26 juillet 2014

Les éruptions Aléoutiennes magnétolocalisées en Nouvelle-Zélande

La géolocalisation est un mot qui est entré dans notre vocabulaire avec l'entrée dans l'ère connectée. Mais en ce qui concerne certaines éruptions, voilà que débarque la magnétolocalisation. Une chercheuse en physique et son équipe, de l'Université de Cape Town (Afrique du Sud) viennent en effet de publier, dans la revue Geophysical Research Letters, une étude dans laquelle ils démontrent que certains signaux, connus sous le nom de "Whistlers" (sifflements), détectés en 2008 et 2009 dans la ville de Dunedin (Nouvelle-Zélande) sont en fait
liés à l'éruption de plusieurs volcans ces années-là...dans l'archipel des Aléoutiennes!

Mais commençons par le commencement: c'est quoi les whistlers?
Il s'agit d'ondes électromagnétiques, de très basse fréquence (domaine des ondes radio), générées par les éclairs en même temps que les ondes électromagnétiques visibles (le flash lumineux) ou les ondes sonores (le tonnerre, qui est plutôt une onde mécanique). Leur particularité est qu'elles peuvent traverser l'atmosphère et parfois aller au-delà de l'ionosphère, pour aller au contact de la magnétosphère.
Cette dernière est composée de lignes de champs de force produites par le noyau terrestre en raison de sa composition métallique (Fer-Nickel essentiellement) et de son mouvement, d'une grande complexité: c'est le champs magnétique, qui oriente l'aiguille de votre boussole (du moins l'ancienne boussole, avec une aiguille). Ce champs peut guider tous les rayonnements électromagnétiques et les particules chargées électriquement (protons, électrons, ions divers et variés etc.).

Magnétosphère de la Terre
La magnétosphère terrestre, qui débute au-delà de l'ionosphère. Image: CNES

Chaque ligne relie, à ses deux extrémités, deux points de la surface de la Terre: ils sont appelés "points géomagnétiques conjugués" et des ondes électromagnétiques produites à l'un des points peuvent être guidées par la ligne de champs jusqu'à son conjugué,  à des milliers de kilomètres.
Lorsque l'onde électromagnétique est prise en charge par la ligne de champs elle s'"étire" tout au long de son parcours. En fait cette onde n'est pas constituée d'une seule fréquence, mais d'une gamme, appelée "spectre électromagnétique", et les fréquences les plus élevées (vibrations rapide)s parcourent la ligne plus rapidement que les fréquences les plus basses (vibrations lentes).

A la réception des ondes au point conjugué, le signal de type whistler se reconnaît alors à sa forme: il commence par les hautes fréquences, qui arrivent en premier, et diminue au fur et à mesure que les fréquences plus basses arrivent. Mais le mieux est encore de l'écouter car ce "chant de la Terre" est tout simplement merveilleux.




Dès 1956 le physicien Owen Storey avait déterminé que les whistlers étaient liés à des éclairs. A partir de ce constat, l'idée d'un réseau mondial de détection des éclairs à commencé à voir le jour, avec un défi à relever: identifier les points conjugués à la surface de la Terre.
Problème: pour trouver ces points il faut à la fois pouvoir localiser les sources, donc les éclairs, et enregistrer les whistlers correspondant afin de pouvoir faire le lien entre les deux.
Il a donc fallu attendre que deux réseaux complémentaires, le WWLLN (World Wide Lightning Location Network) et l'AWDAs (Automatic Whistler Detectors and Analyzers) se développent et accumulent assez de données pour qu'elles puissent puissent ensuite être comparées, et permettent de faire le lien entre éclairs et whistlers, donc entre source et enregistrement.
Grâce à ces données, des chercheurs avaient démontré que, statistiquement, les whistlers enregistrés en un point trouvaient leur source dans un rayon de 1000km autour de son conjugué.

Cependant une énigme est apparue: la ville de Dunedin, en Nouvelle-Zélande. Son point conjugué se localise dans l'archipel des Aléoutiennes, au nord du Pacifique, et aucun des deux endroits n'est soumis à une activité électrique atmosphérique importante, du fait du climat froid qui y règne.
Or, le nombre de whistlers enregistré à Dunedin est parfois anormalement élevé: de temps à autres leur nombre s'élève, peut même devenir très important, puis retombe.

L'hypothèse portée par Claire Antel et son équipe, et qui fait l'objet de la publication au Geophysical Research Letters, est qu'il s'agit d'éclairs d'origine volcanique. Pour le démontrer ils ont donc épluché les données produites par les volcanologues pour voir si, au moment des pics de détection de wisthlers, des éruptions étaient en cours dans les Aléoutiennes. Ils sont rapidement tombés sur les celles de trois volcans se trouvant à proximité du point géomagnétique conjugué de Dunedin:
- l'Okmok, qui a fait éruption en 2008 et se trouve à 350 km seulement du point
- le Kasatochi (éruption en 2008 aussi), qui se trouve en environ 815 km
- le Redoubt (éruption en 2009) qui se localise à 870 km du point.

