9 janvier 2016

La plus vieille représentation d'une éruption se trouverait-elle en France?

Oh...ça serait un vieux rêve qui se réaliserait si cette hypothèse devait se révéler juste. Mais avant de développer tout ça, il faut absolument garder à l'esprit que l'article paru hier dans la revue Plos One est une hypothèse de travail que les chercheurs vont étayer à l'avenir, et que, pour l'heure, rien n'est encore formellement et indubitablement prouvé.
Mais rien que l'idée que c'est possible me fait frémir tant j'ai rêvé d'une telle découverte.

Allons voir ce que raconte cet article.



Le contexte

C'est, raconte un article du journal Le Monde paru hier, visiblement par hasard que l'idée d'une possible représentation pariétale d'une éruption dans la Grotte Chauvet a jaillit dans l'esprit des scientifiques du LSCE (Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement) de Gif-sur-Yvette. Dominique Genty revient de la célèbre cavité, près de Vallon Pont d'Arc, où il a récolté des données sur le paléoclimat. Il discute avec son collègue Sébastien Nomade qui, de son côté, vient de terminer une série de datations sur le volcanisme du Bas Vivarais, situé à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de l'immémorial antre.
Or Dominique Genty a pu observer dans la grotte des représentations d'art pariétal qui lui font penser à des représentations d'éruptions: ils émettent, en toute logique, l'hypothèse qu'elles représentent celles du Bas-Vivarais.

Ca n'est pas une hypothèse lancée comme ça: il est avéré que des humains ont observé des éruptions dans le Massif Central. Et les ont même subit, depuis que fut découvert, au milieu des années 90, un campement de chasseurs-cueilleurs impacté par une éruption dans la Chaîne des Puys. Il n'est donc pas impossible que dans une zone où il y a des "grottes ornables" (souvent calcaires, ce qui favorise la formation de réseaux de galerie via l'érosion-dissolution, et fournit des parois lisses*), des représentations de certaines éruptions aient été réalisées.


Cette situation peut être envisagée dans le Bas-Vivarais, zone d'une très grande géodiversité, reconnue par la mise en place d'un statut de Géoparc, où se côtoient aussi bien des formations volcaniques relativement récentes que des massifs calcaires, creusés de grottes, dont celle de Chauvet bien sûr.

Le volcanisme de cette Haute-Ardèche remonte, pour les plus anciennes manifestations datées, à environ 120000 ans.  La zone volcanique** s'étend sur environ 500 km² et sa nature a été identifiée dès la fin du 18ème siècle par Faujas de Saint Fond et l'Abbé Giraud Soulavie notamment. Elle compte au moins 17 centres éruptifs qui se sont mis en place en trois phases distinctes, séparées par de longues périodes de repos.
Pour l'heure la plus ancienne date officielle retenue pour l'activité tournait autour de 40 000 ans BP.
Les signes d'un volcanisme récent sont là, en particulier dans le paysage même: la morphologie de certains édifices est encore très fraiche. Cependant, pour appuyer au mieux l'hypothèse d'un lien entre certains dessins de la grotte Chauvet et le volcanisme du Bas Vivarais, il faut évacuer le maximum d'incertitudes, donc compiler des données.

Les données

La première des choses fut donc, en toute logique, d'avoir des dates à comparer pour voir s'il y a concordance entre les deux sites. Des échantillons de trois sites volcaniques ont été récoltés pour datation: ceux du Suc de Bauzon, superbe cône égueulé, ceux de la coupe d'Aizac, tout aussi superbe, et le Maar du Ray Pic, d'où s'échappe le ruisseau qui, non loin, donne l'emblèmatique cascade du Ray Pic, qui chute d'une paroi prismée...splendide***.  Les trois âges déterminés (par méthode Argon/Argon) sont, respectivement, de 34+- 8000 ans,  29 +- 10000 ans et 35 +-8000 ans. L'âge inférieur à 30 000 ans, pour la coupe d'Aizac, est, me semble-t-il, le plus jeune déterminé avec certitude jusqu'à présent, en dehors des soupçons de la coulée de Soulhiol.

Ces âges correspondent avec les deux principales périodes d'occupation de la grotte Chauvet, la plus ancienne datée entre 34 et 37 000 ans BP, la seconde entre 31 et 29000 ans BP. Parmi les représentations laissées lors de ces occupations se trouvent celles dite "du Mégacéros de l'Entrée", car il se trouve au fond de la salle Hillaire, à l'entrée de la galerie des Megacéros, au fond de la grotte. Cette représentation se caractérise par la superposition de plusieurs desseins, certains partiellement effacés, dont le plus récent, tracé au charbon de bois, représente un mégacéros accompagné d'un rhinocéros incomplet (on reconnait bien la corne nasale). Au-dessus des nasaux du Mégacéros s'élèvent des motifs en gerbes, plus anciens, et sur lesquels ont été trouvés des traces de pigments rouge. Ces motifs sont réalisés par technique du tracé digital (avec le doigt).



