissage le stock de roche fondue a entamé un refroidissement et une lente cristallisation, amenant progressivement à lui conférer la composition de la trachyandésite qui fit éruption il y a 2 siècles. Pendant ces 4 millénaires des fuites plus ou moins importantes ont eu lieu et produit des éruptions, mais aucune n'a jamais pu compenser l'inexorable mise sous pression de ce réservoir superficiel sous l'effet de cette transformation.
Quel lien entre les modification du magma et une telle mise sous pression? Lorsqu'un magma cristallise les fluides (gaz dissouts) n'entrent que peu dans la composition des cristaux qui se forment. De fait un tri s'effectue: pendant qu'une partie du magma se solidifie sous forme de cristaux, la partie qui reste fondue concentre de plus en plus les gaz dissouts ce qui fait progressivement monter la pression sur les parois de la chambre.
Et cela amène à une conclusion qui, pour moi, est fascinante: l'histoire de la catastrophe de Tambora commence en réalité avant l'invention de l'écriture, dans ce qui est alors la préhistoire!
Après avoir dressé ce tableau un peu technique pour décrire les causes géologiques de cette éruption, regardons d'un peu plus près ses différentes étapes.
Comme pour la grande majorité des magmas, la source est avant tout la roche du manteau terrestre ("péridotite" au sens large). Le phénomène qui, dans cette partie du globe, permet la fusion partielle du manteau est une subduction: le bord de la plaque Australienne plonge sous la plaque Eurasienne. Dans un article paru en 2011 dans le Journal of Petrology Ralf Gertisser et ses collaborateurs retracent, grâce aux multiples outils de la géochimie, le parcours de ce magma depuis la source jusqu'à son éruption: en voilà les grandes lignes.
Pour le cas du Tambora le magma initial (on parle de magma parent) est issu d'un faible taux de fusion (environ 2%) avec une participation de roches sédimentaires.
Mais que viennent faire de telles roches dans cette histoire? Il faut simplement se rappeler qu'avant qu'une plaque ne subducte sous une autre, sa surface est couverte de sédiments, déposés par les fleuves, les vents, l'activité biologique etc. Et lorsque cette plaque retourne dans les profondeurs du globe, une partie d'entre eux est emporté. Pour le Tambora les conditions ont été suffisantes pour qu'une toute petite fraction (moins de 1% de fusion des sédiments) participe à la production de magma. Celle-ci se situe à une profondeur qui reste imprécise mais qui pourrait se situer entre 30 et 50 km.
Après son apparition le magma parent migre par simple différence de densité et s'agglomère dans une première chambre, très volumineuse, située à la base de la croûte soit, sous le Tambora, entre 14 et 17 km de profondeur. Après une première stagnation durant laquelle il connait quelques transformations par cristallisation, le magma "modifié" migre vers une seconde chambre, dite superficielle, qui se trouve entre 7.5 et 2.3 km de profondeur. C'est dans ce réservoir que les conditions de l'éruption de 1815 se sont progressivement mises en place,
Pendant environ 4000 ans il a accueilli de petits afflux de magma "modifié" en provenance du réservoir profond. Entre chaque remplissage le stock de roche fondue a entamé un refroidissement et une lente cristallisation, amenant progressivement à lui conférer la composition de la trachyandésite qui fit éruption il y a 2 siècles. Pendant ces 4 millénaires des fuites plus ou moins importantes ont eu lieu et produit des éruptions, mais aucune n'a jamais pu compenser l'inexorable mise sous pression de ce réservoir superficiel sous l'effet de cette transformation.
Quel lien entre les modification du magma et une telle mise sous pression? Lorsqu'un magma cristallise les fluides (gaz dissouts) n'entrent que peu dans la composition des cristaux qui se forment. De fait un tri s'effectue: pendant qu'une partie du magma se solidifie sous forme de cristaux, la partie qui reste fondue concentre de plus en plus les gaz dissouts ce qui fait progressivement monter la pression sur les parois de la chambre.
Et cela amène à une conclusion qui, pour moi, est fascinante: l'histoire de la catastrophe de Tambora commence en réalité avant l'invention de l'écriture, dans ce qui est alors la préhistoire!
Après avoir dressé ce tableau un peu technique pour décrire les causes géologiques de cette éruption, regardons d'un peu plus près ses différentes étapes.
