7 novembre 2016

L'activité éruptive du volcan Bagana entre 2014 et 2016- 1ere partie

Savoir ce qu'il se passe sur ce volcan non surveillé, plutôt isolé et pas facile d'accès relève de la gageure. Régulièrement des bulletins du VAAC de Darwin font référence à des émissions de cendres, parfois visibles sur les images satellites, et des pics d'émissions de SO2 sont de temps à autres relevés. Mais que s'y déroule-t-il concrètement? Difficile de répondre avec force détails et certitudes, mais rien n'empêche de tenter de creuser un peu.
Dans ce genre de situation il faut prendre son mal en patience et laisser les informations s'accumuler progressivement, jusqu'à ce que des détails supplémentaires deviennent  détectables. La difficulté étant alors de pouvoir interpréter les détails en question.

Je n'ai malheureusement pas pu trouver autant de détails que je l'aurais souhaité, mais assez pour me faire une idée un peu plus concrète sur ce qu'il s'était passée en 2014en 2015 et, bien sûr, au cours de ces derniers mois.

Dans cette première partie, nous allons donc regarder les modifications apportées au cours de l'année 2014.

Tout d'abords, se remettre dans le contexte.

Le Bagana est le volcan le plus actif de Papouasie Nouvelle-Guinée puisqu'il est considéré comme étant en éruption permanente depuis 2000 (c'est le seul dans ce cas dans tout le pays). La lave qui s'en échappe est plutôt visqueuse, de composition andésitique.
Cette activité est donc, pour ce que l'on en sait (donc pas grand chose à dire vrai), extrusive avec probablement des explosions sommitales. L'idée que, personnellement, je m'en fait ressemble un peu à ce que l'on observe généralement au Colima ou au Santiaguito, c'est à dire des phases plutôt dominées par des explosions, faibles à modérées, et des phases plus intenses avec des extrusions qui peuvent donner naissance à des dômes, dômes-coulées ou coulées visqueuses.
Lors de ces phases la mise en place d'écoulements pyroclastiques ne serait pas étonnante vue la forte pente de l'édifice.

Le contexte posé, je reviens d'abord à 2014. En août de cette année-là le Bagana connait une phase d'activité intense, qui génère pas mal de cendres et oblige le VAAC de Darwin à élever l'alerte aviation au rouge, ce qui n'arrive pas très fréquemment pour ce volcan. Cette crise semble toutefois ne pas durer très longtemps et assez rapidement le Bagana retombe  dans l'indifférence, malgré les quelques bulletins du VAAC de Darwin qui, parfois, indiquent qu'un peu de cendres et du gaz s'en échappent, signe que le calme n'est pas totalement revenu. Les rapports du Rabaul Volcano Observatory, en charge du suivi de l'activité de tous les volcans Papous, indiquent par ailleurs à cette époque que des bruits de chutes de blocs sont entendus par les observateurs sur place, sans détails de ce qui se passe.

Étape1: entre janvier 2014 et novembre 2014

C'est au cours de cette période, le 12 août, que se déroule la crise dont j'ai parlé plus haut. Les images LANDSAT 8 prisent en janvier et décembre de cette année-là montrent une zone très vaste du versant nord-ouest qui porte les stigmates d'une activité importante. On note en effet sur l'image ci-dessous à droite, deux sites:
- l'un s'étale largement au nord du sommet ("lobe nord")
- l'autre s'étire au contraire vers l'ouest ("lobe ouest"), en suivant la direction d'une rivière qui descend sur ce versant, peut-être la partie amont de la Torokina, qui descend vers la Mer des Salomon.

A gauche, le Bagana en janvier 2014, à droite, en décembre 2014: on distingue bien deux zones impactées sur les versants nord et ouest. Images: LANDSAT8-NASA/USGS

Si l'on s’intéresse un peu au "lobe ouest" de cette zone où la végétation est détruite, on peut constater que sa forme est plutôt allongée et légèrement sinueuse: elle suit le tracé de la rivière mais est beaucoup plus large qu'elle. On en déduit que ce qui a impacté cette zone végétalisée n'a donc pas été canalisé de manière efficace par cette dernière.

