5 décembre 2018

Volcan Lascar (Chili): l'activité évolue

Et c'est un petit message du SERNAGEOMIN qui a mis la puce à l'oreille, en indiquant que, sur les images nocturnes de la webcam, une lueur était visible. Ils parlent d'"incandescence" mais ce n'est techniquement pas vrai: la "lueur" sur les images est avant tout produite par des infrarouges, une lumière invisible pour nos yeux, mais que le capteur de la webcam détecte et transcrit sous la forme de pixels blancs, saturés. Peut-être y a-t-il par ailleurs une incandescence (lumière visible à l'oeil nu) mais pour le moment je n'ai pas vu d'images qui la montrent.
Mais au final peu importe: l'essentiel n'est pas de savoir si l'on voit ou pas les hautes températures qui règnent maintenant au fond du cratère actif de ce volcan, mais quelle est leur cause, leur origine.
Et je vais être directe: je n'ai aucune réponse franche, ferme, définitive, assurée à cette question, mais je vous propose toutefois de faire une compilation des faits et données qui caractérisent pour le moment la situation.

Comme dit plus haut, tout à commencé avec un message du SERNAGEOMIN, organisme Chilien en charge (entre autres) de la surveillance des volcans du pays. Les volcanologues du SERNAGEOMIN n'ont, pour le moment, détecté aucune sismicité anormale au cours du mois de novembre: elle reste faible et les secousses liées aux mouvements de fluides sont restées, à priori, dominantes durant tout le mois. Il faudra toutefois attendre le prochain bulletin pour avoir plus de détails sur ce point. À noter aussi qu'il n'y a pas eu à ce jour de publication de bulletin spécial (REAV) et que le niveau d'alerte volcanique reste au vert actuellement. Bref: vu comme ça tout est normal et habituel, sauf cette hausse des émissions infrarouges. J'en profite tout de même pour signaler qu'il y a eu un essaim de secousses le 26 juillet 2018, mais je ne suis pas en train de dire qu'il y a un lien avec la situation actuelle. Peut-être que oui, peut-être que non....mais ça fait malgré tout partie du contexte de la situation.

Ce que l'on voit à la webcam depuis plusieurs jours. Image: SERNAGEOMIN

Si l'on regarde les données MIROVA on peu commencer à voir que les signaux thermiques sont détectés très souvent et sont relativement forts depuis le 21 novembre. L'avantage dans ce secteur du globe étant que la météo est favorable à la détection des infrarouges pour ainsi dire tous les jours de l'année, on peut avoir ici une idée plutôt fiable de la date d'apparition de ces signaux.


Détection de signaux thermiques plus forts et plus fréquents que d'habitude à partir du 21 novembre. Image: MIROVA

Toutefois, le MIROVA traite les données issues des satellites MODIS-TERRA et MODIS-AQUA dont les capteurs ont leurs propres caractéristiques, notamment leur propre limite de détection*, leur sensibilité. Lorsque c'est possible il est donc toujours bon de croiser avec d'autres données satellites, si possible plus récents que les MODIS (à priori, les capteurs sont plus sensibles). Si l'on regarde celles produites par SENTINEL entre le 11 octobre et le 30 novembre, on peut constater que le signal thermique, faible, commence à changer vers le 15 novembre, ce qui semble une date plus juste que celle du 21 donnée par le MODIS. Mais il fat noter au passage que ce signal thermique n'est pas habituel/permanent: il était apparu très très progressivement au cours du mois de juillet (d'où un lien potentiel avec l'essaim sismique cité plus haut).

Évolution de l'activité thermique au fond du cratère du Lascar entre début octobre et fin novembre 2018. Images: SENTINEL 2 - ESA/Copernicus; Bandes 12-11-8A

Après avoir fait le tour des données, le moment le plus compliqué est de répondre à la question: comment expliquer ces changements?

Et c'est là que le bas blesse car finalement il n'y a pas de données directes. La sismicité, on l'a vue, est décrite comme stable par les spécialistes. Il n'y a par ailleurs aucune information récentes concernant la déformation, et celle qui avait été observée en octobre ne montrait rien d'anormal.

