Deux équipes de chercheurs, l'une "Franco-Suisso-Japonaise" et l'autre "Suisso-Anglo-Française" ont récemment travaillé sur la problématique de ce que les médias appellent les "super-éruptions", à savoir la formation, lors de véritables cataclysmes, des "calderas ignimbritiques" (les supervolcans des mêmes médias).
Quel est le problème?
Les calderas les plus célèbres, telles Yellowstone (USA), les Champs Phlégréens (Baie de Naples), Valle Caldera (Nouveau Mexique), Toba (Indonésie) ou encore Taupo (Nouvelle-Zélande) résultent de la libération brutale d'un immense volume de magma, lentement stocké pendant des centaines de milliers, parfois des
millions d'années au cœur de la croûte terrestre.
millions d'années au cœur de la croûte terrestre.
Ces événements rarissimes sont responsables de modifications environnementales profondes et durables, en particulier parce qu'ils impactent fortement l’atmosphère terrestre par le volume de gaz et de cendres qu'ils y injectent. La plus forte éruption de ce type repérée dans l'histoire de la Terre s'est produite il y a 28 Millions d'années, dans la zone de l'actuel Colorado, et à libéré un volume de magma d'au moins 5000 km3 (de quoi enfouir Paris intra-muros sous une épaisseur de cendres de 50 km). Il en a résulté la formation de la caldera de La Garita.
Les deux équipes ont, par le biais de deux méthodes différentes et sans rien savoir de leurs travaux respectifs, tenté de comprendre ces mécanismes. Et la même conclusion est tombée: ils sont relativement différents de ceux qui provoquent les éruptions habituelles. Leurs résultat ont été coup sur coup publiés dans la revue Nature Geoscience ce mois-ci.
Quelques fondamentaux pour comprendre
Le fonctionnement général d'un volcan est maintenant bien décrit: du magma, produit dans le manteau, remonte vers la surface par différence de densité et se stocke au passage dans une ou plusieurs chambres magmatiques. Généralement il s'arrête dans la croûte à un niveau où sa densité est équivalente à celle de la roche qui l'entoure: à partir de ce moment-là il ne peut plus monter. Pour pouvoir faire son sprint final vers la surface le magma stocké doit atteindre une pression plus forte que la résistance de la roche qui l'entoure. Lorsque c'est le cas, elle se fracture, le magma s'injecte de force et l'éruption débute.
Comment la pression augmente-t-elle?
Comment la pression augmente-t-elle?
Cela est dû essentiellement à deux mécanismes qui peuvent fonctionner en même temps ou séparément.
- soit la source profonde injecte du magma neuf dans une chambre déjà occupée. Le volume supplémentaire de magma provoque alors une surpression.
- soit le magma stocké se transforme progressivement au cours de son refroidissement ce qui a pour conséquence de concentrer les gaz dans un volume de magma résiduel progressivement plus petit...donc d'augmenter sa pression.
Il s'agit ici du fonctionnement des volcans habituels et toutes les éruptions que l'on connait, des plus petites aux plus violentes de l'histoire, résultent de ces processus.
Le cas particulier des éruptions ignimbritiques
Coupe simplifiée d'un volcan actif: la source profonde, les réservoirs intermédiaires et l'édifice en surface. Image: SiteSVT |
Le cas particulier des éruptions ignimbritiques
Sous les calderas ignimbritiques le volume de magma stocké est tout bonnement immense et son accumulation se fait pendant des périodes de temps de plusieurs centaines de milliers à plusieurs millions d'années. C'est la raison pour laquelle les éruptions ignimbritiques ("super-éruptions") sont si rares et c'est justement cette rareté qui a mis la puce à l'oreille de ces chercheurs.
Si leurs éruptions résulte d'un mécanisme classique, habituel, pourquoi leur fréquence d'éruption est
si faible par rapport aux éruptions normales? C'est à partir de ce constat qu'il ont posé l'hypothèse que le déclenchement des éruptions ignimbritiques pouvait résulter d'un processus non habituel.
Restait à trouver lequel.
si faible par rapport aux éruptions normales? C'est à partir de ce constat qu'il ont posé l'hypothèse que le déclenchement des éruptions ignimbritiques pouvait résulter d'un processus non habituel.
Restait à trouver lequel.
Qu'indiquent les recherches récentes?
