L'éruption qui a eu lieu cette année entre avril et fin juillet na pu être suivie que depuis l'espace, au travers des signaux thermiques, intenses, envoyés par l'activité et grâce aux images fournies par divers satellites. Toutefois les satellites produisant les images les plus précisent, et dont les données sont facilement accessibles, n'ont pu fournir que des images faites par temps nuageux, masquant les détails et étapes de l'éruption. Toutefois, les images prises après sa fin donnent quelques détails importants.
Et pour y accéder il faut comparer la situation actuelle du volcan avec ce qu'elle était avant l'éruption. Pour cela je suis allé chercher une image LANDSAT 8 dégagée de tous nuages, afin que l'on puisse voir les détails de l'île-volcan, avec en particulier le cône actif, appelé Mont Sourabaya, et la couverture permanente de glace qui la couvre.
Bristol Island et le Mont Sourabaya avant l'éruption d'avril-juillet 2016. Image: LANDSAT 8-NASA/USGS |
Dès le départ le site de l’éruption a été localisé au niveau du mont Sourabaya, cône historiquement actif de l'île. Mais c'est ce qui s'y déroulait qui n'était pas clair, fautes d'images détaillées et avec une fréquence suffisante. Une autre image prise en septembre 2016, plus d'un mois après la fin de l'éruption, indique (confirme même puisqu'il s'agissait d'un soupçon) en premier lieu que l'éruption a été à minima effusive puisque l'on peut observer la présence de coulées de lave. Celles-ci se sont misent en place à l'ouest du mont Sourabaya, qui en est la source et une image prise pendant l'éruption, le 01 mai, permet même de situer à peu près le départ de cette effusion: toute fin avril, donc dès les premiers jours. Il n'est pas étonnant qu'elles soient parties vers l'ouest: il semble que le cône Sourabaya soit égueulé de ce côté-là.
La coulée de lave qui part du mont Sourabaya est visible mais diffuse sous la couche de nuages. Image: LANDSAT 8 - NASA/USGS |
L'image prise par LANDSAT 8 le 22 septembre 2016 permet de voir le champ de coulées mis en place pendant l'éruption. La surface occupée peut être estimée à environ 1.7 millions de m² , mais sans l'épaisseur moyenne du champ de lave, il n'est pas possible d'estimer le volume de cette effusion. Sur l'image, le bord du champ de lave reste le siège de petites fumerolles, très probablement de la vapeur d'eau produite au contact entre la masse de lave encore chaude et la glace.
On peut noter aussi plusieurs cavités allongées, entre le champ de lave et la côte ouest de l'île. Il s'agit de zones effondrées du glacier, produites par la mise en place du drainage des eaux de fonte, chaudes. Elle ont créé progressivement au cours de l'éruption, et après sa fin, un réseau de cavités dont certaines parties se sont effondrées en surface. Le tracé des cavités allongées (que j'ai appelée "dolines" de glace sur l'image) pourrait indiquer la localisation et le tracé de petits vallons sous glaciaires.
Le champ de lave et le réseau de drainage des eaux de fonte du glacier, bien visible sur cette image du 22 septembre 2016. Image: LANDSAT 8- NASA/USGS |
On peut constater que le champ de lave est enfoncé dans la glace, de quelques mètres au moins, mais attention à l'interprétation de ce point.
Les observations récentes réalisées lors de la phase 1 de l'éruption d'Eyjafyöl en 2010, sur le site de Fimmvorduhals, et au Tolbachik en 2013, indiquent que la lave peut progresser de différentes façons en présence d'une couverture de glace épaisse.
La progression des coulées n'est pas facile dans ce contexte car leurs interactions avec la glace sont complexes. Elle dépend de plusieurs
paramètres, dont:
- l'épaisseur de la couche de glace,
- sa compaction,
- la présence ou non de couches de cendres plus anciennes et isolantes,
- le type de coulées (aa, pahoehoe, à blocs) et...
-... la vitesse à laquelle elles progressent
En gros:
- si la couche de glace est supérieure à 50 cm, les coulées de lave a'a peuvent progresser à sa surface, sans contact avec le substrat rocheux. Plus l'épaisseur de glace est importante et plus elle est compact, plus les coulées qui progressent à sa surface peuvent être épaisses également (la glace supporte mieux la masse de la coulée).
- les coulées de lave pahoehoe, dont la vitesse de progression est très faible, ont plutôt tendance à se mettre en place au sein même de la couche de glace car elles ont le temps de la faire fondre
- la vitesse de progression de la coulée de lave joue un rôle aussi: si elle est élevée la coulée progresse à la surface, sans s'enfoncer dans la glace.
Difficile à priori donc de savoir si, sur l'image, le champ de lave s'est mis en place dans la masse de glace directement, ou si il s'est mis en place dessus puis 'est enfoncé à l'intérieur.
