Et à la vue des images et des quelques données récoltées et/ou déduites, "changements considérables" pourrait tout aussi bien décrire la situation, mais commençons par le commencement, avec une première question:
Quand?
Ces derniers jours le VAAC de Tokyo a émis une série de bulletins concernant des émissions de cendres sur le volcan Sheveluch. Ces derniers ont été particulièrement rapprochés le 18 septembre (TU), avec pas moins de 6 bulletins publiés entre 20h54 TU le 18 septembre et 06h TU le 19 septembre: en prenant compte le décalage horaire, l'événement s'est donc déroulé le 19 septembre, heure du Kamchatka. Une telle fréquence d'émissions de bulletins laissait supposer qu'un événement plus important qu'à l'accoutumée avait alors eu lieu.
Le problème, c'est qu'à ce moment-là, le volcan est totalement dans les nuages...donc pas d'images de ce qui s'est produit, mais seulement le moment où cela s'est produit. Viens alors la seconde question:
C'est quoi "cela"?
Étant donné qu'en raison de la météo; il n'y a aucune image de l'événement qui semble s'être déroulé les 19 septembre (heure locale), il ne reste qu'à étudier ses conséquences pour tenter d'en déduire des informations le concernant. Et c'est la raison pour laquelle je ne publie ce post que maintenant: il a fallu que la météo se dégage correctement* pour pouvoir tenter de déceler des indices, des changements.
Et j'avoue que je n'ai pas été déçu.
Tout d'abord regardons depuis l’espace ce qui a changé sur le volcan, histoire d'avoir une vue globale. Lorsqu'on compare des images prises par les MODIS les 10 et 23 septembre , les deux seules images récentes totalement exemptes de nuages, on ne voit à priori rien au premier abords si ce n'est qu'entre les deux dates, les 13 jours de mauvais temps ont laissé une couverture neigeuse étendue sur le massif. Cependant en regardant de plus près le versant sud, on note un changement: un dépôt de cendres s'est rajouté à ceux existants. Malheureusement la résolution des images ne permet pas d'en tracer des contours suffisamment nets pour, entre autre, en estimer la surface.
Le nouveau dépôt de cendres, repéré sur les images prisent le 23 septembre par les MODIS. Images: MODIS/NASA |
Toutefois cette image, malgré le faible niveau de détails, donne une information plutôt importante: ce dépôt ne peut pas être le résultat de chutes de cendres depuis un panache vertical. En effet le contour du dépôt semble net et précis ce qui est caractéristique d'un ou plusieurs écoulements pyroclastiques, à contrario des dépôts de chutes de cendres, dont les contours sont flous, car ils s'amenuisent progressivement avec la distance.
Et la présence d'écoulements pyroclastiques visiblement importants alors qu'il ne s'en est produit que très rarement depuis début 2015, appelle une nouvelle question....
Pourquoi?
En remontant le fil du temps, et en allant voir quelques mois en arrière, on peut voir que depuis juin-juillet 2015, un nouveau dôme de lave est en croissance lente sur le Sheveluch. J'en ai rapporté, ou au moins tenté de le faire, les étapes de sa construction sur ce blog depuis lors, ce qui a permis de constater les progressifs changement de taille et de forme de ce dôme. Récemment en particulier, il a pu être constaté que le versant sud-ouest avait commencé à s'allonger dans la très forte pente, formant un lobe. Or une telle situation est forcément synonyme d'instabilité chronique. Et on peut le constater très facilement en regardant la morphologie du dôme sur les images récentes. Je me suis amusé à comparer une photo prise le 23 avec une autre, prise le 10 septembre, afin d'évaluer les changements subit par le dôme: j'avoue avoir été impressionné! Car il manque, rien de moins, que tout le versant sud-ouest là où je m'attendais à ce qu'une partie du lobe seulement se soit décroché... De quoi expliquer la multitude de bulletins du VAAC de Tokyo. Voilà le résultat de cette comparaison.
Le nouveau dôme de lave amputé de tout son versant sud-ouest. Une très importante paroi verticale (cicatrice d'effondrement) est bien visible maintenant. Images: IVS-FEB-RAS |
Mais ces images montrent autre chose, d'assez spectaculaire je dois dire. Il faut regarder attentivement la vallée (Baynardoy) située à la base du versant sud du dôme actif pour se rendre compte que sa morphologie a fortement évolué en l'espace de 15 jours. Cette zone recueille en effet depuis très longtemps les dépôts divers produits par le dôme: petits écoulements pyroclastiques, avalanches de blocs etc. Elle se présentait le 10 septembre comme une zone aplanie par l'accumulation progressive de ces dépôts. Or, en comparant avec l'image prise le 23 septembre, on se rend compte qu'à peine 13 jours plus tard, cette zone est fortement creusée et qu'une ravine importante s'est formée.