La seule chose que l'on puisse dire, c'est que la hausse de l'activité thermique accompagne une modification au fond du cratère, qui est parfaitement synchrone avec l'activité thermique. Modification que je ne saurais décrire autrement que par "apparition d'une tâche sombre", qui est située au même endroit que la source du rayonnement thermique fort détecté: cette tâche est donc la source ou est liée de près à la source. Elle mesure à peu près, sur l'image du 30 novembre, 40 m de large.



Alors certes on a un peu avancé mais il reste le plus important: "c'est quoi cette tâche sombre!". Et là on ne peut être que dans le domaine des hypothèses.

N°1: une lente extrusion a débuté au fond du cratère. Et la situation est alors un peu similaire à celle qui se déroule au Merapi c'est-à-dire qu'une éruption a débuté sans que les paramètres géophysiques (sismicité/déformation) ne soient affectés.

N°2: une masse de magma approche sans être encore sortie et la hausse de température et la tâche sombre sont liés au dégazage (qui aurait produit un peu de cendres pour la tâche sombre?). Mais alors il faut là encore expliquer pourquoi les paramètres géophysiques ne disent rien.

N°3: Une activité explosive faible, strombolienne, a lieu au fond du cratère. Elle génère peu de cendres (rien de visible dans le panache sur les images webcams), et couvre le fond du cratère d'une couche se lapillis et bombes (la tâche sombre).


N°4: une autre hypothèse à laquelle je n'ai pas pensé. Et si vous en avez, n'hésitez pas à les proposer dans les commentaires bien entendu!

Honnêtement rien ne m'a encore permis de pencher sur une hypothèse plus que sur une autre mais j'avoue avoir une attirance instinctive sur la n°3. Attirance qui n'a aucune valeur particulière mais c'est une hypothèse qui colle pas mal avec les signaux je trouve.

Vous comprenez pourquoi la situation est interessante à surveiller. Comme au Merapi des questions se posent sauf qu'ici ce qu'il se passe au fond du cratère mérite d'être éclairci au plus vite. Pour le dire autrement: il faut des images! Sachant que si effectivement un petit dôme a commencé à se former, la zone du cratère est devenue à très haut risque, une explosion pouvant survenir n'importe quand.

A suivre de près.

Sources:  SERNAGEOMIN; MIROVA; SENTINEL2-ESA/Copernicus

* à partir de quelle puissance le rayonnement thermique est-il assez fort pour exciter le capteur et créer le signal?


4 commentaires:

  1. Je verrais bien une chute de débris ( suite à l'essaim de juillet )sur un debut d'extrusion qui se continue et s' étale là d'où les debris sont tombés ,et les bords actuels semblent plus chaud car non recouverts des debris de juillet.
    Vu la tranquillité de l'ensemble je verrais une effusion plutôt qu'une explosion.
    Mais je suis loin d'être un spécialiste.

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  2. Une modification de la chimie du cratère due à l'arrivée de gaz chauds ? Celà pourrait "cuire" les roches présentes et modifier leur teinte ?

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  3. Bonjour, oui je pencherais bien pour cette derniére hypothese d'une augmentation de la température des gaz, qui font réévaporer/bruler les dépots de soufre. Vu l'histoire éruptive et la composition de la lave du volcan la croissance d'un dome est également possible
    Comme le fond du cratere du Lascar est invisible depuis le bord, la seule facon d'avoir des images c'est par un drone

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  4. L'idée des roches ""cuites"" me parait assez intéressante, elle rend possible toutes les infos recoupées.

    Je me permets d'ajouter ces images de Jean Luc Merlot (images au profil public donc autorisées à la consultation). On n'y voit malheureusement pas le fond du cratère mais c'est déjà cela !

    https://www.facebook.com/jean.l.melot/videos/pcb.10215639617677957/10215639595997415/?type=3&theater

    https://www.facebook.com/jean.l.melot/videos/pcb.10215639617677957/10215639596877437/?type=3&theater

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