Donc première chose: oui, il est envisageable de penser que les humains qui ont orné la grotte ont pu voir des éruptions. Et ce d'autant plus que les chercheurs précisent que, depuis un site proche de la grotte, on peut voir la zone volcanique. De là à imaginer que des humains (Sapiens) occupant la zone assistent à une éruption, montent sur un belvédère, observent le phénomène, et décident d'aller le représenter dans la grotte proche, il n'y a qu'un pas.

Les doutes 

Il faut tout de même rester prudent, et à la lecture de leur article, on voit que les chercheurs eux-même le sont. Car une concordance de dates n'a pas la force d'une preuve formelle, qui n'arrivera peut-être d'ailleurs jamais, mais qu'il ne faut pas s'empêcher de chercher pour autant.

Première difficulté: le temps de la mémoire collective humaine est très inférieur à la marge d'erreur des datations sur roches volcaniques. Je m'explique: combien de chances y a-t-il qu'une représentation d'éruption ait été faite longtemps après cette dernière (plusieurs centaines, quelques milliers d'années)? L'écriture n’existant pas à l'époque, les événements pouvaient être transmis oralement, mais plus le temps passe plus la mémoire se perd. L'information se dilue d'une certaine manière.
Peut-on imaginer que le dessinateur des éruptions n'ait fait que s’inspirer d'un récit ancien, relaté de génération en génération au coin du feu, vécu par les ancêtres des ancêtre de ces ancêtres, sans qu'il n'y ait une altération de ce récit, et donc de sa représentation? Car celle-ci, pour le coup, est plutôt fidèle aux belles gerbes stromboliennes que l'on connait nous. Cela ressemble d'ailleurs un peu trop à la manière dont nous, humain modernes, représentons ces éruptions.

Donc si les représentations montrent bien des éruptions, il est plus vraisemblable qu'elles sont contemporaines. Il est plus vraisemblable d'imaginer que le dessinateur est celui qui a observé, ou qu'il a parlé directement avec ceux qui ont observé le phénomène. Or c'est justement cette contemporanéité de l'activité et de sa représentation, qui va se compter concrètement en jours ou semaines, éventuellement quelques années, qu'il sera difficile de démontrer. Pour ainsi dire impossible à court terme compte tenu des marges d'erreur des méthodes de datation actuelles.
De fait, s'il s'avère qu'il y a un trop grand écart de temps, 1000 ou 2000 ans par exemple, entre les dates des éruptions et celles des représentations, un éventuel lien entre les deux deviendra très facilement contestable. Une hausse de la précision des datations, tant des roches que des dessins, sera donc un élément important pour gonfler ou dégonfler l'hypothèse émise.

Seconde difficulté:

L'interprétation même des représentations. Car si ils évoquent les projections stromboliennes...ils ne font que les évoquer et rien ne dit que leur signification soit celle-ci. On n’interprète les formes qu'en fonction de ce qu'on connait déjà, de choses qui nous sont communes (le principe des formes dans les nuages).
C'est la difficulté du travail sur l'art pariétal pour certains types de représentations: leur interprétation. Car la culture de ceux qui les ont réalisées nous est absolument inconnue. Les humains qui ont dessiné le bestiaire de la grotte Chauvet (et d'autres sites en Europe) ont fait preuve d'une précision anatomique extraordinaire qui permet de n'avoir aucun doute sur les animaux dessinés (et même leur sexe), mais ils ont aussi versé dans la représentation abstraite, dépendante de leur culture propre et de leur vision du monde. Comment dès lors savoir, sans l'ombre d'un doute, si les représentations sont bien des projections stromboliennes, et non une représentation abstraite d'autre chose, de réèl ou d'onirique?
Le cas le plus célèbre de cette difficulté à se détacher de ses propres représentations quand vient le moment d'interpréter une découverte, est la peinture de Catal Höyük en Turquie, censé être la plus ancienne représentation d'une éruption, celle du Hasan Dagi. Ce volcan est situé pourtant à plus de 120 km au nord-est du site néolitique, et est donc invisible depuis le site de Catal Höyük (pour une personne d'1.73m, l'horizon se trouve à 4700m et il faut monter à 1000 m du sol pour avoir une portée qui dépasse 110 km...). Cette hypothèse d'une représentation volcanique du Hasan Dagi a été battue en brèche, bien qu'elle persiste, depuis plusieurs années. Les travaux de l'archéologue Stephanie Meece en particulier ont permis d'étayer très fortement l'hypothèse selon laquelle il s'agirait d'une peau de léopard tendue, motif très fréquent au Néolitique en Anatolie.