Pour cela une première équipe, emportée par Luca Caricchi, à élaboré un modèle mathématique qui a tenté de quantifier dans quelles proportions agissent les différents facteurs conduisant à une éruption. Ceux-ci sont en effet multiples, entre autres:
- la taux de magma fournit par la source
- les contraintes tectoniques locales (si les roches sont comprimées le magma a plus de mal à ouvrir une fracture pour se déplacer).
- les caractéristiques rhéologiques* et/ou mécaniques de la croûte et du magma lui-même. Par exemple un magma visqueux progresse plus difficilement à travers la croûte qu'un magma fluide.
Et le problème c'est qu'on ne sait pas exactement quels sont les plus importants, à quel moment ils agissent etc. La modélisation mathématique avait donc pour objectif de simuler un très grand nombre d'éruption, en faisant varier les paramètres les uns par rapport aux autres, et ainsi tenter de voir leurs actions respectives.
Une fois les ingrédients (les paramètres) prêts, ils ont mélangé tout ça avec une petite sauce aux équations bien pimentée (une modélisation dite "de Monte Carlo") et ont simulé pas moins de 1.2 millions d'éruptions, en faisant varier la recette (la proportion des paramètres) pour pouvoir en tirer des résultats statistiques viables. Et voilà ce qui en résulte:
* tout d'abord leur modélisation est cohérente avec un certain nombre d'observations directes. Dans leurs résultats ils retrouvent le fait que plus un magma reste longtemps dans sa chambre, plus le volume de magma qui sort quand l'éruption se déclenche est important. Pour les calderas, ils retrouvent aussi la relation qui lie leur taille au volume de magma émis. Tout ça pour dire que leur modélisation semble donner des résultats très cohérents avec la réalité et qu'ils ont donc un indice de confiance assez haut pour les autres résultats de cette modélisation.
* résultat inattendu: ils constatent aussi que leur modélisation implique que les "super-eruptions" ne semblent pas déclenchées par des facteurs habituels mais par la seule très faible densité du magma accumulé. Autrement dit ni la recharge magmatique de la chambre, ni la pression des gaz n'aurait le rôle clé dans le déclenchement de ce type d'éruption.
Le dépôt ignimbritique de la caldera de La Garita, Colorado, USA. Cette éruption est la plus puissante trouvée sur Terre avec un volume libéré estimé à 5000 km3 de magma. Image: G. Thomas |
Ce second résultat trouve un écho d'autant plus grand qu'une seconde équipe, celle-ci pilotée par Wim Malfait, parvient à la même conclusion par une méthode totalement différente. Partant d'un échantillon de roche magmatique caractéristique de celui émis par les "super-éruptions" (extrêmement riche en silice), ils l'ont replacé dans les conditions de pression et de température extrêmes à l'aide d'une presse dite "Paris-Edimbourg"**. Ils l'ont ainsi littéralement écrasée sous une large gamme de pressions, allant jusqu'à 3.7 milliards de pascals (37 000 fois la pression atmosphérique, ce qui correspond à une profondeur d'une centaine de kilomètres), et chauffée à diverses températures, la plus élevée atteignant 1600°C environ. A chaque couple pression/température ils ont utilisé le Synchrotron Européen (ESRF), situé à Grenoble, pour mesurer la densité du matériau, grâce à l'absorbtion de rayons X. Leurs résultats suggèrent que la faible densité du magma est seule suffisante pour fracturer le toit d'une chambre magmatique et déclencher une éruption ignimbritique. Résultat en total accord avec la modélisation mathématique de l'autre équipe.
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En quoi est-ce nouveau?
Jusqu'à présent les mécanisme identifiés dans le déclenchement d'une éruption étaient essentiellement la recharge d'une chambre magmatique avec du magma neuf, et l'apparition progressive d'une surpression des gaz, produite par la transformation progressive d'un magma pendant son refroidissement.
Il est évidemment connu de longue date que la faible densité de certains magmas provoque une pression sur le toit des chambres magmatiques. Le phénomène est comparable au ballon qu'on tente d'enfoncer sous l'eau : le ballon étant beaucoup moins dense que l'eau, à cause de l'air qu'il renferme, il tente de remonter et, pour cela repousse la main vers le haut.
Cependant il n'était jamais apparu auparavant que cette seule force verticale pouvait être suffisante pour déclencher les éruptions. Ou, plus particulièrement, les éruptions ignimbritiques.
Pourquoi seules les super-éruptions sont concernées?
