Le préfet à décidé d'abaisser d'un cran, pour aujourd'hui à partir de 12h00 (heure locale), le niveau d'alerte prévu dans le dispositif ORSEC et le Plan de Secours Spécialisé (PSS): il est donc à nouveau en "Vigilance", malgré le fait que l'Observatoire continue de détecter des signaux sismiques et une déformation associés à la mise en pression de l'édifice.
Il s'agit ici du niveau d'alerte pour lequel l'accès à l'Enclos Fouqué est autorisé mais, en l'occurence, il y a des limitations qui se justifient totalement.
Le communiqué de la Préfecture dit en substance: oui il est possible de descendre dans l'Enclos mais, non il est interdit d'aller au niveau du nouveau champ de lave (en particulier la plate-forme de lave
pahoehoe) ou même de s'approcher de la zone des coulées qui se sont mises en place en juillet. La carte des sentiers autorisés, associée à cette phase de vigilance, est sur ce point très explicite puisque le chemin qui passe au pied du versant ouest du Dolomieu s'arrête au Cratère Caubet.Les accès à l'Enclos autorisés par la Préfecture de la Réunion, depuis le 17 novembre. Image: Préfecture de la Réunion |
Les zones quadrillées de rouge sont considérées comme dangereuses et à raison. Car il est clair que ce n'est pas parce qu'une éruption est terminée que le danger potentiel a disparu. Il existe toute une gamme de situations créant un risque avant, pendant et après une éruption.
Regardons plus spécifiquement pourquoi cette interdiction d'approcher la plate-forme des coulées Pahoehoe est justifiée.
Tout d'abord il faut savoir qu'un champ de lave pahoehoe, lorsqu'il se met en place, est propice à la formation de tunnels de lave. Pour mémoire ces objets géologiques se forment lors des éruptions effusives, c'est-à-dire libérant la lave sous forme de coulées.
Mais il existe plusieurs manières de fabrique ces tunnels. La plus courante se trouve sur les coulées de lave dites "A'a" c'est-à-dire dont la surface est extrêmement chaotique, brêchifiée, fragmentée. Ce type de coulée, extrêmement fréquente, s'organise souvent au cours de sa progression en un chenal central, bordé par des levées (petites "buttes" qui longent la coulée). Le tunnel se forme lorsque la surface de la coulée parvient à se figer ce qui forme un toit qui, un fois "soudé" aux levées, forme un tube: le tunnel. Un schéma explicatif simplifié se trouve sur le site de l'ENS de Lyon.
Pour les coulées Pahoehoe, qui nous interessent ici, le processus de formation de tunnels est différent. La lave pahoehoe se met en place non pas sous la forme d'un chenal, mais sous la forme d'une multitude de petits fronts de coulées individuels avançant chacun à sa vitesse, suivant des trajectoires complexes qui se croisent, se rejoignent, divergent....Il y a généralement des centaines de ces petites fronts simultanés, tous progressant lentement (c'est une des cause de la formation des pahoehoe).
Lorsqu'un tas de petits tubes individuels s'est agglutiné, la partie centrale du tas est maintenue à une très haute température. Or la peau des tubes est fine: elle peut donc refondre. Ce qui aboutit à la coalescence de plusieurs petits tubes pour n'en former plus qu'un grand: le tunnel. Voilà en schéma ce que ça donne, ci-dessous.
Étapes de la formation d'un tunnel dans les coulées Pahoehoe, depuis l'agglutination de petits fronts (en haut),et leur coalescence.. Image: Oregon State |
Ce qu'il faut voir ici, en dehors du seul tunnel, c'est l'accumulation importante de lave à très haute température (plus de 1000 °C, largement), parfois sur des épaisseurs très importantes. Si vous vous souvenez des posts que j'avais rédigés pendant l'éruption, une estimation avait pu être faite: plus de 10 m localement et je ne doute pas que l'épaisseur puisse être plus grande plus au cœur du champ de lave.
La quantité de chaleur encore présente en son sein est tellement importante qu'elle continue encore aujourd'hui, plus de 2 semaines après la fin de la 3ème phase de l'éruption, a être détectée depuis l'espace!
Le MIROVA en premier lieu, plus sensible en terme de détection, a régulièrement détecté des signaux en provenace du Piton de la Fournaise alors même qu' il n'y a pas d'activité en cours.
Des signaux thermiques toujours relevés par le MIROVA après la fin de la dernière phase éruptive: le champ de lave Pahoehoe restre très chaud. Image: MIROVA |
Mais c'est surtout la détection par le MODVOLC, outils dont la sensibilité est moindre (il faut des signaux assez forts pour qu'ils soient repérés), de signaux émis par ce champ de lave qui montre à quel point le rayonnement thermique reste intense. Cette détection a pu se faire lorsque les conditions météo ont été clémentes (pas de nuages pour bloquer le rayonnement thermique).
Les signaux thermiques produits par le champ de lave ces 15 derniers jours. Image: MODVOLC/HIGP |
Bref: de par son mode de mise en place, un champ de lave Pahoehoe reste un endroit dangereux car sa température interne reste importante longtemps. Il n'est même pas impossible que de la lave encore liquide stagne à l’intérieur de ce complexe de tubes. Se balader sur ce type d'endroit est donc extrêmement risqué pour qui ne sait pas lire la surface d'un champ de lave: le toit de tunnels peu profonds peuvent s'ouvrir sous les pas des randonneurs. Il n'est même pas necessaire qu'il y ait de la lave dans les tubes: l'intense chaleur qui y règne suffirait à tuer.
En plus du risque lié aux particularités évoquées ci-dessus, il ne faut pas oublier le risque "habituel" lié à la pratique de la randonnée en montagne (équipement necessaire).
Sources: Préfecture de la Réunion; Oregon State; ENS Lyon; MODVOLC/HIGP; MIROVA
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