15 mars 2015

Volcan Turrialba: quel contexte et quelle suite? (mis à jour)

Après les activités explosives des 08, 12 et 13 mars le volcan reste calme à l'extérieur mais la sismicité est restée similaire à celle que produisait le volcan depuis les explosions d'octobre 2014. De nombreuses secousses sont donc là pour montrer que le système d'alimentation de l'édifice n'est pas à l'équilibre et que, pour le moment, la tranquillité n'est qu'apparente.

La question centrale que se posent actuellement les volcanologues costaricains est la présence, et dans quelles proportions, de magma neuf puisque des traces avaient été relevés lors de l'activité d'octobre dernier. Les analyses préliminaires des échantillons (cendres) récoltés après l'activité du 12 mars ont permis de constater la grande quantité de laves anciennes, altérées bien que quelques rares fragments,
rencontrés dans deux des 4 échantillons récoltés, aient eu l'air d'être du magma neuf. Mais à lire le compte-rendu des volcanologues la certitude n'est pas de mise quand à ces derniers et des analyses plus poussées doivent à être faites, voire sont en cours.

Analyse optique des cendres émises le 12 mars par Dr. Eduardo Malavassi Roja. Image: OVSICORI-UNA

Par ailleurs le 13 mars une nouvelle phase d'activité éruptive, toujours explosive, s'est déroulée en début de nuit, à partir de 20h55 (heure locale): les images captées alors par la webcam montrent une grande quantité de projections incandescentes et on se laisserait aller à penser qu'une activité magmatique a débuté.




Or si vous vous souvenez du post que j'avais rédigé en octobre dernier concernant le volcan Copahue, vous vous souvenez aussi qu'"incandescence" n'est pas systématiquement synonyme de "magma neuf".
Des échantillons émis par cette activité du 13 mars ont donc aussi été récoltés pour analyse là encore pour déterminer si oui ou non il y a du magma neuf et dans quelle proportions. Car il est important, dans ce moment de crises à répétition, de tenter de suivre au plus près l'évolution de la composition de ce qui est émis: c'est par ce biais, recoupé avec d'autres données (sismicité, déformation, mesures de SO2 dans le dégazage, compositions des sources et divers fumerolles etc), que les volcanologues peuvent espérer comprendre ce qui se passe dans la plomberie.
Pour l'heure les volcanologues Costaricains interprètent la pause prolongée de l'activité comme pouvant être le résultat du blocage de la cheminée. Une telle situation peu donc provoquer une mise sous pression qui se libérerait, dans un délai difficile à déterminer évidemment, sou la forme de nouvelles explosions.

Cette situation est vraiment complexe à comprendre et pour s'en rendre compte il faut se remettre en mémoire que ce qui se passe actuellement n'est que la suite d'une crise qui a débuté en mai 1996: presque 20 ans! C'est en effet à cette époque que l'activité fumerolienne, résultat du fonctionnement normal d'un système hydrothermal classique en place depuis la fin de l'éruption précédente en 1864-1866, commence à montrer des modifications. La plus importante est l'arrivée de SO2 en fortes concentrations dans les gaz libérés, signe de la participation d'une masse magmatique au dégazage. Les années suivantes, la situation ne fait que s'accentuer avec l'ouverture de nouvelles fissures et de nouvelles bouches dans la zone du cratère ouest, et l'apparition de fumerolles sur les pentes externes du volcan. L'analyse du dégazage et de la sismicité suggère alors qu'une poche de magma s'est rapprochée de la surface entre 2005 et 2007.

