10 novembre 2016

L'activité éruptive du volcan Bagana entre 2014 et 2016- 2nde partie

Après avoir tenter d'acquérir quelques détails, et poser quelques idées pour les expliquer, concernant l'activité du Bagana en 2014, regardons maintenant d'un peu plus près ce qui a pu se passer au cours des années 2015 et 2016.


Étape2 : entre juillet et octobre 2015

Pour résumer très rapidement le post précédent, le 12 août 2014 "quelque chose", qui pourrait donc être un écoulement pyroclastique important, a eu lieu. Mais lorsqu'on regarde des images prisent au cours des mois suivants, en particulier au cours de l'année 2015, on peut honnêtement se poser la question de savoir si une coulée de lave ne se serait pas mise en place sur le versant nord du volcan.

Ce n'est pas très clair malheureusement car les nuages sont omniprésents sur le massif, malgré quelques très rares vues plutôt bien dégagées. C'est une comparaison d'images, prisent cette fois entre juillet et octobre 2015, qui semble accréditer cette idée. On y voit, à la base du versant nord, une "masse sombre" dont les contours assez nets recouvrent:
- la végétation vers le sud
- une coulée plus ancienne et ses levées latérales, dont l'une (au nord) semble avoir été "effacée" (recouverte).

Sur l'image de droite (octobre 2015) j'ai ajouté en pointillés blancs le contour de la partie végétalisée visible en juillet 2015 (à gauche) ce qui permet de visualiser le fait que la "masse sombre" a empiété sur cette zone.


Modifications sur le versant nord du Bagana entre juillet et octobre 2015. Images: LANDSAT 8.

Le fait que le contour soit net, que la teinte soit foncée et que, par ailleurs, sur toutes les images suivantes (y compris en 2016), la teinte ne change pas (pas de reconquête végétale visible) accrédite le fait que cette masse pourrait être une coulée de lave.
Toutefois la résolution de ces images n'est pas suffisante pour avoir une certitude: un contour net à faible résolution peut se révéler plus complexe sur des images à haute résolution. Et cette masse pourrait aussi être un dépôt laissé par une série d'écoulements pyroclastiques par exemple.


Étape 3: janvier à septembre 2016

2016 n'est pas en rade: il semble que des événements très importants se soient déroulés sur le massif cette année, en toute discrétion.

Tout d'abords il suffit de regarder du côté des signaux thermiques pour se rendre compte qu'ils sont plus nombreux, aussi bien du côté du MIROVA que du MODVOLC (deux algorithmes pourtant différents). On note en particulier trois pics distincts:
- à partir de la fin du mois de juin
- vers la mi-août
- vers la mi-octobre

Pics d'activité thermique sur le Bagana en 2016. Image: MIROVA

Lorsqu'on regarde les images satellites de cette année on voit notamment des changements importants lors du premier pic d'activité, fin juin- début juillet.

Les changements visibles entre janvier et juillet 2016. Images: LANDSAT 8

Sur la composition de trois images ci-dessus l'image de gauche sert de référence.
L'image au milieu, prise le 20 juin montre la présence d'une masse sombre (encore!) qui occupe le versant ouest sud-ouest du massif volcanique. Elle est allongée, relativement rectiligne et large, ce qui correspond à priori à la morphologie d'une coulée de lave visqueuse.
Toutefois là encore je ne suis absolument sûr de rien: les détails essentiels (structure de surface, présence de levées etc) manquent et il pourrait tout aussi bien s'agir de dépôts d'écoulements pyroclastiques accumulés sur ce versant. Il semble (mais ce n'est pas très net) que la végétation le long de cette masse sombre soit détruite (léger liseré marron).

Le pic de signal thermique pourrait être compatible avec la formation d'une coulée mais, en même temps, la lave émise généralement par le Bagana est plutôt visqueuse. Or dans ces cas-là, les coulées progressent lentement et l'image a été prise à peut près au moment où le pic débute. De facto si ce que l'on voit est une coulée, sa mise en place a été assez rapide, d'où le (gros) doute quand à la nature de cette masse sombre.
Quelle que soit sa nature il y a fort à parier qu'elle soit en lien avec le pic d'activité de juin-juillet et seules des images à haute résolution permettraient d'y voir plus clair.

Mais ce n'est pas tout, moins de 20 jours plus tard, le 06 juillet, une nouvelle image est faite (à droite de la comparaison). On y voit deux choses essentielles:
- un signal thermique fort et allongé dans la pente, toujours sur le versant ouest.
- un dépôt d'écoulement pyroclastique, multilobé, dont le front le plus éloigné se trouve à environ 5 km du sommet et qui n'existait pas fin juin: il est donc tout frais au moment de la prise de vue.

Ce dépôt est bien visible sur certaines images très haute résolution (10m/pixel) prisent par les satellites du réseau SENTINEL.

Dépôt multilobé d'écoulement pyroclastique. Image: SENTINEL 2: Copernicus

Concernant le dépôt d'écoulement pyroclastique, j'ai débords cru, très fort, à une coulée de lave. La morphologie est tout à fait semblable à d'autres coulées visqueuses plus anciennes: lobes larges et arrondis. Toutefois c'est une équipe de chercheurs des Universités de Cambridge et Reading, sur place en septembre, qui m'a remis sur la bonne explication. Ils ont échantillonné le dépôt d'écoulement pyroclastique en question visible sur cette image prise depuis le versant sud-ouest.

Tout à fait à gauche, le dépôt d'écoulement pyroclastique mis en place en juillet 2016. Image: Brendan Mac Cormick

Il y a toutefois une erreur dans les annotations: les coulées attribuées 2014 ("2014 lavas") étaient déjà présentes avant, bien visibles sur les images satellites (ASTER, LANDSAT etc). Pour autant que je puisse en juger avec ces images, elles se sont misent en place entre 2008 et 2010. L'écoulement (ou série d'écoulements) pyroclastique de 2016 en a recouvert la partie nord.


Les autres pics d'activité thermique (août et octobre) n'ont, pour le moment, pas trouvé d'explication convenable mais en tout cas l'édifice est toujours en éruption actuellement.

Sources: MIROVA; LANDSAT 8 -NASA/USGS; SENTINEL 2-ESA/COPERNICUS; Brendan Mac Cormick-Université de Cambridge

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Dur dur d'apprécier l'activité quand elle est si éloignée...
    Qu'en est-il de l'activité explosive ? Car les rapports d'activité du Smithsonian indiquent fréquemment des panaches de cendres depuis cet édifice. En sais-tu plus sur le sujet ?

    Merci pour l'analyse, et bonne journée,

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    Réponses
    1. Bonjour Ludovic.
      En effet pas facile d'avoir des détails très précise sur l'activité mais sans les images satellites je n'aurais jamais imaginé qu'il y ait eu des écoulements pyroclastiques importants cette année.
      Quand à l'activité explosive, absolument rien ne permet de l'apprécier. La présence de très faibles quantités de cendres, régulièrement décrites à partir de l'analyse de données satellites (jamais ou extrêmement rarement des observations directes) peut s'expliquer par des effondrements d'une extrusion sommitale et/ou de petites explosions. Un peu à la manière du Sinabung actuellement par exemple.
      Mais très concrètement, à part aller sur place, rester un mois (pour avoir une petite chance de voir l'édifice sans les nuages) et regarder ce qu'il se passe....

      Bonne journée :)
      CV

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