L'une des fresques de Catal Hoyuk, interprétée par son découvreur, James Mellaart, comme le plan d'un ville (en bas) et le volcan Hasan Dagi en éruption (en haut), réinterprétée depuis. Image: James Mellaart

Bien contextualiser les représentations de la grotte Chauvet pour progressivement éliminer les contres- arguments à l'"hypothèse volcan" va se révéler une étape importante et les études par les spécialistes de l'art pariétal seront, sur ce point, essentielles. Pour appuyer l'idée de la nature volcanique des représentations étudiées, l'article publié hier met en avant une ressemblance avec une gravure trouvée en Arménie, censée représenter l'éruption du Porak, volcan situé au bord du lac Sevan.
En de fait:
* la conjonction de forme entre les peintures du site Français et les gravures du site Arménien d'une part, et...
*... la présence d'éruptions à proximité, dont les datations sont plutôt concordantes avec celles des représentions d'autre part

est intéressante, même si insuffisante pour servir de preuve.


Les gravures de la zone de Syunik, censées illustrer une éruption u volcan Porak, montrent une concordance de forme dans le motif. Insuffisant pour servir de preuve, mais interessant. Image: S.Nomade et al, 2016, Plos One


Donc, ce qu'il faut retenir de tout ça à mon avis c'est:

- une hypothèse qui mérite d'être creusée. Imaginez un instant que ces représentations de la Grotte Chauvet soient vraiment des illustrations d'éruptions volcaniques proches, sur le territoire Métropolitain! Il s'agirait d'un témoignage extraordinaire, une découverte exceptionnelle, rien de moins que la plus ancienne représentation d'un phénomène géologique au monde et le seul témoignage humain d'une éruption sur la métropole.

- mais il faut, malgré l'envie de s'enflammer, retenir son souffle. Car cette hypothèse est encore très fragile. Les arguments qui l'étayent sont d'abord conjoncturels: concordance de datations, qui rend le lien possible mais ne le prouve pas, et similitude avec d'autres représentations qui ont été associées à une éruption Arménienne (sans que la certitude sur ce point n'ait été acquise non plus).

Les auteurs de l'étude ne s'y trompent d'ailleurs pas et restent humbles. Rien que le titre (aussi bien celui de l'article des chercheurs que celui de ce post d'ailleurs) évoque cette fragilité via la présence d'un point d'interrogation. Et plus directement, ils écrivent dans leur article:"Therefore the hypothesis that this spray shape signs represent volcanic eruptions must be considered probable and warrant further investigations" ("Donc l'hypothèse que ces signes en forme de gerbes représentent des éruptions volcaniques doit être considérée comme possible et mérite de plus amples investigations"), un moyen simple et clair de dire: "trop interessant pour être laissé de côté, on fonce! ".

Alors moi je dis: bon courage aux chercheurs! Et merci de nous faire rêver en ce début d'année.

Sources:
Le Monde,  08 janvier 2016
S.Nomade et al: "A 36,000-Year-Old Volcanic Eruption Depicted in the Chauvet-Pont d’Arc Cave
(Ardèche, France)?
", in Plos One

* il n'y a pas de vastes massifs calcaire à proximité immédiate de la Chaine des Puys. Les seuls grottes dans la Chaîne même sont souvent petites,d'origine volcanique, et leur  parois sont scoriacés, irrégulières: impossible d'y faire un dessin. C'est peut-être la raison pour laquelle aucune des éruptions de la Chaine des Puys, et il y en a eu pas mal depuis l'installation des humains n'a été trouvée représentée dans un grotte du Puy de Dôme...en tout cas pour le moment. Car je rêve, de mon côté, qu'un jour une représentation, dessin, gravure ou autre peu importe, soit découverte... on peut rêver, non?

** magnifique: s'il vous plait, allez vous balader en Haute Ardèche! Quelle ambiance, quels paysages! C'est exceptionnel.

*** je pense que, là, vous aurez compris que c'est une zone qui me plait :-)

2 commentaires:

  1. merci d'avoir aussi bien résumé mon travail et celui des mes collègues. Un bien beau blog sur les volcans. Merci encore.

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  2. Merci :-).
    Et "ouf! aussi. C'est important de savoir qu'un post sur un sujet tel que celui-ci (les implications sont énormes) ne trahit pas la démarche, le questionnement, les doutes aussi, des chercheurs qui sont au charbon.
    D'autant plus que je n'ai, de l'art pariétal, que de très très vagues notions et probablement pas mal d'idées reçues, contrairement au volcanisme.

    Ravi que ça vous ais plu en tout cas.
    CV

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