6 août 2013

Le bricolage au service de la volcanologie

Voilà un exemple tout à fait démonstratif de ce à quoi peut ressembler la volcanologie de terrain et de l'imagination dont les volcanologues doivent parfois faire preuve pour pouvoir récolter des données toujours plus précises.
En terme de rentabilité, il existe en effet aujourd'hui en volcanologie peu d'outils aussi performants que le "Ashmeter" (le "cendremètre" ou "mesureur de cendres") créé par Benjamin Bernard. Ce scientifique-bricoleur estime en effet le coût de cet appareil à environ 1 dollars US (0.75€) pour une précision de mesure jusqu'à 20 fois supérieure aux méthodes actuellement utilisées.

Matière première du Ashmeter/"cendremetre". Image : Benjamin Bernard


                                    Mais au fait: à quoi sert le "cendremètre"???

Pour comprendre l'importance de l'outil en question, il faut déjà savoir dans quel contexte il sert.
Comme toute science naturelle, la volcanologie fonctionne à deux niveaux:

La volcanologie fondamentale s'attache à comprendre la "machine volcan" sous tous ses aspects, qu'il s'agisse:
* du fonctionnement de la source qui l'alimente en magma
* du système de conduits qui permet au magma d'arriver en surface
* des mécanismes qui contrôlent l'évolution chimique du magma
* du déroulé de chaque éruption

Elle se pratique essentiellement dans des laboratoires dans lesquels on trouve des outils de très haute technologie (ICP , MEB, spectromètres, produit chimiques divers et extrêmement dangereux, etc.) qui servent à extraire, mesurer, voir tout ce qui est très petit et/ou en quantités infinitésimales, et donc difficilement accessible à la mesure directe.

L'ICP-MS à Ablation Laser (LA-ICP-MS) du Laboratoire Magmas et Volcans de Clermont-Ferrand. Image: LMV

La volcanologie appliquée, elle, se déroule dans les observatoires. Ces derniers ont la charge de la surveillance des édifices volcaniques et de l'enregistrement en temps réèl des divers signaux que produit le volcan (séismes, composition des fumerolles etc). En fonction de ces signaux et de leur interprétation, les observatoires transmettent des bulletins aux autorités civiles qui, en cas de crise, décident des mesures à prendre. D'un autre côté ces signaux servent aussi à alimenter les études de volcanologie fondamentale afin d'améliorer sans cesse les modèles.

Au quotidien volcanologies "fondamentale" et "appliquée" sont étroitement imbriquées et nombres de chercheurs passent du temps en observatoire pour collecter eux-même les données dont ils ont besoin pour leurs études et leur modèles.

La salle des opérations de l'Alaska Volcano Observatory. Image: AVO/USGS

                                                          Mesurer les cendres

L'un des "signaux" enregistrés lors de phases éruptives est la quantité de cendres produite et sa répartition. Sa mesure est d'une grande importance car elle permet, pour chaque éruption:

- de calculer l'énergie libérée
- de calculer l'Indice d'Explosivité Volcanique (IEV), sorte "d'échelle de Richter" de l'activité explosive
- de cartographier l'extension des zones affectées par les chutes de cendres
- de calculer la masse de magma libérée pendant l'activité éruptive.

Par ailleurs les cendres récoltées dans de bonnes conditions sont des échantillons précieux, analysés en laboratoire, qui peuvent fournir des indication sur la provenance du magma et son parcours.

Mais cette mesure est très difficile et relativement imprécise pour de petits volumes de cendres, liés à des activités éruptives modérées. Leur dépôt disparait en effet rapidement sous l'action des agents atmosphériques (pluie, vent).

Pour les panaches de petite taille, comme celui-ci émis ce matin par le Shiveluch, le "cendremètre" est idéal. Image : KVERT

Pour accéder à ces données il faut, sur le terrain, procéder à la mesure en temps réèl et simultanément à de nombreux endroits de certains paramètres. Ce sont:
- l'épaisseur de cendres déposées, qui permet par la suite de dessiner une carte d'égales épaisseurs (les isopaques).
- la charge en cendres, qui mesure le poids de cendres par unité de surface, qui aboutit au calcul de la masse totale de cendres déposées.
- la densité volumique, ou masse de cendres par unité de volume. Benjamin Bernard explique que cette donnée est nécessaire pour comprendre l'impact des chutes de cendres sur les infrastructures.

L'enjeu est bien sûr de gagner un maximum de précision sur les mesures directes, pour gagner en précision sur les calculs qui en découlent.

Mais collecter des cendres en temps réèl ne se fait pas n'importe comment: en sciences, le mot   "protocole" règne en maître. L'International Volcanic Health Hazard Network (IVHHN) a ainsi édité une série de guides pratiques dont l'un précise la méthodologie à utiliser pour la récolte de cendres.
L'une d'elle consiste à tracer au sol un carré (de plus de 20x20 cm précise B.Bernard) et de mesurer l'épaisseur de cendres qui s'y trouve.


Mesure de l'épaisseur des cendres déposées par l'activité du Spurr en 1992. Image : AVO/USGS

Mais cette récolte n'est pas aisée et se heurte à divers problèmes qui brouillent la mesure et en diminuent la précision. Les problèmes les plus fréquents sont:

- le vent: un fois le dépôt à terre, les cendres peuvent être déplacées, accumulées dans certaines zones. Le dépôt peut aussi être vanné, c'est-à-dire trié par le vent qui enlève les particules les plus légères.

- l'épaisseur minimale requise, car des études ont montré qu'avec un dépôt de moins d'1cm d'épaisseur la  marge d'erreur de la mesure est trop importante.
- l'eau de pluie: lorsqu'elle se dépose sur les systèmes de récolte elle peut dissoudre certains composants contenus dans les cendres (gaz par exemple), qui sont nécessaires aux analyses ultérieures, en laboratoire. Par ailleurs la pluie remobilise les dépôts, comme le vent.

La mise au point du "cendremètre" répond donc à la nécessité d'accéder à une mesure de qualité en évacuant les problèmes classiques liés à la récolte des cendres.

Comme la première image le montre l'appareil est avant tout constitué de bouteilles en plastique qui jouent le rôle de collecteurs.

L'appareil une fois monté. Image : Benjamin Bernard



Une fois en place l'appareil en place, les cendres tombent à l'intérieur de la partie graduée grâce à l'entonnoir ouvert au sommet. Par ce système simple même de très faibles quantités de cendres s'accumulent au fond de la partie graduée qui permet une lecture directe de l'épaisseur. Les dimensions de l'entonnoir étant connues, les calculs des paramètres décrits plus haut (charge, etc) sont directs.
Les tests de l’appareil effectués en 2012 au Tungurahua indiquent que la marge d'erreur est faible, même pour la mesure de très petites quantité de cendres. Ainsi, pour la première fois, la mesure d'une épaisseur de cendres inférieure à 1 mm, caractéristique des petits événements éruptifs (les plus fréquents), est possible avec une  marge d'erreur de 7% au maximum.

C'est précisément ce gain (ce bond, pourrait-on dire) de précision, couplé au très faible coût et à la facilité de transport et de réparation, qui fait toute la force du "cendremètre".


Un "cendremètre" installé vers le Tungurahua. Image :Benjamin Bernard

Source : Bernard: "Homemade ashmeter: a low-cost, highefficiency solution to improve tephra field-data collection for contemporary explosive eruptions". Journal of Applied Volcanology 2013

Et si vous voulez en construire un vous-même, Benjamin Bernard a même pensé à distribuer un petit guide sous forme de vidéo.

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