11 décembre 2014

Le point du jour: éruptions des volcans Fogo, Bardarbunga, Kilauea,Sinabung (mis à jour)

Fogo, Cap Vert, 2829m

Maintenant que l'éruption a finit de passer à travers les villages de Portela et Bangaeira (respectivement 90 et 76% d'infrastructures détruites) et obligé les autorités à évacuer l'ensemble de la caldera, les images de l'activité même se font rares: impossible, sans rapports volcanologiques fournis et images de savoir ce qui se passe de manière claire. Comment se déroule l'activité sur la fissure? Comment s'organise le champ de lave ? Quel est le débit des coulées? Comment évoluent les différents paramètres de la sismicité (RSAM, sismicité volcano-tectonique, etc).
D'un point de vue purement scientifique, ou technique si vous préférez, les dernières informations que j'ai vu passer, via l'INVOLCAN et le GEOVOL, précisent que des mesures de la quantité de SO2 émis
ont de nouveau été effectués le 09 décembre et ont été estimés à 7000 tonnes/jour, taux élevé qui reflétait alors une vigueur du processus éruptif, mais déjà moins important que les 12000 tonnes/jours relevées fin novembre ou début décembre.
Toutefois, dans une note publiée hier, l'antenne de communication du gouvernement Cap Verdien a indiqué que la partie effusive de l'éruption était en baisse: le front nord de la coulée n'a quasiment pas progressé et était hier en quasi-stagnation, à plus de 600m au nord des dernières maisons de Bangaeira. 




Reste à savoir comment se déroule l'activité éruptive au niveau même de la fissure: y-a-t-il encore des explosions? Si oui, à quelle fréquence, dans quel style? etc.
En tout cas la non-progression des coulées explique probablement que les cartographies du champ de lave réalisées les 08 et 10 décembre par le COPERNICUS, service de gestion de crise de l'Union Européenne, soient en tout point similaires (cartographie impossible hier en raison de la couverture nuageuse vraisemblablement).

Cartogtaphie de la coulée de lave de l'éruption du volcan Fogo, 08 et 10 decembre 2014
Comparaison des cartographies du champ de lave les 08 et 10 décembre 2014. Images: COPERNICUS

D'un point de vue organisation humanitaire il faut noter que l'ambassade Française du Cap Vert a mis en place un moyen d'aider les personnes déplacées par le biais de dons. Ceux-ci sont versé à une caisse dépôts Capverdienne, la Caixa Geral de Depósitos, dont vous trouverez les coordonnées bancaires, sur ce lien, au cas où vous souhaiteriez participer à cette aide.


Mise à jour 17h37

Je tiens à partager le lien de cette vidéo de l'éruption, dont le lien est sur le site de l'INVOLCAN, la première qui montre clairement l'activité telle qu'elle était début décembre, et l'ambiance dans le village de Portela avant sa disparition. Une séquence tout à fait impressionnante est celle où une habitation est littéralement transportée par la coulée. Seul bémol (léger) pour moi: aucune image n'est datée: on n'a donc pas idée de leur chronologie.


En parallèle on peut lire sur le site de Fogonews que président Capverdien propose à ses administrés qu'ils donnent un jour de salaire pour aider les personnes déplacées par l'éruption en cours. Il y a quelques jours le gouvernement à voté une hausse de la TVA d'un demi-point dans ce même but.

L'INVOLCAN et l'OVCV (Observatoire Volcanologique du Cap Vert) ont, de leur côté, fait savoir que de nouvelles mesures de la  concentration en SO2 dans le panache ont été faites hier: elles donnaient cette fois près de 10 000 tonnes/jour!


Sources: COPERNICS; Gouvernement du Cap Vert, Fogonews; OVCV/INVOLCAN/GEOVOL.