Les volcans Okmok Redoubt et Kasatochi ne sont pas loin du point conjugué de Dunedin
Dunedin, sur l'île du Sud de Nouvelle-Zélande et son point conjugué dans les Aléoutiennes, sont marqués par un carré bleu incliné. Les trois volcans de l'étude sont marqués par un triangle rouge. Image: Claire Antel et al, 2014
La corrélation est très bonne en particulier pour l'Okmok, le volcan le plus proche du point conjugué, dont l'éruption, du 12 juillet au 19 août 2008, avait débuté par une très puissante activité explosive, , après seulement une heure d'activité sismique. Un panache de cendres, dont le sommet avait atteint 15 km d'altitude, s'était élevé à partir de 11h43 (heure d'Alaska). Le VEI, indice qui mesure la magnitude d'une éruption, a été estimé à 4, sur une échelle de 1 à 8. Un équivalent récent est l'éruption spectaculaire du Kelud, en février de cette année.

Panache de cendres du volcan Okmok, 03 août 2014
L'un des panaches de l'éruption de l'Okmok, le 03 août 2008. Image: Jessica Larsen via AVO

35 minutes après le démarrage de l'éruption une vague, que dis-je, un tsunami de whistlers était enregistré à Dunedin. Leur nombre est en effet impressionnant: à 20h00 (heure d'Alaska) il s'élève à 21021détectés, alors que l'éruption se déroule à plus de 11000 km de là!

Evolution du nombre de Whistlers détectés pendant la première phase de l'éruption du volcan Okmok, 12 juillet 2008
Evolution du nombre de Whistlers détectés à Dunedin le 12 juillet 2008. Les heures correspondent au fuseau horaire d'Alaska. Image: Claire Antel et al, 2014

Une corrélation entre une hausse du nombre de whistlers détectés et les éruptions du Kasatochi et du Redoubt a aussi été mise en évidence. Le nombre de détection est moins important dans les deux cas, bien que l'éruption du Kasatochi soit d'une intensité comparable (VEI 4 aussi), et celle du Redoubt soit à peine moins importante (VEI 3). Il se trouve que la détection des whistlers dépend aussi de la distance qui sépare le site où l'éclair est produit et le point conjugué: plus le point est éloigné, plus l'énergie de l'onde électromagnétique a eu le temps de se "diluer" avant d'être capturée par la ligne de champs.... ou d'être capturée par une autre ligne de champs, donc être détectée à un autre point qu'à Dunedin. Il faut aussi, évidemment, que l'éruption soit assez violente pour générer des éclairs.

Cette détection de signaux permet:

- de constater que les éruptions volcaniques explosives intenses, de part les décharge électriques qu'elles génèrent, peuvent être repérées à l'opposé du globe, via des perturbations de la magnétosphère

- d'identifier avec certitude la source de certains whistlers. Pour les chercheurs ce type de détection va permettre à la fois de mieux comprendre les trajectoires suivies par les ondes radio dans la magnétosphère, et de mieux mesurer leur temps de propagation le long d'une ligne de champs. Ils pourrons alors affiner les algorithmes (suite d'opérations mathématiques) qui sont utilisés pour analyser les whistlers, et donc mieux modéliser la magnétosphère.

Celle-ci est particulièrement étudiée car sa surveillance fait partie intégrante de ce que l'on appelle la "météo spatiale" qui a pour but de prévenir les perturbations de la magnétosphère, en particulier dues au vent solaire. Sa surveillance est une priorité car les bourrasques d’énergie les plus violentes du vent solaire et leur impact sur la magnétosphère, peuvent griller en quelques instants nos systèmes électriques et réseaux de communication... et bien sûr mettre en danger la vie des personnes embarquées pour les missions spatiales, qui sont hors de notre atmosphère protectrice. On est d'ailleurs pas passé loin en 2012.

Source: Claire Cantel et al, 2014: "Investigating Dunedin Whistlers using Volcanic Lightning", dans le Geophysical Research Letters

3 commentaires:

  1. les Volcans qui apporte l'aide pour comprendre le fonctionnent de notre Magnétosphère, c'est vraiment super ça

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    1. Très étonnant en effet :-) Je n'aurais jamais pensé que l'activité volcanique, du moins une partie de l'énergie qu'elle libère, puisse perturber la magnétosphère et, de fait, transiter hors de l'atmosphère

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    2. se qui laisse suggérer que les volcans cache bien d'autres secrets !

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