Avant l'éruption
La reprise d'activité sur le volcan ne s'est pas faite brutalement, sans prévenir (d'ailleurs ça n'arrive jamais). Il a commencé à s'agiter visiblement dès 1812, année pendant laquelle une petite activité explosive a été observée au sommet de l'édifice. Il faut noter qu'à cette époque le volcan n'a absolument pas la morphologie qu'il possède actuellement, et qui provient directement de l'éruption de 1815. Avant cette année critique la forme de l'édifice était plus "classique" avec des pentes douces à la base s'accentuant pour former un cône. Son altitude pré-cataclysme a été estimée entre 4000 et 4300 m ce qui en faisait l'un des plus hauts sommets d'Indonésie à l'époque. Son altitude actuelle n'est plus que de 2850 m...
Mais comment peut-on n'avoir qu'aussi peu d'informations de cette période? Comment peut-on ne pas avoir d’estimations un tant soit peu précises de son altitude par exemple? C'est qu'à l'époque aucun témoignage d'une activité sur cette montagne n'est connu: le volcan (encore eut-il fallu que sa nature volcanique fut connue) est alors considéré comme éteint...Après tout les analyses des dépôts et les datations au carbone 14 qui ont pu être faites indiquent qu'aucune activité éruptive ne semble avoir eu lieu (ou n'a laissé de dépôts) durant environ un millénaire: l'éruption la plus récente avant celle de 1815 a été datée en l'an 740 de notre ère environ soit un temps largement suffisant pour que toute mémoire collective s'efface.
Pendant l'éruption
Dès 1812 des signes précurseurs apparaissent et une faible activité explosive est décrite, mais c'est au cours de l'année précédent le paroxysme que les choses s'accentuent: grondements et secousses sismiques. Une activité phréatomagmatique précède de peu le départ de la première phase paroxysmale de l'éruption: les dépôts en ont enregistré la trace. Le volcan s'éveille franchement dans la nuit du 05 au 06 avril 1815, peu avant minuit.
Oh... De ce qui se passe alors il n'y a aucun témoignage visuel direct connu... tous les témoins ont disparu par la suite. Par contre on peut dores et déjà dire que cette première salve d'explosions est d'une très grande violence: à Yogjakarta, ville située dans le centre de l'île de Java et à plus de 800 km à vol d'oiseau, leur son retentissent comme des coups de canon faisant croire à des attaques : des troupes sont alors mobilisées à Yogjakarta contre un adversaire imaginaire par le fraichement nommé gouverneur Sir Raffles. Sur la côte des navires sont appareillés en pensant qu'un bateau est attaqué et qu'il faut lui porter secours!
Sir Raffles explique qu'après les premières chutes de cendres, au matin du 06 avril, la cause de ces coups de canon devient plus claire mais il attribue l'éruption à l'un des volcans de Java est: Kelut, Bromo ou Merapi pense-t-il.
Oh... De ce qui se passe alors il n'y a aucun témoignage visuel direct connu... tous les témoins ont disparu par la suite. Par contre on peut dores et déjà dire que cette première salve d'explosions est d'une très grande violence: à Yogjakarta, ville située dans le centre de l'île de Java et à plus de 800 km à vol d'oiseau, leur son retentissent comme des coups de canon faisant croire à des attaques : des troupes sont alors mobilisées à Yogjakarta contre un adversaire imaginaire par le fraichement nommé gouverneur Sir Raffles. Sur la côte des navires sont appareillés en pensant qu'un bateau est attaqué et qu'il faut lui porter secours!
Sir Raffles explique qu'après les premières chutes de cendres, au matin du 06 avril, la cause de ces coups de canon devient plus claire mais il attribue l'éruption à l'un des volcans de Java est: Kelut, Bromo ou Merapi pense-t-il.
L'éruption débute ainsi sur une activité dite plinienne, en référence à l'éruption que connu le Vésuve en 79 de notre ère, et décrite par Pline le Jeune. Une colonne déjà immense, alimentée par un débit de cendres estimé à 100 milles tonnes par seconde monte jusqu'à environ 33 km d'altitude: ce n'est que le premier acte et déjà l'activité est d'une intensité équivalente à celle du Pinatubo en 1991! Sur la presque-île la panique gagne et une demande d'aide est envoyée au gouverneur de la province, basé à Bima (90 km à l'est du volcan): cette aide arrivera trop tard. Au bout de deux heures cette première activité se calme : un dépôt d'au moins 10 cm de cendres est relevé à 25 km de l'édifice ce qui est une épaisseur déjà très importante à même de mettre en péril la solidité des toits par exemple, mais rend aussi invivable l'endroit où de telles chutes de cendres se sont produites.
