24 juillet 2013

Le moteur à quatre temps du geyser Lone Star (Yellowstone)

Localisation du Geyser Lone Star. Image : Google Earth.
En 2010, une équipe internationale de géophysiciens regroupée par Shaul Hurwitz, est allée étudier le Lone Star, magnifique geyser isolé du Parc de Yellowstone, qui entre en éruption toutes les 3 heures avec une grande régularité. Leur objectif : mieux comprendre le fonctionnement de ces machines thermiques bien entendu, mais pas seulement.

Le geyser Lone Star, Yellowstone. Image: Eleanor Scriven

Certes le mécanisme "fondamental" de ces magnifiques objets naturels, la transformation de l'eau liquide en vapeur grâce à la chaleur de masses magmatiques, est identifié de longue date. Mais dans le détail (quantité d'eau impliquée, énergie libérée, profondeur/morphologie/nombre de réservoirs etc.) ces objets restent méconnus. Par ailleurs, l'analyse de ces objets pourrait aussi aider à mieux comprendre le fonctionnement des volcans, systèmes autrement plus complexes.

Ils ont en effet tous les deux un point commun: ils fonctionnent à partir d'un mélange de différentes phases:
- l'eau sous ses phases vapeur et  liquide pour le geyser
- une phase liquide (silicate et/ou carbonates fondus), de solides (silicates cristallisés) et de gaz divers (eau, dioxyde de carbone et de soufre, hydrogène sulfuré etc) pour le magma;

et leur éruption est, au moins en partie, contrôlée par la séparation de ces différentes phases. L'explosivité d'une éruption volcanique par exemple sera déterminée par la profondeur et la vitesse à
laquelle les bulles de gaz se forment (phénomène appelé "exsolution des gaz") dans une masse de magma en cours d'ascension.

L'enjeu des recherches menées par cette équipe est donc plus large que la seule compréhension des geysers.


Mais pour appréhender le fonctionnement du Lone Star, il faut avoir du grain à moudre. Ou, dans le jargon scientifique, "il faut acquérir des données".
Les spécialistes ont donc passé 4 jours, en septembre 2010, au chevet du geyser afin de réaliser une batterie de mesures en tous genres, toutes réalisées en simultanée. Ils ont ainsi mesuré en temps réèl pas moins de 32 éruptions.

Et pour être sûr de ne rien rater, les chercheurs n'y sont pas allés de main-morte, voyez par vous-même:
- gravitmètre, pour mesurer en continue les variations du champs de gravité. Ceci permet notamment de constater d'éventuelles variations de masse en profondeur. La présence de vapeur, moins dense que l'eau liquide, entraine par exemple un "déficit de gravité".
- sismomètre large bande pour capter un maximum de signaux sismiques, dans une large gamme de fréquences (avoir la plus large tessiture du chant du geyser en quelque sorte).
- scanner LiDar, pour pouvoir numériser la morphologie du geyser à différentes étapes de son fonctionnement, et ainsi savoir si il se déforme.
- caméra FLIR pour observer le geyser dans la gamme des infrarouges et acquérir des données thermiques.
- micros pour enregistrer les ondes acoustiques
- caméras haute vitesse, pour décortiquer chaque fraction de seconde du fonctionnement des éruptions.
- acquisition de données météorologiques, pour pouvoir détecter d'éventuelles corrélations entre des variations de l'activité et des paramètres atmosphériques (température, pression).

En bref: ils ont vraiment voulu mettre ce geyser à nu!


Le géophysicien Jean Vandemeulebrouck sur le Lone Star, en 2009. Image : ISTerre.

L'ensemble des données ainsi récoltées à permis d'identifier une activité en 4 phases.

1- La première d'entre elles est la phase éruptive, qui dure entre 25 et 31 minutes. Comme tous les geysers, elle se manifeste par un jet constitué d'eau liquide et de vapeur d'eau mélangés. Pour le Lone Star il est expulsé à une vitesse qui varie de 57 à 100 km/h. Au départ de l'éruption, il est essentiellement constitué d'eau liquide (0.01% en masse du jet) puis, au fur et à mesure qu'il se déroule, la fraction de vapeur augmente.
2- une phase dite "de relâchement" arrive ensuite. Elle dure entre 32 et 18 minutes et, bien qu'il n'y ait aucune activité en surface, le geyser continue d'émettre de la chaleur et des ondes acoustiques.
3- une phase de recharge prend le relai: d'une durée qui varie entre 46min et 1h12 elle se manifeste par une activité géophysique réduite.
4- une phase appelée "pre-play" ("avant de jouer") termine le cycle. Elle se caractérise par des émissions sporadiques ("bouffées") de vapeur et des débordements d'eau liquide. Ces derniers sont  des variations rapides du niveau de la colonne d'eau, probablement dûs à des mouvements de bulles de vapeur dans les conduits. Elle dure entre 55 min et 1h23.

Image thermique d'une éruption du Lone Star. Image : L.Karlstrom et al.

Les analyses chimiques réalisées sur les eaux expulsées indiquent que la température qui règne dans le réservoir est d'environ 160 à 170°C, alors que la température d’ébullition de l'eau à l'altitude du Lone Geyser n'est que de 93°C. Ceci résulte de la très haute pression (probablement aux environs de 10 bars, d'après le diagramme de phase de l'eau) liée à la profondeur du réservoir. Le volume d'eau mis en jeu à chaque cycle éruptif est en moyenne de 20.8m3. Dans les différents articles que j'ai consulté sur ce sujet, il est aussi indiqué que le geyser libère une puissance de 1.5 MégaWatt, ce qui représente, au dire des scientifiques, 0.1 % de la puissance libérée dans tout Yellowstone.

Plus interessant encore, en raison des perspectives que cela ouvre: il semble possible de comparer certains signaux enregistrés sur ce geyser, avec ce qui se passe sur les systèmes volcaniques. Car ces derniers, bien que plus complexes, ont une organisation similaire :
- une source, généralement située dans le manteau, qui pourvoie le système volcanique en magma
- un réservoir: la chambre magmatique
- un système de conduites d'évacuation: la(es) cheminée(s)
 Par ailleurs geysers comme volcans se caractérisent par un comportement discontinu, qui alterne phases de repos et phases éruptives. Et cette alternance est pilotée par le mécanisme de séparation des phases, évoqué plus haut.

Enfin, juste pour le plaisir car elle a déjà bien tourné, je vous met le lien vers cette vidéo exceptionnelle d'un geyser vu de l'intérieur, filmée par une équipe Russe dans la Vallée des Geysers (Kamchatka), avant le glissement de terrain de juin 2007 .





Sources : American Geophysical Union; Physics today

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