23 septembre 2014

Un point sur la situation du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga) (mis à jour 17h22)

Pas de grands changements sur le fond, avec une activité éruptive toujours importante et stable dans la plaine d'Holuhraun. Le débit des coulées de lave en particulier reste assez élevé avec, d'après les dernières estimations, un volume de 250 à 350 m3 par heure émis. La surface couverte est supérieure à 38 km² (estimation en date du 21 septembre), le volume total émis (estimé) est de 0.5 km3 (500 millions de m3, de quoi recouvrir la ville de Paris d'une épaisseur d'environ 5m de lave).
Comme l'a indiqué l'un(e) de mes lecteur(trice) dans un précédent commentaire: l'éruption a
effectivement dépassé celle dite des "Feux de Krafla" (1975-1984) tant en volume émis, qu'en surface couverte, et donc forcément en débit moyen.

Sur la forme il y a quelques changements. Jusqu'à avant-hier seules deux coulées principales avaient été émises, la première, entre le 31 août et le 13 septembre, relayée par une seconde entre les 13 et 21 ou 22 septembre (voir la carte de ces coulées ). Mais depuis hier la seconde coulée est moins, voire plus, alimentée : elle est à son tour relayée par les coulées 3 et 4, qui partent respectivement au nord et au sud des n°1 et 2. Elles étaient bien visibles cette nuit, grâce à une météo un peu moins rude.

Nouvelles coulées de lave de l'éruption du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga) dans la plaine d'Holuhraun, 23 septembre 2014
Les deux nouvelles langues de lave du champ de coulées. Image: MILA

L'Université d'Islande a de son côté pu photographier directement ce qui pourrait bien être à confirmer) le point de départ de la coulée n°3: une rupture du bord nord de champ de lave, sous le poids de la matière en fusion émise par la fissure.





Phénomène qui pourrait même avoir été filmé par Hugh Tuffen, de l'Université de Lancaster (là aussi à confirmer).

Pour l'anecdote, en parlant de filmer, les volcanologues islandais ont eu le désagréable rappelle que, quand ont fait de la géologie, il vaut mieux avoir les yeux rivés au sol que la tête dans les nuages: certains membres de l'Université ont en effet oublié une caméra à proximité du champ de lave, qui n'a pas manqué de la faire disparaitre.



En tout cas, grâce à l'imagerie satellitaire ont peut avoir une vision d'ensemble du champ de lave. Sur l'image ci-dessous en particulier, que j'ai annotée pour faire un lien plus clair avec le texte, on peut voir les 4 coulées produites depuis le départ de l'éruption, et leur position.
Il apparait assez nettement que les coulées 3 et 4 se sont formées parce que la lave qui sort de la fissure "bute" contre l'énorme masse des coulées 1 et 2, immobilisées, et doit de facto la contourner. Ce qu'elle fait par le nord et par le sud.
Nouvelles coulées de lave de l'éruption du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga) dans la plaine d'Holuhraun, 22 septembre 2014
Les coulées nord (n°3) et sud (n°4) vues par satellite hier. Image: Université d'Islande/ Annotations: Culture Volcan

Côté caldera la sismicité ne se calme pas, pas plus que l'affaissement conjoint. Au moment d'une très grosse secousse le 21 septembre (magnitude 5.5, la seconde plus importante depuis le débit de la crise le 16 août) le glacier a perdu 20 cm d'altitude. Le phénomène s'est à nouveau produit ce matin avec une magnitude de 5.2 qui  a été conjointe avec un affaissement d'une petite vingtaine de centimètres à nouveau.
Au total le glacier a perdu 5 m d'altitude depuis le 14 septembre. A cette date, l'IMO avait déjà mesuré une perte de 23m, d'où un affaissement total depuis le début de crise qui peut être estimé à 28m environ.

Affaissement de la caldera du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga) entre les 21 et 23 septembre 2014
Les deux principaux séismes de ces dernières 48 heures sont liés à des mouvements verticaux brusques, d'une vingtaine de centimètres chacun. Image: Université d'Islande-Protection Civile-IMO-Garde-Côtes Islandais

Le SO2 émis continu d'être une source de pollution importante pour le parties de l'île exposées (aujourd'hui ce devrait être la côte nord-est). Il a y eu quelques problèmes respiratoires recensés mais globalement les habitants font attention aux recommandations ce qui limite l'impact négatif. Lors de mesures effectuées la semaine dernière, les volcanologues ont pu estimer la quantité de dioxyde de soufre rejeté entre 200 et 600 kg par seconde, et peu plus pour le CO2 (250 à 700 kg/s). On comprend alors que des oiseaux morts par asphyxie aient été retrouvés dans la plaine d'Holuhraun.

Le panache en question, dilué par rapport çà ce qu'il est  au niveau du site de l'éruption bien sûr, est venu lécher la côte nord de l'Ecosse le 20 septembre.


