L'incendie du volcan Raung

Non les volcans ne crachent pas du feu, ce qui n'empêche pas que des incendies puissent parfois se déclarer en conséquence des éruptions.
L'origine du signal thermique que l'on peut voir à l'extérieur du cratère du Raung sur l'image Digital Globe que j'ai présentée dans mon post précédent me posait un problème: quel en était l'origine? Et il est clair depuis aujourd'hui qu'il est lié, justement,  à un incendie.
Je vous propose donc de regarder ensemble quelles en sont les causes possibles...et parmi elles, celle qui est la plus probable.

Tout d'abord: un rapide point d'actualité

Ces derniers jours l'activité, en particulier sismique, montrait plutôt une tendance à la diminution avec des fluctuations. Or la presse indonésienne indique que depuis aujourd'hui l'activité a repris de la vigueur. Le panache de cendres est en effet un peu plus vigoureux sur cette image prise par le MODIS aujourd'hui: il s'étire sur une centaine de kilomètres au sud-ouest.

Le panache de cendres du volcan Raung, 03 août 2015. Image : MODIS/NASA

Dans la presse indonésienne d'aujourd'hui il est fait mention de cette augmentation de l'activité: des bombes ont été projetées sur une hauteur d'environ 1500 m.
Au niveau des conséquences il faut noter que de nouveaux vols ont été annulés par la compagnie Garuda Indonesia, et que l'aéroport de Jember a de nouveau été obligé de cesser ses activités entre hier et aujourd'hui.


Revenons au signal thermique

Il s'agit donc du signal que l'on peut voir à l'extérieure du cratère, versant nord-est, sur l'image prise le 20 juillet par le satellite WV-3 de Digital Globe, image que j'ai partagée dans mon post d'hier mais que je remet ici pour faciliter la lecture.

Located in Indonesia, Mt. Raung is one of Java's most active volcanoes. On July 2, Mt. Raung began erupting yet again...
Posted by DigitalGlobe on vendredi 31 juillet 2015

Ce signal est donc le fruit d'un incendie de forêt: on peut le voir sur cette photo réalisée le 25 juillet 2015.


La première étape est d'estimer combien de temps il a duré. Et cela peut être fait grâce à deux images satellites:

- sur celle du  20 juillet ci-dessus l'incendie n'est pas très étendu et très actif: il a pu commencer un peu avant, peut-être le 19 juillet

- sur l'image ci-dessous réalisée le 27 juillet par le satellite LANDSAT 8 (instrument OLI) et partagée par la NASA, l'incendie ne semble plus actif car il n'y a plus de fumée visible. Par contre on voit nettement la cicatrice qu'il a laissée.

La cicatrice d'incendie sur ue image réalisée le 27 juillet 2015. Image: NASA

La presse indonésienne a relayé la présence de l'incendie sur le haut versant nord le 25 juillet. Il a été photographiés par Alex Tudorica, un astrophysicien qui était sur place les 24 et 25 juillet, et il apparait sur le time-lapse ci-dessous: il s'agit du petit panache de fumée blanche, en bas à droite sous le panache de cendres.

De but en blanc on peut imaginer au moins trois possibilités pour expliquer sa présence:

- un évent éruptif s'est ouvert sur le haut versant nord-est du stratovolcan.

- des projections dûes à l'activité explosive sont passées par dessus la crête et ont déclenché un incendie.

- ce sont des habitants du coin qui ont déclenché un incendie maîtrisé afin de dégager une parcelle à cultiver, malgré l'interdiction d'approcher.

