8 mai 2014

Suivre le tempo des dômes pourrait améliorer la surveillance des volcans

C'est une étude qui vient d'être publiée dans la revue Nature Géoscience qui nous plonge au cœur des conduits magmatiques, pour aller chercher les détails qui font avancer la compréhension de mécanismes complexes qui se déroulent lors de l'éruption de magmas visqueux.
L'étude de ce type de magma est essentielle en terme de prévention car ce sont eux qui génèrent les aléas (phénomènes) volcaniques les plus violents. Et par conséquent, le plus de risques pour les éventuelles populations proches.
Tenter de percer les mystères des mécanismes qui se mettent en place avant et pendant une activité éruptive à magma visqueux est donc un enjeu majeur pour la surveillance et, in fine, pour la protection des populations.

Pour commencer ce post, comparons la musique et la sismicité. Toutes deux ont un point commun fondamental: elles sont constituées d'ondes. Qu'elles soient musicales ou sismiques, ces dernières contiennent dans leur "structure", leurs caractéristiques (telles que fréquence, amplitude etc.) des informations sur la source qui les produits.
Faisons une analogie: on peut assez facilement faire la distinction entre le son d'un instrument à corde et celui d'un instrument à percussion, en raison des caractéristiques des ondes sonores qu'ils produisent. Mais c'est aussi parce qu'on nous avons vu ces instruments produire les sons que nous pouvons faire cette distinction sans trop de problèmes. C'est ce point qui est fondamentalement différent avec les ondes sismiques.
Car sur les volcans on enregistre des ondes mais leur(s) source(s), le ou les instrument(s) qui les génèrent en quelque sorte, est souterraine donc invisible. Les spécialistes tentent donc de les identifier
  en étudiant les caractéristiques des ondes. Un peu comme "les oreilles d'or" des sous-marins, qui peuvent identifier un bateau ou une baleine rien qu'en écoutant les sons.

Parmi les signaux souvent enregistrés lors de la formation des dômes, produits de l'éruption des laves visqueuses, on trouve une sismicité appelée "drumbeat", mot justement plus connu dans le vocabulaire de la musique, et qui peut se traduire par "battement de tambour".

La caractéristique essentielle de ces "drumbeats" est leur répétitivité, leur rythmicité. Ils semblent avoir été décrits pour la première fois lors de l'éruption de 2004-2008 du Mont-St Helens (Etats-Unis) et ont été nommés ainsi en 2006 par l'équipe de Richard Iverson qui a relevé que ces signaux particuliers accompagnaient l'extrusion d'une masse de lave déjà solide en forme de dos de baleine.

Dôme de lave en forme de dos de baleine du volcan Mont Saint Helens, 2005
L’impressionnante extrusion en forme de dos de baleine ("Whaleback") apparu durant l'éruption de 2004-2008. Image: USGS

Seismes de type drumbeats sur le volcan Mont Saint Helens, 2005
La rythmicité des drumbeats qui ont accompagné l'extrusion du dôme en dos de baleine. Image: R.Iverson et al, 2006

Depuis, ces drumbeats ont été enregistrés lors de l'extrusion de nombreux dômes dont celui du Soufriere Hills (Antilles). Le mécanisme qui les produit est resté longtemps hypothétique: le signal (le son, pour reprendre l'analogie musicale) était bien enregistré, mais l'instrument qui jouait les drumbeats restait controversé. Tout ce que l'on savait depuis 2006, c'est qu'ils étaient générés par une montée "par à coup" de la lave visqueuse, phénomène appelé "stick-slip" (en Français "colle-glisse").

Il restait donc à expliquer quels étaient les modalités de ce "stick-slip" et c'est là que se dévoile toute la beauté du métier de géologue: il faut lire dans les roches pour aller chercher la réponse.

Depuis plusieurs années Jackie Evan Kendrick s’intéresse à identifier les mécanismes qui, pendant une activité éruptive, se produisent dans les magmas visqueux. Après avoir échantillonné des fragments du dôme du Soufriere Hills et étudié certains autres en provenance de celui qui est apparu au Mont St Helens entre 2004 et 2008, lui et plusieurs collaborateurs sont parvenus à identifier un type de roche très particulier: les pseudotachylites*.
On les trouve généralement au niveau des failles tectoniques ou des impacts de météorites, et correspondent aux roches fondues par les immenses frictions générées (phénomène de "frictional melting" que je vais traduire ici par "friction-fusion") puis solidifiées si rapidement qu'elles forment un verre.

Aussi ces géologues ont-il trouvé intéressante la présence de ces pseudotachylites dans les roches des deux volcans sus-nommés: des traces de friction, et donc de fractures, sont des indices précieux pour essayer de faire un lien avec certains des séïsmes enregistrés pendant l'extrusion des dômes. Leur présence au sein même de la lave permet par ailleurs de relier leur formation à son déplacement dans la cheminée et/ou à sa mise en place sous forme de dôme.

Cette longue bande noire est une pseudotachylite, photographiée dans un bloc de lave issu du dôme du Soufriere Hills.

