19 septembre 2014

Eruption mystère de 1809: un pas de plus vers la découverte de son volcan-source?

C'est l'histoire de l'une des ces nombreuses "éruptions mystères", de grande ampleur, dont on retrouve des traces mais dont on ne connait qu'approximativement le moment auquel elles se sont produites, et dont le volcan-source demeure inconnu.
Une de ces éruptions qui, pourtant, ont potentiellement eu un impact important sur les populations locales et/ou même le climat.
Or il est connu que le début du 19ème siècle fut marquée par un climat perturbé, particulièrement froid durant la seconde décennie, avec les températures moyennes mondiale les plus faibles des 500
dernières années.
Or si l'une des éruptions responsables de ces changements temporaires du climat de l'époque est connue de longue date, à savoir celle du Tambora, Indonésie, 1815 (VEI 7, la plus puissante du dernier millénaire), il se trouve que le climat a commencé à se refroidir dès 1809, vraisemblablement en partie à cause d'aune autre éruption de grande ampleur, mais quasi-inconnue.

L'éruption dont il est question aujourd'hui s'est donc déroulée au début du 19ème siècle mais sa trace n'a été découverte que très tardivement, au début des années 1990, sous la forme d'une couche de glace riche en soufre, atome très présent dans les gaz volcaniques (dioxyde de soufre, acide sulfurique etc).
De nombreuses études similaires ont ensuite été menées durant les année 90 et 2000 par différentes équipes, qui ont à chaque fois repéré ce signal spécifique en 1809.

Encadrée en rouge l'anomalie en soufre repérée par l'équipe de JihongDai en 1991. Image extraite de l'article de J.Dai et al, 1991, dans le Journal Of Geophysical Research

En 2006 une avancée relativement importante se fait dans le cadre d'une étude qui ne concerne pas directement cet événement. A l'époque, l'équipe de Kaplan Yalcin, chercheur ne climatologie de l'Université d'Oregon, met en évidence dans les glaces de l'Hémisphère nord un second signal daté lui-aussi à 1809! Afin de pouvoir le caractériser, les chercheurs ont la bonne idée de récolter des particules de cendre, afin d'en connaitre la composition chimique. Ils déterminent ainsi que l'éruption a projeté des laves de composition Trachyandesitique à Andésitique. Le second signal, lui, est fait de cendres dont la composition est Dacitique.
La composition chimique des laves de l'éruption mystère tombe dans le champ des compositions dites "trachyandesite" et "Andesite". Image extraite de K.Yalcin et al, 2006, dans Earth Science Faculty Scholarship, Université du Maine

Autre constatation importante: ces échardes ont été identifiées aussi bien dans les glaces Arctiques (hémisphère nord) qu'Antarctiques (hémisphère sud). Ainsi depuis 2006, indices permettent de  connaitre l'éruption-mystère:

- la localisation des échardes aux deux pôles indique, vu la manière dont l'atmosphère terrestre fonctionne, que l'éruption a eu lieu en zone équatoriale, voire intertropicale. En effet il y a peu de communication atmosphérique entre les deux hémisphères et des cendres émises aux moyennes et hautes latitudes d'un hémisphère ne se déposent que dans cet hémisphère. Ce fut le cas par exemple pour le second signal de Kaplan Yalcin, qui n'existe que dans l'hémisphère nord: l'éruption qui en est la source s'y est donc produite .

- le fait de retrouver sa trace aussi loin de sa source est le signe que l'éruption a été de grande ampleur. Son Indice d'Explosivité Volcanique, échelle qui compare la magnitude des éruptions explosives en fonction de la hauteur du panache, du volume de cendres émis et du débit auquel elle est émise, doit être élevé. A partir des données récoltées il a été estimé à 6, soit l'équivalent de l'éruption du Pinatubo en 1991, ou celle du Krakatau en 1883.

- la composition des cendres, andésitique et trachyandésitique, est plutôt le signe d'une activité volcanique liée à une zone de subduction. Il est rare en effet de voir ce type de composition dans d'autres contextes géologiques.

Bien que moins dense, le mystère demeure donc depuis le début des années 90. Mais un communiqué de presse de l'Université de Bristol (Royaume (toujours) Uni) est paru hier et explique qu'un pas de plus, et important, a été fait en direction de la découverte de la source de l'éruption-mystère, sans toutefois parvenir jusqu'à son identification.

Pour réaliser cette avancée, les volcanologues se sont associés au docteur Caroline Williams, spécialiste de l'Amérique Latine, qui a compilé des textes datant du début du 19ème siècle. Après plusieurs mois de recherche elle a finit par tomber sur la première trace écrite rapportant une description de phénomènes atmosphériques inhabituels, sous la forme de rapports rédigés par deux scientifiques sud Américain, l'un basé à Bogota (Colombie), l'autre à Lima (Pérou), de chaque côté de l'équateur.