L'éruption se poursuit de manière moins importante quoique probablement un peu soutenue: une série de dépôts d'origine phréatomagmatique, épais de plusieurs centimètres est mise en place dans les quelques jours qui précèdent le climax de cette éruption hors du commun.
Le 10 avril, 19h00 (heure locale) un grondement immense se fait entendre du côté du volcan et déjà une colonne de cendres s'élève rapidement, bourgeonnant, masquant le soleil. Un témoignage, celui du Rajah de la péninsule de Sanggar, indique qu'au moment où l'activité débute trois colonne distinctes se forment à partir du cratère sommital, puis elle se rejoignent en altitude pour n'en former plus qu'une seule. Une partie de la colonne de cendres en formation s'effondre sur elle-même aux alentours de 20 heures, et dévale sur Sanggar, la ville du Rajah. Les chutes de cendres commencent à alors à se faire abondantes sur la péninsule de Sanggar, tout comme les chutes de ponces grosses que des noix, parfois comme deux poings!
Mais ce n'est que dans les deux heures suivantes que le moment crucial de cette éruption se produit. Entre 21 et 22 h (heure locale), et alors que l'activité explosive continue d'alimenter l'imposant panache, une série d'immenses écoulements pyroclastiques apparaissent et dévalent les pentes de l'édifice pendant une heure sans interruption, détruisant tout sur leur trajectoire jusqu'à la côte. Arbres, village, animaux domestiques et élevages: tout disparait dans le sillage des ignimbrites, nom que l'on donne à ces écoulements de grand volume, et dont la vitesse a pu dépasser les 160 km/h.
Le sommet du volcan vient de s'effondrer, l'altitude de l'édifice perdant au passage rien de moins que 1000 à 1500 m, et le cratère, ou plutôt la caldera, aujourd'hui visible vient d'apparaitre. C'est à priori à ce moment que la colonne de cendres atteint les 43 km d'altitude qui ont été estimés à partir de l'analyse des dépôts. Après 23h l'activité explosive seule continue et continue de produire le panache de cendres, et cela va perdurer jusqu'au lendemain, 11 avril, à 11h du matin. En seconde partie de journée l'activité se calme et les explosions deviennent intermittentes: elle ne se cesseront complètement que le 15 avril.
Mais ce n'est que dans les deux heures suivantes que le moment crucial de cette éruption se produit. Entre 21 et 22 h (heure locale), et alors que l'activité explosive continue d'alimenter l'imposant panache, une série d'immenses écoulements pyroclastiques apparaissent et dévalent les pentes de l'édifice pendant une heure sans interruption, détruisant tout sur leur trajectoire jusqu'à la côte. Arbres, village, animaux domestiques et élevages: tout disparait dans le sillage des ignimbrites, nom que l'on donne à ces écoulements de grand volume, et dont la vitesse a pu dépasser les 160 km/h.
Le sommet du volcan vient de s'effondrer, l'altitude de l'édifice perdant au passage rien de moins que 1000 à 1500 m, et le cratère, ou plutôt la caldera, aujourd'hui visible vient d'apparaitre. C'est à priori à ce moment que la colonne de cendres atteint les 43 km d'altitude qui ont été estimés à partir de l'analyse des dépôts. Après 23h l'activité explosive seule continue et continue de produire le panache de cendres, et cela va perdurer jusqu'au lendemain, 11 avril, à 11h du matin. En seconde partie de journée l'activité se calme et les explosions deviennent intermittentes: elle ne se cesseront complètement que le 15 avril.
A quoi pouvait ressembler le Tambora avant 1815? Image: Culture Volcan |
Le son des explosions qui se sont enchainées durant cette terrible nuit fut d'une puissance exceptionnelle: elles furent perçues jusqu'à Trumon,
du côté d'Aceh à Sumatra (non loin du volcan Sinabung), soit à 2600 km
de là! Les ondes de choc on fait trembler les vitres jusque dans l'est de Java et dans plusieurs villages de Sulawesi, à plusieurs centaines de kilomètres, les gens ont cru que des divinités entraient en guerre! Il faut dire que dans un rayon de 600 km l'obscurité à pu durer pendant plus de 2 jours, accompagnée d'une franche chute de température. Les chutes de cendres ont été abondantes jusque dans l'Est de Java, où 23 cm de dépôts ont été relevés...