1- l'évent éruptif latéral

C'est une hypothèse qui semble peu plausible pour le moment. Sur l'image publiée par la NASA ci-dessus on discerne encore bien, dans la zone brûlée, les restes d'arbres et de végétation: pas de coulée de lave visible qui aurait donné une texture plus uniforme par exemple. On pourrait toujours, à la limite, imaginer l'apparition d'une zone d'évents de dégazage à haute température sans émission de lave,  mais sur la photo faite le 25 juillet on ne voit que le panache lié à l'incendie, aucune zone d'activité fumerolienne dans la pente. Or:
- l'incendie à progressé de l'amont vers l'aval entre les 20 et 25 juillet car le front actif est plus bas sur l'image du 25 juillet. Ceci implique qu'il a débuté au-dessus du panache de fumée visible sur cette image, et sur cette même image il n'y a aucune activité fumerolienne visible dans la partie haute. Et. par ailleurs..
- il ne serait pas logique qu'une telle zone fumerolienne n'ait fonctionné que quelques jours (entre le 20 et le 25 ) alors même que l'éruption restait assez intense.

Par contre on apprend dans la presse indonésienne d'aujourd'hui que de fissures ont été observées dans la zone sommitale, même si, à priori, ce serait plutôt le versant ouest qui serait affecté (à confirmer). On se sait pas exactement, pour le moment, où se trouvent ces fissures.. Ça, c'est un point à suivre mais qui n'a pas de lien direct avec notre incendie.

2- l'incendie volontaire

Des habitants serait-ils montés là-haut, malgré les interdictions, pour convertir une zone plutôt végétalisée en zone cultivable grâce à un incendie contrôlé? Il y a peu de chances: le habitations sont loin (plusieurs heures de marche), l'accès n'est pas très aisé et toute récolte produite là-haut serait certainement redescendue à dos d'homme. Tout cela semble très contraignant et, par ailleurs, on ne voit pas de parcelles cultivées autour de la zone de l'incendie. Si les hauts versant du Raung avaient été cultivables facilement, on peut supposer qu'ils seraient déjà cultivés...C'est donc l'hypothèse qui semble la moins probable.

3- les chutes de bombes

C'est l'hypothèse la plus probable, même si elle me fait me poser une question.

Pourquoi cette idée est vraisemblable:

- pendant cette éruption des projections ont parfois été envoyées à une hauteur suffisante pour qu'elle puisse dépasser la lèvre du cratère. Je ne m'en était jamais rendu compte avant les images que j'ai pu voir aujourd'hui. En particulier, si vous regardez attentivement celle-ci, réalisée le 24 juillet, vous verrez certaines des bombes qui dessinent, au-dessus de la lèvre du cratère, des paraboles caractéristiques. Et puis il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui même des bombes se sont élevées jusqu'à 1500 m de hauteur, soit bien au-dessus de la hauteur qui sépare le plancher du cratère de sa lèvre (environ 300 m)

- ce ne serait pas la première fois qu'un incendie se déclencherait suite à une chute de bombes sur un volcan.

Pour que celui-ci se déclenche il a probablement fallu que les bombes projetées aient été d'assez grande taille. La végétation au sommet du volcan est en effet rarement sèche du fait de la présence fréquente de nuages et les bombes ont le temps de se refroidir un peu durant leur trajet atmosphérique, sauf si elles sont assez volumineuses. Cela implique une activité explosive strombolienne particulièrement intense, en tout cas plus que ce que l'on peut s'imaginer en ne faisant que lire les rapports.

La seule question que je me pose concernant cette hypothèse n'est pas insoluble, mais je vous la livre: pourquoi, si l'activité explosive est si intense, n'y a-t-il pas eu des incendies plus fréquemment à divers endroits? Une réponse peut être envisagée en regardant la topographie du cratère: la zone incendiée se trouve en face d'un point bas de la lèvre du cratère...en fait le point le plus bas de toute la lèvre.

Si vous avez d'autres idées, vraisemblables qui pourraient expliquer le départ d'un incendie dans la zone, n'hésitez pas à les partager en commentaires.
Pour le moment je reste sur l'idée d'une chute de bombes, mais suis open.

Je remercie Shérine France pour l'échange de données et d'images qui m'a permis de me faire une idée plus argumentée et précise concernant ce signal thermique. Je remercie aussi Alex Tudorica pour notre échange concernant ses photos.

Sources: MODIS; presse Indonésienne, Shérine France et Alex Tudorica; NASA; Youtube