A cause du volume de magma impliqué. On ne parle pas ici de quelques kilomètres-cube piégés dans la croûte. Pour les calderas ignimbritiques, les zones de stockage de magma sont larges de plusieurs dizaines de kilomètres, longues d'autant et épaisses de plusieurs kilomètres. Ce sont donc des volumes de plusieurs milliers à dizaines de milliers de kilomètres-cubes de magma qui sont concernés.
Reprenons l'image du ballon:
1-pour maintenir le ballon sous l'eau, l'effort à produire est faible si le volume du ballon est petit. La poussée qu'il exerce est certes non négligeable mais ça reste facile de le garder coincé.
C'est la même chose pour les chambres magmatiques de volcans "normaux". Leur taille n'est pas négligeable, c'est un fait, mais la contrainte que le magma applique sur le toit de leur chambre, du seul fait de sa densité, n'est pas suffisante pour le fracturer, et lui permettre de s'échapper. C'est pour cela que les mécanismes principaux de leur éruption sont la recharge magmatique et la mise sous pression des gaz contenus dans le magma: ce sont eux qui permettent d'apporter la pression suffisante pour rompre la roche.
C'est la même chose pour les chambres magmatiques de volcans "normaux". Leur taille n'est pas négligeable, c'est un fait, mais la contrainte que le magma applique sur le toit de leur chambre, du seul fait de sa densité, n'est pas suffisante pour le fracturer, et lui permettre de s'échapper. C'est pour cela que les mécanismes principaux de leur éruption sont la recharge magmatique et la mise sous pression des gaz contenus dans le magma: ce sont eux qui permettent d'apporter la pression suffisante pour rompre la roche.
2- tentez le coup maintenant avec un ballon des milliers de fois plus gros. Il y a fort à parier que vous vous retrouverez sous l'eau plus souvent que le ballon car la faible densité appliqué à un volume important génère une poussée verticale bien plus importante. Pour les calderas ignimbritiques c'est la même chose. Plus la taille de la chambre augmente, plus la contrainte qui s'exerce sur le toit de la chambre du seul fait de la faible densité du magma qui s'y trouve est importante. Et potentiellement cette seule pression, hors de toute intervention du gaz ou des recharges de la chambre, peut fracturer le toit, et enclencher le départ d'une éruption ignimbritique.
La pression du à la faible densité peut à elle seule fracturer le toit des immenses chambres magmatiques des calderas ignimbritiques. Image ESRF/Nigel Hawtin |
Ok, mais pourquoi la pressurisation habituelle, par la concentration des gaz ou l'injection de nouveau magma, ne fonctionne pas pour les éruptions ignimbritiques?
Parce que le volume de magma est ici tellement important que les parois de la chambre magmatique, maintenues à haute température, sont plastiques, se déforment. La surpression engendrée par ces deux mécanismes est donc compensée par des déformations plastiques. Or, pour entrer en éruption, un magma a besoin de fracturer, de créer une ouverture ce qui est difficile dans un matériau mou. C'est pourquoi la faible densité est la clé: appliquée à un très grand volume, la surpression qu'elle engendre finit par faire céder le toit.
Reste une question: comment le magma atteint la densité critique qui provoque l'éruption? Je la pose autrement: pourquoi une chambre magmatique jusqu'alors tranquille "décide" tout à coup de faire éruption?
La réponse est simple: le magma ne garde pas la même densité tout le temps. Plus le temps passe, plus elle diminue.
La réponse est simple: le magma ne garde pas la même densité tout le temps. Plus le temps passe, plus elle diminue.
J'ai déjà évoqué ce phénomène plus haut pour expliquer la concentration des gaz et la surpression qui en résulte. Le principe est simple: lorsque du magma refroidit, une partie de son volume se transforme en cristaux. Leur formation prélève une partie des composants du magma, comme le fer ou le magnésium par exemple. Une fois ces cristaux formés, le magma résiduel est plus pauvre en fer et magnésium, mais le reste de ses constituants, dont les gaz, sont plus concentrés. On dit que le magma "évolue" et, parmi tous les éléments contenus dans un magma, les fluides (gaz) n'entrent pas du tout dans la composition des cristaux.
Conséquence: à chaque fois que le magma fabrique des cristaux, les fluides se concentrent de plus en plus dans le magma résiduel.
Ceci à deux conséquences synchrones:
- plus les fluides sont concentrés, plus le magma résiduel dans lequel ils sont piégés se pressurise. C'est ce qui conduit généralement aux éruptions habituelles.