Evolution de la morphologie du dépôt au pied du flanc sud du dôme actif entre les 10 et 23 septembre. Images: IVS-FEB-RAS |
Il pleut fréquemment, et en
abondance, sur le massif mais après avoir cherché dans mes archives des
périodes de mauvais temps similaires en durée à celle qui sépare les
deux images ci-dessous, je n'ai jamais trouvé de modifications de cet
ordre qui pourraient s'expliquer par l'érosion due au seul écoulement d'eau
de pluie sur le dépôt.
Elle pourrait donc résulter de l'érosion intense due à la mise en
place d'un écoulement pyroclastique important. Car il a été démontré
qu'en fonction des caractéristiques d'un écoulement pyroclastique et du
substrat sur le quel il s'écoule, l'écoulement peut avoir une action
érosive importante.
Pour cela, la
vitesse de l'écoulement doit être plutôt élevée, sa charge en cendres
et blocs aussi. Et le substrat s'érode d'autant plus facilement que sa
surface est rugueuse et sa cohésion interne faible.
Or que se passerait-il si un énorme morceau du dôme actif se détachait:
- l'écoulement créé serait très chargé en cendres et en blocs
-
vue la hauteur de chute de cette masse de lave, l'accélération et la
vitesse de pointe de l'écoulement créé pourraient être élevées.
Concernant
le substrat, quoi de plus rugueux qu'un dépôt de cendres et blocs de
toutes tailles laissé par de multiples avalanches de blocs? Et la
cohésion d'un tel dépôt, récent en l'occurence, est forcément plutôt
réduite.
Concrètement je ne sais pas si la formation de cette ravine est vraiment le résultat de la mise en place de l'écoulement pyroclastique du 19 septembre: l'idéal aurait été qu'il se produise de jour et qu'on puisse regarder l'état du dépôt juste avant et juste après. Mais la possibilité existe, et si cela était confirmé par des analyses des dépôts, cela démontrerait l'impact incroyable qu'un écoulement pyroclastique peut avoir sur le substrat sur lequel il s'écoule.
Autre chose
L'activité sur le dôme actif s'est modifiée, et j'avoue ne pas être sûr du lien qui existe entre l'événement, ou la série d'événements, du 19 septembre et ce changement: on retrouve depuis quelques jours une activité explosive au-sommet du dôme actif. Il ne s'agit pas d'explosions brusques et violentes (vulcaniennes) comme sur le Caliente au Santiaguito par exemple, mais plutôt d'émissions de cendres soutenues, une activité dite de "ash venting" par les volcanologues. Les épisodes de ce type sont plutôt fréquents actuellement, et forment des panaches de plusieurs centaines de mètres de hauteur: il ne s'agit donc pas d'une activité anodine ou secondaire, mais de quelque chose de plutôt important. Cela ne se produisait pas début septembre.
Épisodes de Ash Venting sur le dôme actif du Sheveluch, le 23 septembre. Images: IVS-FEB-RAS |
Il n'est pas inenvisageable qu'un lien existe entre la perte de tout le versant sud-ouest du dôme actif et cette activité d'Ash Venting, mais je n'ai pas d'explications claire à disposition. Notamment je ne saurais dire si l'effondrement du dôme est la cause ou la conséquence du Ash Venting par exemple.
Dans le second cas l'Ash Venting pourrait être du à l'arrivée de magma plus riche en gaz, ce qui aurait pu déformer le dôme actif et provoquer son effondrement. Dans le premier cas par contre, suite à l'effondrement, les contraintes mécaniques internes au dôme permettent la mise en place d'un phénomène de Ash Venting et favorisant la circulation des fluides sous pression par exemple, donc leur échappement.
Il faut noter aussi, car c'est important pour le futur court et moyen terme, que des écoulements pyroclastiques se mettent en place parfois plein sud. Ils ne sont pas fréquents mais leur présence pourrait indiquer que la masse du dôme commence à déborder de ce côté. Si c'est le cas, de futurs effondrements observés à la webcam, située pile dans l'axe, pourrait être tout à fait spectaculaires.
Un petit écoulement pyroclastique se déplace en direction du sud, face à la webcam. Image: IVS-FEB-RAS |
Et pour finir
Des images du dépôt de l'événement (ou série d'événements) du 19 septembre ont été faites par les volcanologues Russes, qui les ont postées. L’extrémité du dépôt se trouve à environ 10 km du dôme (photo ci-dessous, prise le 20 septembre), ce qui atteste de son importance, en terme de volume et de mobilité, et confirme que l'événement du 19 septembre fut de grande ampleur.
L'extrêmité du dépôt d'écoulement pyroclastique, à une dizaine de kilomètres du dôme actif. Image: Volkstat.ru |
Au moment des prises de vue, la température sur le dépôt était d'une trentaine de degrés, et atteignait encore une centaine de degré à 15 cm de profondeur. Vous trouverez d'autres images du dépôt sur le lien de Volkstat.
Sources: VAAC de Taokyo; MODIS/NASA; IVS-FEB-RAS; Volkstat.ru
*et il m'a fallu du temps libre, aussi
milles mercis pour cet article. Toujours aussi passionnant
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