Francisco José de Caldas, via Wikipedia
Ainsi le premier d'entre eux, Francisco José de Caldas, à l'époque Directeur de l'Observatoire Astronomique de Santa Fe de Bogota, décrit qu'entre décembre 1808 et février 1809, l’atmosphère est apparue très perturbée et le soleil a été voilé durant plusieurs semaines. De facto sa luminosité a été très affaiblie et il a pris une teinte argentée en lieu et place de sa couleur chaleureuse tirant sur le jaune. A tel point que certaines personnes, explique le scientifique Colombien, l'ont pris pour la lune! Le scientifique est aussi responsable de la récolte et du suivi des données météo. Grâce à son travail de mesure quotidien et à ses descriptions, il apparait que le début d'année 1809 a été particulièrement froid au regard des années normales. En particulier, le nombre de jours où il a gelé la nuit a fortement augmenté. Bref: des perturbations atmosphériques évidentes, et souvent associées à une origine volcanique.





Hipólito Unanue, via wikipedia
Côté sud de l'Equateur, le physicien Péruvien Hipólito Unanue, dans son livre: "Observaciones sobre el clima de Lima y sus influencias en los seres organizados, en especial el hombre" ("Observations sur le climat de Lima et ses influences sur les être organisés, en particulier l'Homme"), décrit des phénomènes atmosphériques étranges, qu'il observe à l'horizon sud-ouest. Il s'agit d'effets optiques, lueurs crépusculaires bizarres et inhabituelles. Elles sont régulièrement décrites après de puissantes éruptions volcaniques et sont dû à la réflexion de la lumière du soleil sur des aérosols atmosphériques à haute altitude. Point important: ses observations couvrent la période mi-décembre 1808- mi-février 1809, ne laissant que très peu de doutes sur la corrélation qui peut être faite avec les observations de son homologue Colombien au même moment.


Ces textes des archives coloniales espagnoles sont importants car ils constituent les premiers témoignages directes de phénomènes atmosphériques pouvant être la conséquence de l'"éruption inconnue" détectée dans les glaces polaires en 1996. Les textes, produits par des scientifiques de l'époque, sont suffisamment précis pour commencer à caractériser l'éruption avant même que sa source ne soit identifiée: son paroxysme s'est déroulé entre la mi-décembre 1808 et février 1809, même si elle a pou commencer dès la fin novembre, le temps que les gaz et particules arrivent à Bogota et à Lima. La description de ces deux hommes livre aussi un autre indice: les phénomènes observés à Bogota semblent bien pus importants qu'à Lima: l'éruption semble donc s'être produite dans lhémisphère nord.

Ce qui est incroyable et passionnant, c'est qu'une telle éruption puisse passer totalement inaperçue, ce que suggère le manque de témoignages directs à une époque où, quand même, le territoire sud-américain est bien peuplé. Par ailleurs même la base de données la plus complète du monde, celle du Global Volcanism Program de la Smithsonian Institution, ne contient pas d'éruption de grande ampleur pour cette période. Même celle du volcan Cosiguina (Nicaragua), datée de mars 1809, ne peut pas coller car son existence même est remise en doute depuis 2004, suite à des études de terrain.

Pour le moment donc, l'une des plus importantes éruptions de ces 300 dernières années est encore orpheline de son volcan source, qui se trouve quelque part dans la zone intertropicale, probablement déjà connu et identifié, mais peut-être pas assez étudié pour avoir mis la main sur les dépôts correspondant à cet événement éruptif majeur.

Si ça c'est pas du mystère....

Sources:
"Ice Core Evidence for an Explosive Tropical Volcanic Eruption 6 years Preceding Tambora", J.Dai et al,  1991, Journal of Geophysical Research
"Ice Core Evidence for a second Volcanic Eruption Around 1809 in the Northern Hemisphere", K.Yalcin et al, 2006, Earth Science Faculty Scholarship, Université du Maine
 "Observations of a stratospheric aerosol veil  from a tropical volcanic eruption in decembre 1808:  is this the Unknow ~1809 eruption?",  A.Gevara-Murua et al, 2014, Climate of the Past Discussions
"First eyewitness accounts of mystery volcanic eruption", Phys.org

2 commentaires:

  1. Cette éruption, pourrait-elle avoir eu lieu ailleurs qu'en Amérique du sud?

    Il me vient à l'idée (certes, totalement spéculative) que le volcan d'origine pourrait se trouver sur le rift Africain. Je m'explique : certaines zones de la Rift Valley ne sont que très faiblement peuplée aujourd'hui, alors en 1808... (même l'éruption du Nabro, pourtant assez importante, est relativement passé inaperçu), ensuite, on me dira que ce n'est pas une zone de subduction, mais, l'émission de laves riches en silice n'est pas inhabituelle pour le rift (on y trouve des laves rhyolitiques à trachytiques); enfin, je crois savoir que beaucoup de volcans du rift sont très peu étudiés, donc pouvant nous réserver des surprises. D'ailleurs quand on voit les caldeiras de certains d'entre eux, il y a du avoir par le passé, des éruptions très puissantes.

    Autre hypothèse éruption provenant d'une ile isolée et sans population dans le pacifique, voire une ile ayant disparu au profit d'une caldeira sous marine?

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  2. L'éruption de 1257, début du petit âge glacière a été trouvé, il ne faut pas désespérer pour celle-ci, qui a bien préparé le climat pour le Tambora !

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