- plus les fluides sont concentrés, plus la densité du magma résiduel est faible. C'est ce qui permet aux magmas des calderas ignimbritiques d'atteindre une densité assez faible pour que la poussée qui en résulte fracture le toit de la chambre.
L'un des résultats intéressants de l'équipe de Mr Malfait c'est que la pression critique que la densité doit créer dépend...de l'eau!
Car il faut le savoir: le fluide le plus abondant dans les magmas est l'eau. Sa présence joue donc un rôle crucial dans ces questions de densité. L'étude de l'équipe de Mr Malfait indique en effet que, pour atteindre la pression critique un magma sans eau (anhydre) doit remplir une chambre de 8000 m d'épaisseur au minimum. Un magma contenant 5% d'eau n'a, quand à lui, besoin que d'un réservoir de 5 km d'épaisseur.
Et c'est logique: l'eau étant moins dense que le reste du magma, plus il en contient, moins il est dense lui aussi.
Sur ce même sujet, lire l'excellent post d'Erik Klemetti
Réferences des deux articles concernés:
Frequency and magnitude of volcanic eruptions controlled by magma injection and buoyancy, L.Carrichi et al, 2014, in Nature Gesoscience
Supervolcano eruptions driven by melt buoyancy in large silicic magma chambers, W.J.Malfait et al, 2014, in Nature Geoscience
Conséquence: à chaque fois que le magma fabrique des cristaux, les fluides se concentrent de plus en plus dans le magma résiduel.
Ceci à deux conséquences synchrones:
- plus les fluides sont concentrés, plus le magma résiduel dans lequel ils sont piégés se pressurise. C'est ce qui conduit généralement aux éruptions habituelles.
- plus les fluides sont concentrés, plus la densité du magma résiduel est faible. C'est ce qui permet aux magmas des calderas ignimbritiques d'atteindre une densité assez faible pour que la poussée qui en résulte fracture le toit de la chambre.
L'un des résultats intéressants de l'équipe de Mr Malfait c'est que la pression critique que la densité doit créer dépend...de l'eau!
Car il faut le savoir: le fluide le plus abondant dans les magmas est l'eau. Sa présence joue donc un rôle crucial dans ces questions de densité. L'étude de l'équipe de Mr Malfait indique en effet que, pour atteindre la pression critique un magma sans eau (anhydre) doit remplir une chambre de 8000 m d'épaisseur au minimum. Un magma contenant 5% d'eau n'a, quand à lui, besoin que d'un réservoir de 5 km d'épaisseur.
Et c'est logique: l'eau étant moins dense que le reste du magma, plus il en contient, moins il est dense lui aussi.
Sur ce même sujet, lire l'excellent post d'Erik Klemetti
Réferences des deux articles concernés:
Frequency and magnitude of volcanic eruptions controlled by magma injection and buoyancy, L.Carrichi et al, 2014, in Nature Gesoscience
Supervolcano eruptions driven by melt buoyancy in large silicic magma chambers, W.J.Malfait et al, 2014, in Nature Geoscience
* la réhologie, une science absolument passionnante et pas assez connue à mon sens, étudie le comportement des matériaux soumis à des contraintes mécaniques.
** car développée conjointement par le Département des Hautes Pressions (Paris VI) et l’Université d’Edimbourg (Royaume-Unis).
** car développée conjointement par le Département des Hautes Pressions (Paris VI) et l’Université d’Edimbourg (Royaume-Unis).
Je suis arrivé ici par l'intermédiaire d'un lien dans la sélection scientifique de la semaine dans le blog "passeur de sciences" de Pierre Barthélémy sur le monde.fr. Donc merci à lui.
RépondreSupprimerArticle passionnant, j'y connais rien et j'ai tout compris (enfin je crois). Donc merci à vous.
Aller, je colle votre blog dans mes favoris. Peut-être deviendrais-je moi-même un vulcanophile ?
Bonjour: "je n'y connais rien et j'ai tout compris", voilà peut-être le plus beau compliment que l'on ne m'ais jamais fait. C'est moi qui vous remercie :-)
SupprimerMerci pour cette tres belle explication, claire et comprehensible qui vient enrichir nos connaissances. Merci beaucoup pour ce blog en general.
RépondreSupprimerabsolument passionant ! et plein de découverte pour un "vieux" fana de volcans que je suis depuis mon enfance...
RépondreSupprimerMerci infiniment!
Et le plaisir est partagé :-)
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