En janvier 2010 une activité phréatique ébranle le cratère ouest et les études révèlent déjà, dans les dépôts, de très faibles fractions de ce qui est interprété comme du magma juvénil*. D'autres explosions se produisent en 2012, 2013 et 2014 avec, pour les deux dernières, là encore la présence de magma juvénil dilué dans des cendres anciennes altérées. Voyez que le feuilleton dure depuis presque deux décennies et qu'il est donc difficile de comprendre ce qui se passe. Si une poche de magma est en place pourquoi ne fait-elle pas éruption? Pourquoi, depuis 5 ans grosso modo, la situation a connu une augmentation de l'activité explosive sans pour autant que la poche de magma ne participe complètement à l'activité?
L'activité du Turrialba n'est pas un cas simple de gestion de crise: certes les explosions sont, pour le moment, plutôt faibles à modérées (bien que la proximité de la webcam donne des images spectaculaires qui ont tendance à faire surévaluer l'intensité réèlle de l'activité) mais elles sont devenues plus fréquentes depuis 6mois. Comment interpréter cette situation?

Une étude publiée en 2006 sur les risques potentiels déduits de l'analyse des dépôts de 20 éruptions indiquent que, statistiquement, la prochaine éruption pourrait être similaire, en intensité (modérée) et en style (phréatomagmatique), à celle de 1864-1866. Mais il ne peut être exclu, bien que statistiquement moins probable, qu'une activité plus violente, plinienne, similaire à celle qui s'est déroulée il y a 1975 ans (+- 45 ans) se produise. Cette dernière à laissé en souvenir un dépôt de 40m d'épaisseur au sommet du volcan, et malgré presque 2000 ans d'érosion, un dépôt encore épais de 10 cm aux portes de la capital, San José.
Voyez pourquoi une telle situation est surveillée de près: il est difficile d'en anticiper les mécanismes et les étapes.


Mise à jour 16 mars, 08h01

Ces dernières heures a été publié une interview de Raul Mora, volcanologue du Réseau Sismologique National (RSN) du Costa Rica. Depuis plusieurs jours déjà son nom revient dans les actualités Costaricaines car il répète sans relâche que le danger est important dans la situation actuelle, que le magma arrive ou non en surface. Il fait référence à l'explosivité de l'activité, qui peut encore augmenter même sans intervention directe de magma juvénil. Cependant dans la dernière interview il fait aussi part d'une possible évolution de la situation: le magma pourrait s'être rapproché de la surface et pourrait n'être qu'à environ 1500 m sous le sommet du Turrialba.

Le volcanologue Raul Mora devant les micro nationaux après les explosion d'octobre 2014. Image: EFE/Jeffrey Arguedas

L'un des cœurs du problème actuel, en terme de scénario possible pour la suite, est la composition du magma décrit comme juvénil: il s'agit principalement d'une andésite. En 2010 les analyses des cendres le caractérisait comme étant une andésite (ou diorite pour décrire le magma de même composition), lave très visqueuse mais les cendres récoltées en octobre 2014 avaient été caractérisées comme des andésites basiques, lave visqueuse mais un peu moins que l'andésite.
En terme d'éruption ce type de lave peut produire des choses très variées:
- riches en gaz elle peuvent produire des éruptions importantes, avec panaches de cendres et écoulements pyroclastiques, dômes (normaux ou surbaissés), et coulées de boue une fois les dépôts formés.
- pauvres en gaz elle forment des dômes, normaux ou surbaissés, dômes coulées ou coulées visqueuses, selon la topographie où elles se mettent en place, accompagnés d'avalanches de blocs et d'écoulements pyroclastiques, globalement modestes**.


Il est ainsi facile de comprendre qu'anticiper la suite des événements est très complexe car les possibilités ne se traduisent pas toutes par le même degré de risques pour les populations proches et leur infrastructures.

Et pour finir, une petite vidéo tournée depuis le bord du cratère ouest après les explosions du 12 mars, mais quelques heures seulement avant l'activité nocturne présentée plus haut dans ce post.




 Source: OVSICORI-UNA; Telenoticias

* andésite calcoalcaline dérivée d'un basalte par cristallisation fractionnée à faible pression, pour celles et ceux d'entre vous à qui ça parle.
** cela dépend aussi de la topographie et de la teneur en gaz du magma émis.

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