Et il est évident que ce n'est pas d'Aluminium dont je vais vous parler ici, mais bel et bien du volcan Alu...à moins qu'il ne s'agisse d'un horst...ou carrément autre chose...
Quel est le sujet précisément?
D'une certaine manière c'est d'abord un sujet qui parle de la difficulté qu'il peut y avoir à décrire un objet géologique donné, et des approches qui sont faites justement pour y parvenir.
A priori, rien de plus simple que de décrire un volcan quand on en voit un: un relief constitué de lave, construit par une (monogénique) ou plusieurs (polygénique) éruptions, alimenté par une "cheminée" à travers laquelle un magma à pu s'extraire de sa zone de piégeage ("chambre magmatique").
Du coup quand on voit l'Alu, situé entre Dallol et l'Erta Ale en Éthiopie, dans le Triangle de l'Afar, on voit bien en le regardant un relief constitué de lave. Comme il y a des traces d'éruptions récentes (cônes et coulées par exemple) on se doute bien qu'il y a une ou plusieurs "cheminées": donc c'est un volcan.
Le problème c'est que lorsqu'on le regarde, depuis le sol ou l'espace, on se rend rapidement compte qu'il est totalement fracturé, par des failles importantes grosso modo parallèles à la direction des failles majeures de cette partie du Rift Africain (Rift de la Mer Rouge et du Danakil), et par une multitude d'autres plus petites qui ont de multiples directions. Ces observations avaient, dans les années 70, conduits les chercheurs, qui avaient remarqués sur le terrain ces éléments de tectonique (les failles) à interpréter Alu comme un horst, c'est-à-dire une zone de la surface terrestre mise en relief par le mouvement des failles normales.
Le Global Volcanism Program et Google Earth se font d'ailleurs les interprètes de ces deux hypothèses:
- au GVP, Alu est décrit comme un horst fracturé, rattaché au stratovolcan Dalafilla, voisin (matricule 221060). D'ailleurs la fiche correspondante est titrée "Alu-Dalafilla".
- sur Google Earth, Alu est marqué comme un centre éruptif indépendant du Dalafilla
L'Alu, relief d'origine volcanique? Tectonique? Autre? Image: Google Earth |
Mais une étude publiée en mai cette année balaye ces deux idées, sur la base de l'analyse dite "morphostructurale", c'est-à-dire qui s'attache à analyser à la fois la morphologie (forme arrondie ou anguleuse, dimensions etc) et la structure de l'objet étudié, en particulier la manière dont il est fracturé (dimensions, répartitions des fractures). Le tout assaisonné d'une analyse de la chronologie relative ("qu'est-ce qui s'est formé avant/après") des éléments qui le composent (coulées, failles, dépôts divers etc).
Pilotée par Craig Magee de l'Imperial College de Londres, et impliquant d'autres universités, dont celle de Clermont-Ferrand via le Laboratoire Magmas et Volcans, celle de Mekelle (Éthiopie), le Michigan Tech Institute et l'Université de Birmigham (Royaume-Uni), elle jette un oeil neuf sur les processus à l’œuvre dans des zones d'extension importante, où un nouvel océan est en pleine éclosion.
Tout d'abord les chercheurs constatent que, contrairement à un horst (revoir schéma plus haut), les bords du relief appelé "Alu" ne sont pas limités par des failles. Par ailleurs si Alu avait été un volcan il aurait, par définition, été constitué de l'empilement de lave(s)*, sous forme de coulées, cendres bombes, lapillis, etc. Ce qui implique, pour former un relief assez imposant qu'il y ait eu un nombre limité de points de sorties, regroupés géographiquement sur un espace restreint: on parle alors d'"évent principal". Et il n'y a pas d'évent principal sur Alu.
Ensuite l'analyse de certaines coulées de lave visibles sur ses flancs montre que:
- elles ont toutes les caractéristiques qui indiquent qu'elles se sont misent en place sur un substrat horizontal, or aujourd'hui elle sont fortement inclinées
L'analyse de leur orientation montre qu'il y en a, pour faire simple, deux types:
- globalement nord-sud
- globalement est-ouest
Ce type de fracturation est le résultat d'une inflation importante: c'est un peu l'équivalent de la surface d'un gâteau qui gonfle et dont la surface se craquèle.
L'éruption du Dalaffila, en 2008, a apporté un indice important et révélateur pour comprendre la nature de ce relief. Cette éruption a formé un imposant champ de lave au sud-est de l'Alu. Or il se trouve qu'avant l'éruption ce dernier a été le siège d'une inflation importante, estimée à quasiment 2 m grâce à des données satellites (InSAR), suivi d'une déflation pendant et après l'éruption.