Sur l'image du 22 septembre, on voit bien des fractures, sur la frange nord du lobe nord. Or ce type de fracture semble se former lorsqu'une coulée se met en place sur la glace puis s'enfonce à l'intérieur.
Car c'est surtout le front des
coulées qui progresse sur la glace. A l'arrière, la chaleur
qui irradie de la coulée finit par la faire fondre, et l'eau ainsi produite s'évacue petit à petit, raison pour laquelle la lave
s'enfonce. Tout autour de la coulée la base du glacier peut aussi se trouvée partiellement fondu par l'évacuation des eaux chaudes: la couverture de glace est fragilisée et s'affaisse progressivement, ce qui ouvre des fractures en surface.
Sur la base de la présence de ces fractures je suis donc plutôt tenté de penser qu'il s'agit plutôt d'un champ de lave a'a, même si généralement on peut toujours trouver un peu de pahoehoe avec. Cela reste toutefois une hypothèse, que seules des observations directes, ou via des images satellites à très très haute résolution, permettrait de trancher.
Pour finir, la situation telle qu'on peut la voir par satellite sur l'image du 22 septembre ressemble beaucoup à celle qui avait été observée, et photographiée, lors de l'éruption de 1983 au Veniaminof, en Alaska.
Le cône actif du Veniaminof et son champ de lave enfoncé dans la glace. Noter les fractures qui entourent le champ de lave. Image: AVO/USGS, prise en 1984 |
Sources: LANDSAT 8 - NASA/USGS; AVO/USGS
Très intéressants ces tunnels de lave. Dans le cas de l'éruption de l' Eyjafjallajökull,lors de la phase 2, sommitale, avec interaction avec de vrai glaciers, le champ de lave s'est avancé pour l'essentiel dans ces tunnels de fonte . Peut être que dans le cas présent les coulées ont pu les emprunter.
RépondreSupprimerCf Oddson et al., 2016, bulletin of volcanology: "subglacial lava flow was emplaced along meltwater tunnels under ice for the entire 3.2 km of the flow field length and constitutes 90 % of the total lava volume".
Bonjour Myristica. Je viens de lire le résumé: l'article semble très intéressant, et je ne suis pas tombé dessus pendant mes recherches bibliographiques malheureusement. Donc merci de le pointer :).
SupprimerConcernant les coulées misent en place sous les tunnels, je pense que ce n'est pas le cas sur Bristol Island. En effet, dans les quelques articles que j'ai pu lire (récents puisque basés sur l'étude des éruptions d'Eyjafjöll et Tolbachikp) cette progression dans les tunnels de fonte semble se faire lorsque la pente est forte, et le cas de figure a été observé et étudié aussi lors de la première phase, à Fimmvorduhals. Or la pente sur Bristol Island semble plutôt faible et donc peu propice à ce cas particulier du contact coulée-glace.
Mais cela reste à confirmer :)
CV
Bonjour ,
SupprimerJe peux vous envoyer le papier si l'accès est bloqué. J'avais observé ces coulées(d'un peu loin), lors d'un survey du changement de la morphologie des cours de rivières à la base du flanc nord, 6 mois après la fin de l'éruption. Et j'étais entré dans la partie aval et à moitié inondée de l'un de ces énormes tunnels. Fabuleuse expérience! Mais je ne suis pas sûr de comprendre votre analogie avec la phase 1 de'Eyjafjöll, ou le Tolbachik, puisqu'il me semble que les coulées s'y soient avancées sur des champs de névés et de neige, plutôt que sur d'épais glaciers. Il semble que sur Bristol, au moins dans la partie basse, les glaciers soit assez conséquents...
Toujours un plaisir de lire vos post, au fait :)
Bonjour, et merci pour le compliment :)
SupprimerLors de la phase Fimmvorduhals de l'éruptin d'Eyjafjöll, une partie des coulées s'est engagée dans des ravines, sur de fortes pentes, et une partie sur des névés à faible pente, ce qui a permis de constater des différences de progression.
Quand au Tolbachik vous avez raison: ce sont des névés qui ont supporté la progression des coulées (c'est là bas notamment que la progression différentes des Pahoehoe et a'a ont été observées et étudiées). Ma remarque entre parenthèses visait juste à signifier que j'avais consulté des articles récents sur ces deux spots-là en particulier, sans plus :).
CV
Bonjour,
RépondreSupprimerEn tout cas, un bel exemple de l'interaction lave/glace. Le spectacle devrait être vraiment pas mal là bas, malgré le froid !
Des cendres ont-elles été remarquées pendant l'éruption ?
Merci et bonne journée,
Ludovic
Bonjour Ludovic! Il y a eu quelques émissions de cendres de temps à autres en effet (fin mai par exemple: https://laculturevolcan.blogspot.fr/2016/05/breves-de-volcans-sangay-klyuchevskoy.html)
SupprimerCV
Ok, merci ! Probablement du strombolien variable donc...
SupprimerEspérons une image HD pour remarquer si un édifice pyroclastique s'est construit.
Bonne journée,