Bardarbunga, Islande, 2000 m

L'éruption suit son cours et reste intense. La sismicité est toujours concentrée essentiellement sur la caldera, ce qui montre qu'elle reste en mouvement, bien qu'il n'y ait plus de données GPS depuis un moment (problème technique que les volcanologues n'ont pas eu l'opportunité de régler, en particulier à cause des conditions météo particulièrement difficiles). La lave progresse essentiellement vers le nord-est et a commencé de combler le "Kipuka", îlot entouré par les coulées, qui était resté sain et sauf depuis le départ de l'éruption. La surface du champ de lave était un  poil inférieur à 76 km² le 05 décembre: il est vraisemblable qu'il ait passé cette limite depuis lors. Les volcanologues viennent aussi de publier une donnée intéressante: l'analyse fine des échantillons de lave récoltés dans la plaine d'Holuhraun indiquent qu'ils arrivent d'une profondeur située entre 20 et 9 km, sans stockage plus proche de la surface (rien qui n'ai laissé une trace détectable dans les échantillons en tout cas).


Extension du champ de lave de l'éruption du volcan Bardarbunga dans la plaine d'Holuhraun, 05 décembre 2014
Extension du champ de lave, et localisation du Kipuka qui est visiblement en cours de disparition, le 05 décembre. Image: Université d'Islande
Une partie de la coulée a pu continuer sa progression vers le nord-est après être descendue de la partie du champ de lave édifié entre septembre et novembre, et sur laquelle elle a progressé. De nouveaux lobes, très esthétiques car contrastant avec le sol enneigé, ont pu être observés à cette occasion.

Front de coulée de l'éruption du volcan Bardarbunga dans la plaine d'Holuhraun, 08 décembre 2014
Un lobe sombre décordé de guirlandes incandescentes progresse sur la neige, le 08 décembre 2014. Image; Université d'Islande

Coulée de lave de l'éruption du volcan Bardarbunga dans la plaine d'Holuhraun, 08 décembre 2014
L'Université d'Islande a justement décrit cette photo: "une mer de lave". Image: Université d'Islande

L'économie mondiale, vous le savez, est en partie basée sur la spéculation, et il est interessant de noter que cette éruption commence à faire réagir les treaders qui craignent pour 2015 rien de moins qu'une "Seconde Révolution Française" (sic...).
En effet la Saxo Bank vient de publier ses "10 prévisions choc pour 2015" parmi  lesquelles l'éruption (la n°7 sur la liste) est présentée comme ayant le potentiel de décimer les cultures de céréales en Europe, et ainsi provoquer une doublement mondial de leur cours.
Dans un court article publié hier sur le site TradingFloor, un analyste du nom de John Hardy (directeur de la stratégie devises chez Saxo Bank visiblement) explique qu'en réalité ce potentiel doublement des cours serait d'abord imputable à la crainte que les récoltes soient éventuellement impactées de manière importante par les changements météorologiques dues à cette éruption.



N'ayant pas obtenu mon diplôme en économie (car je n'ai même pas tenté de l'acquérir) je n'irais pas critiquer le fond de cet article: je n'en ais pas les compétences.
A contrario je me permet de relever plusieurs des passages de cet article qui sont plutôt axés sur le "contenu scientifique", volcanique. Morceaux choisis, accrochez vos ceintures:

1ere phrase/ paragraphe 1: "En 2015, le volcan islandais déjà actif Bardarbunga entre en éruption, conduisant à l’émission d’un nuage de dioxyde de soufre sans précédent recouvrant l’Europe": cette phrase est mal tournée. John Hardy décrit en effet ici une nouvelle phase de l'éruption, celle qui pourrait se produire si l'éruption amène à l'effondrement de la caldera et devient une éruption plus violemment explosive. Il faut comprendre "déjà actif" comme "déjà en éruption" et"entre en éruption" comme "l'éruption devient explosive". Car oui: pour de nombreuses personnes, un volcan qui ne fait pas une très grosse éruption explosive n'est pas "en éruption", il est juste "actif". Ma fois il faudrait peut-être le dire aux résidents de la Caldera de Chã...

1ere phrase/ paragraphe 2: "Personne ne parle du volcan Bardarbunga".......merci, c'est gentil :-). Il faut juste préciser que "dans le milieu micro ou macro économique, personne ne parle du Bardarbunga", ou quelque chose du genre. Promis, ailleurs on en parle.

La suite de cette phrase: "et pourtant on lui doit la plus importante éruption volcanique des 10000 dernières années"... ah bon? Il faut rester raisonnable, et responsable: cette éruption est intense, mais elle est très très très très très loin d'être la plus importante de tout l'Holocène. Je crois savoir que le trading est basé sur la spéculation, et donc une part importante de données virtuelles, mais il faut éviter d'aggraver virtuellement cette éruption.