Cela indique que le magma qui a fait éruption s'est d'abord temporairement stocké sous la zone de l'Alu avant de sortir plus au sud-est. Ce qui donne la clé pour comprendre la nature de ce massif: il s'agit de ce que les volcanologues appellent un "pli forcé", une zone soulevée et déformée par une intrusion magmatique.
Les intrusions magmatiques peuvent prendre diverses formes (dyke, sill, laccolite etc). Les sills en particulier, qui sont des accumulations de magma parallèles aux strates dans lesquelles il s'injecte, peuvent avoir des formes variées: tabulaires, "en assette à soupe" etc. Comment distinguer alors quelle type d'intrusion peut avoir formé ce relief appelé "Alu", par soulèvement du sol?
C'est là qu’intervient l'"analyse morphostructurale".
Constat n°1: en fait les études sur le sujet montrent que la forme d'un relief produit par une intrusion dépend directement de la forme de l'intrusion elle-même. Et en ce qui concerne Alu, tout indique à priori que c'est une intrusion de type Laccolite, en forme de dôme plus large que haut, qui serait responsable du soulèvement. Le magma s'insinue entre deux strates (par exemple d'anciennes coulées de lave aujourd'hui enfouies sous des coulées plus récentes, ou des dépôts de sédiments enfouis etc), puis l'accumulation provoque le décollement des strates supérieures, formant un bombement visible en surface, comme une sorte d’abcès géologique. Sous l'effet du soulèvement, le sommet du bombement est mis en tension, générant ainsi de multiples fractures, des failles normales.
Forme d'une intrusion de type Laccolithe. Image: Erimus/Wikipedia, |
Constat n°2: le problème ici, c'est que lorsque du magma parvient à fuiter d'un laccolite, et fait éruption, il le fait au sommet de la zone soulevée. Or, l'analyse des images satellites montre clairement qu'il n'existe aucun évent récent au sommet de l'Alu. Le seul qui s'y trouve (un cône) est fracturé, donc plutôt ancien.
Par ailleurs certaines coulées, situées au pied de l'Alu, ont vu leur trajectoire déviées par ce dernier, impliquant qu'il avait déjà commencé sa formation avant leur éruption. Vue leur proximité, il est très vraisemblable que ces éruptions ont été alimentées par l'intrusion elle-même (voire schéma ci-dessous) mais les évents sont situés en dehors du bombement et non au sommet: le Laccolite ne correspond donc pas à tous les critères permettant d'expliquer les observations.
A contrario une intrusion de type Lopolite, en forme d’assiette à soupe, peut correspondre. Car avec elle le magma, lorsqu'il parvient à "fuiter", fait éruption sur le pourtour de la zone soulevée et non à son sommet.
Il n'est pas actuellement possible de dire à partir de quel moment cette intrusion a commencé sa mise en place, et donc à quel moment le "pli forcé" nommé Alu a fait son apparition. En effet les coulées observées ne sont pas datées, ni même les laves déformées par le bombement. Par ailleurs les données historiques disponibles ont toujours fait mention de la présence de ce relief dans le paysage. Le phénomène a donc débuté il y a vraisemblablement plusieurs centaines, peut-être quelques milliers d'années.
L'éruption de 2008 permet aussi d'avoir une idée quand à la manière dont ces reliefs se forment. En effet le volume émis par l'éruption a été estimé à 25,4 millions de m3. Mais la déformation mesurée correspond à l'injection, dans l'intrusion, d'un volume de magma de 0,4 million de m3 seulement! Ce qui signifie que la majeure partie du magma émis était déjà présente dans l'intrusion.
Cette dernière, et donc le bombement qu'elle provoque, grandit donc par à coups, par ajout de petits volumes de magma successifs, et non par l'injection massive d'une grande quantité de magma.
Une intrusion en forme d'assiette à soupe (lopolite) |
Conclusion: un relief d'abord décrit comme un horst (structure tectonique) puis comme un volcan (accumulation de lave sur le sol) se révèle en réalité être un bombement du sol produit par une intrusion à faible profondeur (environ 1km). La morphologie de ce bombement, l'analyse de sa fracturation mais aussi l'étude des coulées de lave qui l'entourent (trajectoires, répartition des évents éruptifs) a permis de construire l'hypothèse de la géométrie de cette intrusion (assiette à soupe), et celle concernant le mécanisme de sa croissance (par à coup).
Finalement, c'est pas toujours simple de comprendre un relief rien qu'en le regardant....
Source : "Structure and dynamics of surface uplift induced by incremental sill emplacement"; Craig Magee et al, 2017; The Geological Society of America
* un "s" parce qu'il peut y avoir plusieurs types de laves pour constituer un seul volcan
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