Aussi les chercheurs ont-ils décidé d'étudier sous toutes leurs coutures ces roches si étonnantes. Les échantillons des dôme du Mont St Helens et du Soufriere Hills ont ainsi subi une batterie de tests afin de tenter d'en extraire des informations sur les modalités de leur formation. Analyse de leur texture, de leur minéralogie et de leur cristallisation, de leur propriétés magnétiques, thermiques: tout y est passé.
Ils sont arrivés à la conclusion que la friction-fusion, à l'origine de la formation des pseudotachylites, est une source importante de sismicité lors de la mise en place du dôme et peut même être un mécanisme essentiel de la remontée magmatique dans la partie haute de la cheminée, c'est-à-dire au moment où le magma va atteindre la surface et former le dôme.
"Mécanisme essentiel de la remontée magmatique": y aurait-il un lien avec les drumbeats, eux aussi connus pour accompagner justement la formation des dômes?

Pour tenter d'aller plus loin les chercheurs ont entamé la partie la plus fun du boulot de volcanologue, (après le terrain évidemment!!): les manipulations analogiques.
En gros: on fait subir en laboratoire, à un échantillon, des conditions proches de ce qu'il subit dans la nature et on observe comment il réagit.
Les scientifiques ont donc pris des fragments des dômes et après les avoir placé sur un axe rotatif, bardé de matériel de mesures , ils leur ont fait subir une intense friction en les faisant tourner contre un support. Voir le résultat ci-dessous.




Cette série de manipulations a permis de réaliser des mesures inédites et de mettre en évidence un comportement étonnant.
Une fois la friction lancée la température grimpe à très haute vitesse et provoque la fusion en moins d'une seconde. Mais la couche de lave fondue peut agir comme un frein quand la vitesse est trop faible, ou comme un lubrifiant si elle est assez élevée. Mieux encore: ce frein est plus efficace que la seule friction roche contre roche!

Si on transpose ces résultats dans la nature, voilà les grandes lignes de ce qu'il se passe.
Un magma visqueux** en train de remonter frotte contre les parois de sa cheminée et reste ainsi bloqué temporairement jusqu'à ce que la poussée verticale, dûe aux gaz qu'il contient, provoque un début de glissement.
La friction commence alors entre le magma et la parois de la cheminée, et provoque une fusion (à l'origine des pseudotachylites) qui, si la vitesse de déplacement est trop faible, agit d'abord comme un frein et stoppe rapidement tout mouvement. Un peu comme si la colonne de magma visqueux était collée à la paroi par la couche de roches fondues: c'est le "stick" du stick-slip.
Le magma situé en dessous, s'il est suffisamment léger, peut surpasser la résistance de cette "colle tellurique" et provoquer un glissement plus rapide qui, cette fois, sera lubrifié par la présence de la couche de magma encore fondu (c'est le "slip"). Le magma, en décompressant, ralentit et, avec une vitesse plus faible, la couche de roche fondue agit à nouveau comme un frein: tout s'arrête et il faut attendre que le magma situé en dessous parvienne à relancer une friction, donc une fusion pour recommencer le cycle.

Ainsi la friction-fusion semble-t-elle être l'instrument qui donne le tempo de la formation des dômes en générant des drumbeats.

Bien étudier ces signaux peut maintenant ouvrir sur de nouvelles pistes en terme de surveillance et de prévention des risques. Car les études en laboratoire ont permis de relier les comportements mécaniques des roches soumises à la friction-fusion à des vitesses de déplacements. Ainsi il semble possible de commencer, à partir des drumbeats, non seulement de connaitre l'état dans lequel se trouve le magma dans les conduits, mais aussi d'estimer sa vitesse de remontée.


Sources:
Jackie Evan Kendrick et al,  2013: "Frictional melting and stick-slip behavior in volcanic conduits" (EGU 2013, Kagoshima)
Jackie Evan Kendrick et al,  2013:"Seismogenic frictional melting in the magmatic column" (Solid Earth Discussions)
Jackie Evan Kendrick et al,  2014: "Volcanic drumbeat seismicity caused by stick-slip motion and magmatic frictional melting" (Nature Geoscience)


*: et je vous met au défi de le sortir lors d'une réunion de travail :-)
**: n'oubliez pas que la viscosité est ici tellement élevée que le magma est déjà quasiment solide

2 commentaires:

  1. Il me semble que le Turrialba en 2010 produisait des drumbeats .. mais pas de dome ... donc ? ahahahah

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour. En fait la question n'est en fait pas de savoir si il n'y a des drumbeats que sur les dômes et jamais ailleurs mais d'identifier précisément le mécanisme qui les produits lorsque des dômes sont déjà en cours de mise en place. Ici les volcanologues donnent un modèle qui permet de mieux comprendre notamment le côté répétitif des drumbeats, avec en particulier la phase de "colle" (ils emploient le terme de "frein visqueux") qui est un comportement rhéologique vraiment interessant.
      Mais en ce qui concerne le Turrialba on n'est pas si loin: des analyses de la composition des cendres produites par l'activité phréatique de janvier 2010 ont montré la présence d'environ 1% de lave juvénile: de l'Andésite, une roche dont l'une des caractéristique est la très haute viscosité. Dans un rapport mis en ligne par l'OVSICORI en mars 2010 les volcanologues font un lien entre les drumbeats du Mont St Helens et interprètent ceux du Turrialba comme liés à la mise en place de magma (l'Andésite pour le coup).

      Supprimer