2ème phrase/paragraphe 2: "car l’éruption n’est pas explosive, mais magmatique". Voilà typiquement quelqu'un qui s'est débrouillé pour faire sauter les cours de Science Naturelle au collège :-). Une éruption explosive serait donc forcément non magmatique. Il se trouve que la majorité des éruptions explosives sont magmatiques, bien entendu. Celle du Bardarbunga a d'ailleurs été partiellement explosive au départ avec la production de fontaines de lave. En effet l'expression "activité explosive" caractérise la fragmentation de la lave au moment de l'éruption. Une fontaine est constituée de fragments de lave: c'est un phénomène qui fait donc partie de l'activité explosive (mais avec un VEI extrêmement faible, souvent inférieur à 1). C'est une approximation rédactionnelle qui est loin d'être rare, malheureusement.

3ème phrase/ paragraphe 2:" Pourtant, avec plus d’un kilomètre cube de lave éjectée, c’est déjà la plus grande éruption en Islande depuis la fissure du Laki en 1783, qui avait dégagé selon les estimations 14 kilomètres cubes". J'ai relevé cette phrase juste pour montrer la contradiction avec le fait que, 2 phrases plus haut, il décrivait l'éruption du Bardarbunga comme la plus importante des 10 000 dernières années.

1ère phrase/3ème paragraphe: "pour aboutir à un lac de lave de plus de 70 kilomètres carrés à la mi-novembre". WoOow! Rien de moins que, probablement, le plus grand lac de lave depuis l'Hadéen, il y a plus de 4 milliards d'années.


Pour finir je tiens à faire remarquer, mauvaise habitude prise par de nombreux rédacteurs web, que le titre de ce court article: "L’éruption du Bardarbunga décime les récoltes" ne reflète en rien la description développée dans le texte, où il est indiqué que:"...entraîne un doublement des cours. Heureusement, cette forte hausse n’est attribuable qu’en partie au niveau des récoltes et provient surtout des craintes générées par cet événement alors que des Etats moins confiants dans leur sécurité alimentaire se ruent vers les stocks".
Enfin il faut préciser qu'il s'agit avant tout d'une analyse spéculative: Mr Hardy tente à priori d'anticiper une évolution du cours des céréales si l'éruption devenait plus explosive, en particulier si la caldera s'effondre.

Bon vous l'aurez compris, je charrie, mais c'est de bon ton. Ca fait très longtemps que je vois passer ce type d'approximations, voire d'exagérations. Encore que je garderais longtemps le souvenir de ce lac de lave de 70 km². Là, j'avoue... niveau approximation, je n'avais encore rien croisé de tel....Il est probable que le texte initial ait déjà été approximatif et qu'une traduction en Français ait accentué cette approximation.

Il n'en reste pas moins que, plus sérieusement, ce article indique que les traders commencent à anticiper l'évolution des cours des céréales en Europe en fonction d'un potentiel effondrement de la caldera, et de la potentielle activité potentiellement très explosive qui pourrait alors se produire. C'est une démonstration intéressante de la manière dont fonctionne l'économie moderne, dont les échanges, les flux, qui se répercutent aussi sur le prix final que paye le consommateur, sont élaborés à partir d'estimations de risques (industriels, naturels, géopolitiques etc).

Pour finir, une petite anecdote: cette analyse à conduit le journal "The Telegraph" à titrer: "How a volcanic explosion could trigger the next French Revolution" ("Comment une explosion volcanique pourrait amener à une nouvelle révolution Française"), rien de moins. C'est une référence directe à l'idée que l'éruption du Laki en 1783, qui a eu des conséquence météorologique et sanitaires vraiment importantes en Europe en 1783 et 1784, a aussi contribué à perturber le climat sur plusieurs années et impliqué des baisses de rendements de récoltes, amenant à des famines, elles-mêmes participant au mal-être sociétal de l'époque qui, finalement, a abouti à la révolution.