Concernant la suite des événements deux écoles s'affrontent et donnent deux versions opposées. L'idée portée aux médias par le géophysicien Islandais Magnús Tumi Guðmundsson est que si l'éruption dans la plaine d'Holuhraun et le comportement de la caldera (sismicité et affaissement) restent aussi stables qu'ils l'ont été jusqu'à présent, une activité éruptive au niveau même de la caldera est peu probable. Pour lui les vrais signes qu'une éruption peu commencer au sommet du Bardarbunga seront que:
- l'éruption dans la plaine s'arrête, mais pas l'affaissement de la caldera, ni la sismicité
- l'affaissement de la caldera s'accèlère

A contrario le volcanologue Islandais Ármann Höskuldsson est convaincu pour sa part que l'activité actuelle dans la plaine d'Holuhraun n'est pas capable d'évacuer à elle seule tout le magma fournit par le système. L'excédent n'aura qu'une voie pour sortir: les fissures qui bordent la caldera. Pour lui, c'est clair, une éruption va démarrer au niveau de la caldera, même si l'éruption se poursuit dans la plaine.

Pas sûr que donner aux médias des hypothèses teintées d'opinion personnelle soit une bonne idée pour faire passer au public l'essentiel: personne ne sait comment ça va se terminer, et la seule possibilité est de surveiller et de voir, en fonction de la manière dont évoluent les paramètres, quel scénario est le plus probable et comment les autorités peuvent et/ou doivent réagir.
Données aux médias ce type d'opinions contraires, de scientifiques reconnus, peuvent être plus une source de confusion, toujours anxiogène, que d'information.


Mise à jour 17:22

Le dernier rapport des volcanologues donne un chiffre interessant: le volume affaissé du glacier est estimé à 0.6 km3, soit l'équivalent estimé pour le volume de magma émis par l'éruption (0.5 km3). Une belle preuve que l'affaissement du glacier est bien dû à l’affaissement d'une partie de la caldera.
Mécaniquement cela veut aussi dire que la pression dans la chambre ne diminue pas, ou du moins très peu.
En effet la pression baisserait si la chambre magmatique gardait le même volume globale, tout en contenant de moins en moins de magma (celui qui est évacué), un peu comme un compresseur d'air comprimé qui se vide (le compresseur ne s'écrase pas comme un ballon: il garde la même forme, donc le même volume)
Or ici, le volume de cette chambre diminue au fur et à mesure que le magma la quitte: le départ d'1 m3 de magma est compensé par l'arrivée d'1m3 de croûte par affaissement. Vue de l'extérieur, si par la pensée on ne garde que la poche de magma et le dyke, et qu'on enlève tout ce qui a autour (la croûte), on a l'impression de voir un ballon qui se dégonfle petit à petit. Un ballon dont le volume totale n'est pas connu, mai qui vient de perdre 0.5-0.6 km3...

Du coup il est logique, si la pression est constante, que le débit soit lui-aussi constant au niveau de la fissure éruptive. Il serait d'ailleurs interessant de voir ce qui se passerait si l'affaissement devait, pour des raisons mécaniques, se bloquer. Si le lien entre stabilité de l'éruption et l’affaissement est bien réèl, alors on devrait voir une éruption s'affaiblir et s'arrêter assez rapidement.


Sources: IMO; Université d'Islande,Twitter; MILA; blog Bardarbunga volcano; Rùv

8 commentaires:

  1. Question candide qui appelle bien évidemment une réponse moins simpliste : Que se passe-t-il sous le bardarbunga? Est-ce que le "bouchon" de la caldera "flotte" sur la chambre magmatique et descend au fur et à mesure qu'elle se vide par la faille? Auquel cas il pourrait aussi remonter si la chambre est réalimentée plus vite qu'elle ne se vide. Ou est ce que le "bouchon" de la caldera "fond" dans le magma et diminue en épaisseur.

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    1. Bonjour Mr Petre.
      Première chose: la bouchon ne fond pas, ça c'est une certitude, ou alors pas de manière significative car il est très difficile de fondre une roche et la chambre magmatique elle, ne fait que perdre de la chaleur, qu'elle transfert par conduction à son environnement solide.

      Reste la seconde solution. L'image du bouchon n'est pas adaptée car un bouchon est un objet d'un volume défini, complètement individualisé.
      Dans le cas du Bardarbunga, il manque ce aspect: le "bouchon" est en fait une portion de croûte de grand volume mais qui n'est pas individualisée en bouchon. Il se détacheprogressivement du reste de la croûte au fur et à mesure qu'il s'affaisse, par le biais de l'apparition de fractures (seismes), et coulisse contre le reste de la croûte (frottements qui génèrent aussi des seismes).