Les écoulements pyroclastiques, en particulier les ignimbrites émises au moment supposé de l'effondrement de la caldera, ont été si volumineuses qu'à leur entrée en mer elles ont produit une série de tsunamis. Des vagues de 4 m arrivent ainsi sur le village de Sanggar et dans le port de Bima, pour tant protégé par une crique profonde, les bateaux à quai sont sévèrement bousculés et l'eau entre dans les maisons près du port. Les vagues, voyageant à une vitesse estimée à 70 mètres par seconde, frappent Java vers minuit. Dans les villes de Besuki et Surabaya des vagues haute de 1 à 2 m déposent des bateaux à l'intérieur des terres.
La quantité de ponces produites et déposées en mer a formé d'imposantes masses flottantes, appelés radeaux de ponces, parfois larges de plusieurs kilomètres qui, mélangées à des troncs carbonisés, ont gêné la circulation maritime pendant plusieurs années après l'éruption. Certains ont été observées dans l'Océan Indien en octobre 1815 à plus de 3600 km à l'ouest du volcan.
Le bilan humain de cette éruption est le plus lourd connu pour ce type de phénomène naturel: les estimations faites à l'époque allaient déjà jusqu'à 10 000 personnes sur l'île de Sumbawa, tuées directement par l'activité: chute de bombes, étouffement sous les chutes de cendres ou sous les toits effondrés, tués par les écoulements pyroclastiques. On peut parfois croiser, dans la littérature , le chiffre de 26 survivants seulement pour l'île de Sumbawa mais il vaut mieux le prendre avec des pincettes, un chiffre aussi précis est toujours un peu louche. Quoiqu'il en soit, rien que ce bilan direct fait froid dans le dos. Mais aujourd'hui les choses ont empiré: les estimations varient entre 70 000 et 90 000 victimes, en ajoutant les décès consécutifs aux maladies et à la famine qui ont suivi à la fois sur l'île de Sumbawa , l'île voisine de Lombok et même jusqu'à l'est de Java.
Corps d'une victime de l'éruption du Tambora en 1815, redécouvert lors de fouilles archéologiques. Image: Rik Stoetman/Past Horizons |
Après l'éruption
Cet évènement, d'abord connu par son bilan humain, est aussi réputé pour son impact sur le climat mondial. Et vous le verrez systématiquement associé à l'année 1816 qui fut une "année sans été" en Europe, au Canada, et aux États-Unis. Il s'agit de la conséquence directe de l'injection en haute atmosphère des 100 millions de tonnes d'aérosols produits. Ils ont notablement modifié l'albedo de notre atmosphère en augmentant sa capacité à renvoyer vers l’espace l’énergie lumineuse du soleil (et donc, les infrarouges qui apportent la chaleur).
Il convient toutefois de préciser que cette année 1816 est aussi une année de "pas de chance" car en plus de l'éruption du Tambora, une autre éruption visiblement importante s'était produite dans la zone intertropicale en 1809. Sa source n'est pas encore identifiée semble-t-il, mais les enregistrements des pics de soufre dans les glaces des deux pôles ne mentent pas. Le chercheur J Cole-Dai et ses collaborateurs, dans un article publié en 2009, expliquent qu'en réalité le climat de l'hémisphère nord était déjà plus froid que la normale depuis 1810 à cause de cette éruption orpheline: l'éruption du Tambora a donc enfoncé, avec force, un clou planté quelques années auparavant.
Il est parfois supposé qu'une des conséquences indirectes de ces deux éruptions ait été l'avancée significative du glacier du Giétro dans les Alpes Suisses entre 1805 et 1817. En arrivant dans la vallée, la langue glaciaire créa une sorte d'immense delta de glace qui fit barrage à une rivière,ce qui forma rapidement un lac. Malgré les tentative de drainage la digue de glace se rompit en 1818, libérant 20 millions de m3 d'eau, et entrainant la mort de 44 personnes. Je ne sais pas si cette relation est vraie mais la conjonction des événements permet, pour le moins, de se poser la question...
