3 mars 2015

Paroxysme sur le volcan Villarrica (mis à jour 04 mars)

Il y a des jours comme ça où, encore sous le joug de la nuit, les images qui s'affichent vous mettent un coup de fouet pour la journée.
C'est exactement ce qui s'est passé ce matin à cause du Villarrica et cette magnifique et très courte phase paroxysmale à fontaine de lave.
J'évoquais hier, dans la mise à jour de 18h23 du post précédent, la différence entre l'activité strombolienne classique et les fontaine de lave et le Villarrica nous a montré cette transition avec splendeur et majesté. Quel spectacle incroyable.

La nuit commence alors que l'activité strombolienne se poursuit, similaire à ce quelle a été les 48
heures précédentes. Mais la sismicité a continué d'augmenter toute la journée du 02 mars: la mesure RSAM, qui permet de visualiser les variations de l'amplitude du trémor, a atteint une valeur 3 fois supérieure à ce qu'elle était lorsque le niveau d'alerte jaune a été déclaré, début février. Les volcanologues Chiliens considèrent que ce niveau de RSAM est très élevé pour le Villarrica et ont donc passé le volcan en alerte orange.

Les explosions stromboliennes sont fortes, clairement. Souvent des bombes sont expulsées en dehors du cratère. Dans la plomberie le régime est donc discontinu: si l'on pouvait à ce moment-là couper le volcan en deux on verrait une colonne de magma "en pointillés": une épaisseur de magma-une bulle de gaz-une épaisseur de magma-une bulle de gaz etc. Chaque bulle vient crever au sommet en expulsant des lambeaux de magma: ce sont les explosions stromboliennes.

A partir de 06h46 TU (03h46 heure locale) le régime de dégazage change: la fréquence des explosions semble augmenter au point qu'elles deviennent presque ininterrompues. Ce régime de transition dure une vingtaine de minutes pendant lesquelles l'activité s'intensifie progressivement. Ce n'est que vers 07h10 TU que le changement de régime est complet et qu'une véritable fontaine de lave, c'est à dire un jet de gaz qui contient des fragments de magma, haute de 1000m environ. Cette débauche d'énergie ne dure qu'un quart d'heure environ car la fontaine s'éteint à partir de 07h26 TU, pour redonner un régime de dégazage plus discontinu (strombolien), qui dure encore au moment où je rédige ce post.

Voilà les événements regroupées en 8 images: la ligne du haut montre la transition strombolien classique-fontaine de lave, celle du bas montre la phase de fontaine, que j’appelle "paroxysme" par analogie avec ce qui est décrit sur l'Etna, et le retour au strombolien classique.

Paroxysme à fontaine de lave sur le volcan Villarrica, 03 mars 2015
Les phases du proxysme du Villarrica cette nuit. Images: SERNAGEOMIN

On note sur l'image de 07h26 TU qu'un panache de gaz suspect s'étend à gauche de la fontaine en train de s'éteindre: il s'agit, à priori, d'une partie du glacier qui a commencé à fondre:
- soit sous la chaleur des retombées abondantes et à très haute température.
- soit sous l'effet de la présence d'une coulée de lave.

En plus des retombées de bombe et de blocs, la fontaine a été à l'origine d'un majestueux panache de cendres qui s'est élevé sur une hauteur de plus de 3000m, emporté vers l'est par les vents d'altitude.

Panache de cendres du paroxysme à fontaine de lave sur le volcan Villarrica, 03 mars 2015
Le panache de cendres du Villarrica. Image: auteur inconnu/BiobioChile



Ce type de situation est ce que redoutent en premier les autorités: la fonte du glacier est en effet la source des coulées de boue qui sont la première source de risque volcanique pour cet édifice.
 
Et c'est probablement une des raisons qui ont poussé l'ONEMI a élever le niveau d'alerte institutionnelle au rouge pour les principales communes concernées, à savoir Villarrica, Pucón, Curarrehue (région d'Araucanie) et Panguipulli (région de Los Rios). Il faut entendre ici le mot "commune" au sens large, plus comme nos communautés de communes, et pas seulement les villes principales.
Ainsi la commune de Coñaripe, situées au bord du lac de Calfquen, au pied du versant sud du volcan, a commencé d'être évacué et ses habitants sont transportés en ce moment-même dans la commune de Panguipulli, située à une trentaine de kilomètres plus à l'ouest. Les écoles seront fermées à Pucon,Villarrica et Curarrehue.