C'est la raison pour laquelle je pense que c'est un écoulement pyroclastique qui est à l'origine de ce "lobe ouest" et ce d'autant plus qu'en regardant plus spécifiquement le lit de la rivière en question, une modification, qui pourrait être (à confirmer) attribuée à la présence d'un dépôt, est visible lorsqu'on compare des images prisent en janvier 2014 et octobre 2015 (il y a quelques images intermédiaires où on l'aperçoit, mais leur lecture est compromise du fait de nuages...).

Des dépôts sont visibles sur l'image prise en octobre 2015, qui n'existaient pas en janvier 2014. L'un pourrait être du à un écoulement pyroclastique, l'autre semble plutôt être un dépôt de lahar. Images : LANDSAT 8- NASA/USGS

Pourquoi la zone détruite est plus large que le lit de la rivière? Car un écoulement pyroclastique, surtout lorsqu'il est très dynamique (rapide, mobile, turbulent), se compose de deux parties:

- la semelle, dense, s'écoule en suivant plutôt bien la topographie la topographie, en particulier lorsqu'elle est très marquée, ce qui est souvent le cas dans les pays équatoriaux/tropicaux humides où les pluies fréquentes peuvent creuser des ravines profondes sur les flancs et à la base des édifices volcaniques. C'est cette semelle qui contient la majeure partie des cendres et blocs de l'écoulement pyroclastique.

- le panache copyroclastique, quand à lui, est plus dilué. Moins dense il est du coup plus mobile et donc moins canalisé que la semelle, et peut de fait déborder largement en dehors des ravines, brûlant alors la végétation qui la borde.

La différence de morphologie entre la trace brûlée et le dépôt semble donc argumenter un peu plus en faveur du fait que c'est un écoulement pyroclastique qui est responsable de cet impact sur la végétation du versant ouest.

Sur cette comparaison d'images on peut aussi noter ce qui ressemble à la mise en place d'un dépôt de lahars au pied du versant sud-ouest du Bagana. Il était visible sur les images dès novembre 2014 et sur celles qui ont été faites ensuite, sa morphologie ne varie pour ainsi dire pas (une petite partie semble être recolonisée par la végétation en 2016) ce qui permet de poser l'hypothèse que sa présence pourrait être en lien direct avec l'événement du 12 août.
Ce qui me fait penser qu'il s'agit d'un dépôt de lahar? La morphologie en éventail, essentiellement, et le fait que le front n'est pas nettement délimité (très digité), comme c'est le cas pour les écoulements pyroclastiques.

Bilan: au cours de l'année 2014 un pic dans l'activité du Bagana, marqué par des émissions de cendres plus importantes, avait provoqué le passage du niveau d'alerte aviation au rouge. Mais aucun détails concernant cette activité n'avait alors été transmis et pour ma par j'étais resté sur l'idée qu'une activité explosive un plus importante avait eu lieu.
Toutefois les images satellites prisent par LANDSAT 8 au cours de l'année 2014 permettent de voir les modifications qui, à priori, sont le résultat de cette crise. Et si le manque de détails ne permet pas d'acquérir de certitudes, il semble qu'elle ait laissé un dépôt d'écoulement pyroclastique sur le versant ouest, et augmenté de manière très conséquente un dépôt de lahar à la base du versant sud-ouest. Elle n'était donc pas vraiment mineure et la question qui reste en suspend est la suivante: si le dépôt du versant ouest est bien celui d'un écoulement pyroclastique, par quoi a-t-il été produit? Historiquement l'activité sur ce volcan est dominée par des phase d’extrusion importante, formant dômes et coulées visqueuses.
Serait-ce une phase d'extrusion importante qui aurait produit cet écoulement?

Les images ne montrent malheureusement pas ce qu'il s'est passé après cette crise d'août 2014, pendant laquelle, par ailleurs, des panaches de cendres relativement importants ont été produits, suivis de chute de cendres sur les villages alentours, ayant conduits à une évacuation du village de Gotana (à environ 9 km du sommet, au sud-ouest).

Voilà ce qu l'on peut dire concernant l'année 2014. La suite de cette "quête des détails" sera développée dans une seconde partie: nous irons alors voir ce qu'il semble s'être passé en 2015 et 2016.

Sources: LANDSAT 8 - NASA/USGS; Global Volcanism Program

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