Sources: Université d'Islande; IMO; Saxo Banque;The Telegraph


Kilauea, Etats-Unis, 1222m

L'activité effusive se poursuit là-bas aussi. Le lobe de lave qui progressait à grande vitesse est arrivé dans une zone plus plate et, en conséquence, a ralenti et s'est élargi. A environ 3.4 km il est encore relativement "loin" de Pahoa mais sa vitesse de progression reste assez élevée pour une coulée Pahoehoe (150m/jour le 09 décembre), mais si elle varie dans le temps.

Extension de la coulée de lave du volcan Kilauea, 09 decembre 2014
Cartographie du nouveau lobe de coulée: sa progression est nette. Image: HVO/USGS

Pour le moment il n'y a pas de mesures particulières de prises à Pahoa.

Source: HVO/USGS

Sinabung, Indonésie, 2460m

L'extrusion au sommet de l'édifice continue et la nouvelle "langue" de lave apparue sur le rebord sud de la première coulée a pris un peu d'ampleur. Vous ne manquerez pas de constater que sa surface est hérissée de points mais que son front est parfaitement lisse. Cela s'explique simplement par le fait que la partie lisse est la cicatrice laissée par les décrochements qui donnent naissance aux écoulements pyroclastiques: on voit donc la partie interne et dense de la coulée. Sa surface est, au contraire, émiettée car la lave qui la constitue est en contact direct avec l'air ambiance, bien plus froid qu'elle. Elle refroidit donc rapidement et, sous l'effet de l'avancée, lente mais ininterrompue de la coulée, s'effrite, ce qui donne l'aspect hérissé.

Front du lobe de lave au sommet du volcan Sinabung, 09 decembre 2014
Le nouveau lobe de lave, qui descend du sommet du Sinabung. La première coulée est la zone marron juste à droite, dont la surface est aussi hérissée. Image prise le 09 décembre par Leopold Kennedy Adam (@LeopoldAdam) depuis le village de Payung

Côté activité éruptive, elle reste modeste mais continue de produire de temps à autres des écoulements pyroclastiques dont certains restent assez importants. Il faut noter que les versants sud-est et nord-est sont toujours touchés, mais que le premier l'est largement plus que le second.

Ecoulements pyroclastiques lors de l'éruption du volcan Sinabung, 110 décembre 2014
Ecoulements pyroclastiques vus hier à travers la webcam du PVMBG (CVGHM). Image: PVMBG
Mais bien qu'elle puisse donner ce type d'écoulement, elle reste actuellement dominée avant tout par une extrusion peu vigoureuse de lave au sommet et des éboulements.


Sources: PVMBG; @LeopoldAdam

3 commentaires:

  1. Jolies démonstration économique :-) c'était très intéressant ! Remarquez, si le bardarbunga fait tout ce qu'ils prédisent, les médias parleront plus de lui que du fogo ....

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  2. Vous avez bien fait de faire volcano plutôt qu'économie... Que d’âneries. Merci pour ce "démontage".

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  3. Disons que c'est marrant parce que le vocabulaire, les expressions employées, montrent qu'il y a une lacune d'information quand à ce qui se passe réellement et que ce texte a été écrit par une personne qui a reçu une information déjà filtrée, transformée, modifiée, décontextualisée, et finalement assez loin de ce qui se passe réèllement. Il y a des choses qui n'ont ni queue ni tête dans ce texte, mais les personnes à qui est destinée cette analyse ne verrons pas cet écart.
    Ce qui m'inquiète en revanche c'est que ce type d'analyse spéculative se base finalement plus sur l'impression que donne une situation, que sur la situation en elle-même. Or on voit bien comment cette spéculation peut être "volatile" changeante, nébuleuse et faire plonger ou monter en flèche un cours de bourse par exemple. Je peux comprendre (je n'ai pas dit "être d'accord") la logique spéculative dans le sens où elle tente d'anticiper la répercussion d’événements externe sur l'économie. Mais il me semble que les personnels qui font cette spéculation ne sont pas "zen", et qu'il n'ont pas pleinement conscience de l'importante des événements. Spéculer sur le cours des céréales à l'échelle mondiale en se basant sur un événement dont personne ne peut dire si il va se produire, et encore moins prévoir avec quelle intensité et quelles conséquences mondiales, c'est probablement mettre de l'instabilité là où ça n'est pas necessaire.

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