Au États-Unis un brouillard sec est décrit dès le printemps et au cours de l'été 1816. Les couchers de soleil sont anormalement rouges, perturbations classiques de l'atmosphère par les microparticules qui diffusent et diffractent la lumière solaire. Un froid intense s'installe dès le mois de mai avec des gelées fréquentes. Des chutes de neige sont recensées au mois de juin dans le Maine et du côté de New York et en Pennsylvanie de la glace est observée sur les lacs en juillet et août. Les récoltes sont détruites avant même d'arriver à maturité dans plusieurs zones agricoles de la côte est (Massachusstets, New Jersey). En conséquence le prix des céréales explose : pour l'avoine il est multiplié par 7.
En Europe des températures bien en dessous des normales se mettent en place accompagnées de très fortes pluies qui détruisent des récoltes. Dans de nombreuses villes, des désordres apparaissent à cause de la faim, du prix élevé des céréales (blé, avoine) et des pommes de terre.
L'"année sans été" en Europe. Reconstruction des écarts de températures par rapport à une normale de saison pour l'année 1816. Auteur: "1816 summer" by Giorgiogp2 - Own work. Licensed under CC BY-SA 3.0 via Wikimedia Commons. |
Mais si les conséquences en occident sont assez connues il faut imaginer qu'en orient elles ont été tout aussi dramatiques. En Chine, le climat des 3 années suivant le paroxysme a été profondément
impacté, avec en particulier, des températures anormalement basses (entre
2 et 3°C sous les normales de saison) en été et automne. Les récoltes
de riz ont été calamiteuses et une famine de trois ans s'est installée dans la province du Yunnan. Dans ce qui est aujourd'hui la province d'Heilongjiang, des chutes de neiges ont été recensées en plein été. A
Taiwan, des chutes de neiges anormalement abondantes se sont produites
en hiver 1815-1816, avec de la glace couvrant les routes.
Malgré sa très grande violence, cette éruption est, à l'époque où elle s'est produite, passée plutôt inaperçue aux yeux du monde en raison de l'absence de moyens de communication directs. Elle n'est pas la première dans ce cas: quelle culture se souvient de l'éruption du Changbaishan vers 942 de notre ère, tout aussi puissante? Ou de celle du Samalas, actuel Rinjani, voisin du Tambora, au milieu du 13ème siècle?...personne avant sa récente redécouverte. D'autre éruptions de grande ampleur, qui ne sont pour l'instant rattachées à aucun volcan, ont laissé leurs traces dans les glaces des pôles. Elles permettent de constater que ce type d'éruption se produit 1 à 2 fois tous les 1000 ans en moyenne. Les redécouvrir et les étudier permet de mieux estimer l'importance de leurs impacts locaux comme mondiaux et, dans l'idéal, de mieux adapter une réponse globale. L'éruption du Tambora se produit peu avant l'aube de la communication mondialisée, dont l'éruption du Krakatau, en 1883, profitera déjà pleinement grâce au télégraphe inventé entre temps. Elle est par contre la première qui permette de mettre en évidence un impact sur le climat mondial, en liaison avec une éruption de grande ampleur. L'éruption du Laki, quelques décennies plus tôt en Islande, avait déjà donné un exemple à l'échelle Européenne mais le Tambora fait prendre conscience que le champ d'influence potentiel de l'activité volcanique est globale.
Aujourd'hui les moyens de communication permettent d'assister à des événements dans l'instant: si une éruption de ce type se produit, elle ne pourra plus passer inaperçue. Et c'est heureux car alors ce seront toutes les sociétés qui seront impactées plus ou moins directement et devront réagir.
Sources:
C.Oppenheimer: "Climatic, environmental and human consequences of the largest known historiceruption: Tambora volcano (Indonesia) 1815", Physical Geography, 2003
J Cole-Dai et al: "Cold decade (AD 1810–1819) caused by Tambora (1815) and another (1809) stratospheric volcanic eruption",Geophysical Reaserch Letters, 2009
R.Gertisser at al: "Processes andTimescales of Magma Genesis and Differentiation Leading to the Great Tambora Eruption in 1815", Journal of Petrology, 2011
I.S. Sutawidjaja et al: "Characterization of volcanic deposits and geoarchaeological studies from the 1815 eruption of Tambora volcano", Jurnal Geologi Indonesia, 2006
S.Self et al: "Magma volume, volatile emissions, and stratospheric aerosols from the 1815 eruption of Tambora", Geophysical Reaserch Letters, 2004
L.J Abrams et al: "Characterization of pyroclastic fall and flow depositsfrom the 1815 eruption of Tambora volcano, Indonesia using ground-penetrating radar", JVGR, 2007
Ainsi que PastHorizon, wikipedia, Wikimedia Commons, USGS
ENORME cet article!!! MERCI pour la variété de mises en relation ayant des liens directs ou indirects avec cette éruption hors du commun. La vanité humaine n'a qu'à bien se tenir...