      C'est un peu comme une sculpture: le sculpteur regarde un bloc de pierre amorphe et y visualise sa statue avant de l'attaquer. Dans le cas du Bardarbunga le "bouchon" n'existe pas mais il se forme (il se sculpte si vous voulez) dans la masse de la croûte au fur et à mesure qu'elle s'affaisse. Par analogie on pourrait dire que chaque grosse fracture liée à un gros seisme est un peu l'équivalent d'un coup de massette du sculpteur. Le bouchon se dessine petite à petit, à coup par à coup. L'image du bouchon est donc limitée, comme toute analogie.

      Le "bouchon" ne flotte pas non plus car une roche solide est forcément plus dense que son équivalent liquide (seule l'eau à une phase solide moins dense que sa phase liquide). Ce qui l'empêche de couler brusquement dans la chambre, c'est à la fois:
      - la pression que le magma exerce sur la base du bouchon (qui est le toit de la chambre ni plus ni moins)
      - le fait que le bouchon n'est pas encore complètement sculpté dans la croûte et que, par ailleurs, il frotte sur une hauteur de 10 000m sur le reste de la croûte (pour estimation, le volume déplacé étant de 0.6 km3 pour une baisse de 27 m, on a une surface de frottement de 22.2 millions de m²). Ce sont des forces dont on a peine à imaginer l'intensité.

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  2. Bravo et merci pour votre site que je suis quotidiennement depuis le début de cette éruption islandaise ....passionné par ce pays que je sillonne depuis plusieurs étés ( 7 voyages ) . Vous indiquez que la lave émise recouvrirait Paris d'une épaisseur de 5mm... rémanence de la touche m de votre clavier j'imagine ... sauf erreur de ma part c'est plutôt de 5m de lave que Paris serait recouverte.

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    1. Bien vu! et corrigé comme il se doit, car ça change quand même un peu la vision des choses.
      Un grand merci pour votre correction :-)
      Bonne journée

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  3. Ouaouh!!! Entre un coup de balais et un caterpillard y a une marge .... ;-))
    Bonne journée

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  4. Bonsoir,

    Une autre question de candide...Concernant la caldera, est ce l'affaissement de cette dernière qui expulse le magma, à la manière d'un piston, ou alors est ce l'inverse : elle s'éffondre sous l'effet de la diminution de pression dans la chambre magmatique?

    Merci également pour ce blog, que je consulte tous les jours ! Amitiés d'un habitant de la Limagne :-)

    Benoît

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    1. C'est un peu les deux (mais surtout un quand même).

      Le départ du magma dans le dyke, puis sa sortie dans la plaine d'Holuhraun, a effectivement fait baisser la pression dans la chambre. Si celle-ci n'avait pas changé de forme, donc de volume, la pression aurait diminué dans la chambre jusqu'à atteindre l'équilibre, moment qui aurait marqué la fin de l'éruption (une éruption est une conséquence d'un déséquilibre de pression finalement). C'est ce qui se passe avec un compresseur d'air chargé qui se vide tranquillement.

      Mais la croûte a commencé à s'affaisser et les volcanologues nous disent que le volume de magma expulsé (0.6 km3) par l'éruption correspond au volume affaissé. On peut donc supposer que la chambre a changé de forme (comme un ballon qui se dégonfle), et qu'elle a perdu un volume, pour le moment, d'environ 0.6 km3 (600 millions de m3). De fait la pression qu'exerce sur les parois de la chambre le magma encore présent change peu: l'affaissement de la croûte (de la caldera si vous voulez) maintient la pression.

      Pour comparaison, vu que vous êtes de la région: un pneu de camion gonflé à 2 bars contient plus d'air qu'un pneu de voiture gonflé à 2 bars. La pression est la même, mais le volume du pneu, et donc le volume d'air necessaire pour créer la pression à 2 bars, sont différents. Dans le cas du Bardarbunga, le pneu de camion (équivalent de la chambre magmatique au début de l'éruption, grand volume) se transforme en pneu de voiture (équivalent de la chambre magmatique actuelle, volume plus petit) en évacuant l'air (analogue du magma) tout en gardant la pression relativement constante. :-)

      Maintenant, pour répondre plus précisément à votre question, il semble que l'affaissement de la caldera se contente plus ou moins de simplement compenser la perte de pression due à l'évacuation du magma par l'éruption: elle ne créé pas de pression supplémentaire et donc, elle ne semble pas appuyer (jouer un rôle actif) sur le magma pour le forcer à sortir.
      Ce que je pense (je peux me tromper évidemment), le système semble fonctionner plutôt comme votre seconde proposition (participation passive de la caldera à l'éruption) plutôt que comme la première (participation active de la caldera).

      Comme je le disais dans la mise à jour: il serai interessant de voir si l'éruption se poursuit longtemps si la caldera arrête de bouger.

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  5. Super; merci d'avoir pris le temps pour faire cette réponse détaillée !

    Et encore merci pour ce blog.

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