RépondreSupprimerMerci :-)
RépondreSupprimerEnfin j'ai compris comment le magma migre et fait tout péter! Merci
RépondreSupprimerRavi d'avoir pu aider :-)
SupprimerHello, I'm Alessandro, from Italy.
RépondreSupprimerI'm very interested to the Tambora's shape before 1815. The Wikipedia page of Tambora is made by me, and I've dedicated a paragraph about this theme, "la Geomorfologia". https://it.wikipedia.org/wiki/Tambora
The features of Tambora suggest one cone with one crater, a stratovolcano shape; in fact, the volcanology and also you substain this.
But I've found the original Zollinger's report (1855) in Google Books: https://books.google.it/books?id=W3FBAAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=zollinger+tambora+pdf&hl=it&sa=X&ved=0ahUKEwi90vHbirHmAhXnx6YKHYLiDUEQ6AEIKTAA#v=onepage&q&f=false
Zollinger reported the witnesses of Bima's inhabitants on two peaks of Tambora before 1815, a western and eastern peak. However, it is also said that the mountain was conical before the great eruption (page 11).
In the witnesses reported by Thomas Raffles, instead, the rajah of Sanggar speaks oh three columns of flame near the top of Tambora, apparently from the verge of the crater: here, it seems reported that there was one summit with one crater/vent (all in the sengular), the classic shape of stratovolcano sustained by the official volcanology and you (Fuji, Villarrica, Mayon, ecc...).
How to reconcile this apparently contrast?
In the wiki page of Tambora I sustain that one of the two peaks wasn't another cone, but only a high/great lava dome or parasitic cone on the only one volcanic cone, and the other the true crater from which rose up the three columns of flame witnessed by rajah. I've made the example of Popocatepetl for Ventorillo (or el Fraile) peak, or Fuji for Hoei peak. Naturally, in the case of Tambora, the second peak was higher than the two previous cases, more or less beside the crater, because the inhabitants of Bima were induced to speak of tho summits.
Petroeschevski, instead, thank that one breach at the rim crater gave the impression of a double summit.
What do you think?
Alessandro
Hello Alessandro. Trying to rebuilt the original shape of Tambora from sources seems to be a difficult but interesting exercise.
SupprimerIn this post i did not made any choice between 1 or 2 summits. I just wanted to show which approximate volume disapeared during this paroxystic eruption by making an approximate rebult stratovolcano, but i did not make any choice or detailed reflection about the precise shape. So your commentary here is very intersting!
I think we will never know the real shape, except if some drawings were made from different points of view before 1815.
The fact that some people spoke about 1 and others 2 peaks could be explained (for exemple) by 1 relatively large summit crater with an irregular lip shape. Imagine a crater rim rising to a first high point of the stratovolcano, and then going to a lower point, and rising again to an other high point, and then a second low point. Maybe something similar in shape to a horse saddle for exemple. If the crater is large enough, seen from distance, you have:
- two peaks (where the saddle peaks) if you look from outside the alignement of the 2 peaks
- 1 peak of you look in the alignement of the 2 peaks.
Fuss Peak volcano has (a bit) this kind of crater shape for exemple.
Well : it's just an idea, but yours about a parasitic summit lava dome/cone is very intersting too! And statisticaly, yours seems better than mine :)
Thanks for having shared it on this blog ! :)
Have a nice day.
CV
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerGood Morning, Culture Volcano, I've accidentally removed my comment. I re-write it.
Supprimerin reality, the hypotesis of a parasitic cone or lava dome beside the crater isn't mine, but of Volcanocafe site: https://www.volcanocafe.org/.
They're really smart!
Your supposition is, instead, the same of Petroeschevski. He spoke of a breach at the crater rim that gave to the people at the foot of volcano the impression of a double summit, but there was, he stated, only one summit.
your example of Fuss Peak is really apt!
Also the Rinjani seems to have the same feature. Looked by East, gives the apparence of a double-summit with a saddle because the rim crater is lower, but there is only one summit/crater.
Your blog is really amazing, congratulations!
I'm a fan of volcanoes, I confess you that I would have liked to study Volcanology
Have a nice day!