De son côté le SERNAGEOMIN a déclaré l'alerte volcanique rouge, bien que le paroxysme soit terminé. La sismicité reste intense, tout comme l'activité.

Affaire à suivre!

Mise à jour 15h49

Le jour s'est levé sur le Chili et quelques précisions peuvent être apportées.
Tout d'abord le paroxysme a eu un impact direct sur la morphologie du volcan, en retouchant la lèvre nord-est du cratère sommital. On voit distinctement, malgré la définition plutôt faible des images webcam, une bosse supplémentaire si l'on compare une image prise ce matin avec la même prise il y a quelques jours. Cette bosse, d'après une estimation personnelle basée sur l'analyse de l'image, semble faire 15-20 mètres de haut mais il faudra attendre des relevés directs pour avoir une valeur précise. Cela donne au moins l'ordre de grandeur de la modification.

La forme du cratère modifiée par l'accumulation de fragments de lave issus de la fontaine. Images: SERNAGEOMIN

En tout cas ce talus n'était pas stable après la fin du paroxysme et pendant plusieurs heures: de nombreux éboulements, plus ou moins importants, s'y sont déroulés soulevant quelques nuages de poussières. Ci-dessous, 3 exemple, parmi les nombreux qui ont été visibles sur les webcams, les deux premiers étant les plus importants depuis le levé du jour.

Éboulements sur le nouveau talus. Images: SERNAGEOMIN
Le SERNAGEOMIN s'est envolé pour une reconnaissance ce matin et les premières images commencent à arriver. D’impressionnantes coulées de boue (lahars) sont notamment descendues sur le flanc sud-est, longues de 2500 à 3000m. Il faut s'attendre à ce que d'autres images arrivent plus tard dans la journée.

Dans la presse chilienne ont peut lire qu'au totale 3600 personnes ont évacué, souvent de manière spontanée, puis sont retournées chez elles lorsque le paroxysme a pris fin.

Mise à jour 17h30

Le POVI (Proyecto des Observation del Villarrica) a posté un time-lapse de l'éruption. A partir de 1'46" on voit une langue brillante face caméra. Il s'agit d'une coulée de lave secondaire, formée à partir de l'accumulation rapide des fragments chauds en toujours partiellement liquide. Sous le poids de toute cette lave accumulée rapidement, le tas flue, coule. On appelait ce phénomène "Spatter-Fed lava flow" ("coulée de lave issue d'éclaboussures") à l'Université mais on m'a appris il y a quelques minutes que cela portait aussi le nom de "clastogenic lava flow" (coulée née de fragments). Deux termes pour décrire la même chose: à vous de choisir celui que vous trouvez le plus sympa.



Le SERNAGEOMIN a confirmé, après son survol du volcan, qu'il n'y avait pas eu de véritables coulées de lave comme cela a pu être suggéré au regard des premières images.
Et en parlant d'images si vous voulez avoir toute une collection d'images impressionnantes du paroxysme, je vous conseil de suivre ce lien.


Mise à jour 04 mars (09h48)

Le volcan est resté globalement calme suite au paroxysme d'hier. Les images webcam montrent que des éboulements au niveau des nouveaux dépôts ce sont poursuivies toute la journée et début de nuit, mais semblent se stabiliser. Suite à la diminution de l'activité l'ONEMI a décidé de baisser le niveau d'alerte institutionnelle pour la ramener au jaune dès la mi-journée (locale) sauf au niveau de la zone d'exclusion (étendue à 10 km autour du sommet), tandis que le SERNAGEOMIN maintient le niveau d'alerte volcanique ("alerte technique") au rouge. Les volcanologues relèvent depuis hier une sismicité faible et n'excluent pas que le conduit soit maintenant obstrué: il s'agit peut-être de l'un des éléments qui incitent le SERNAGEOMIN a maintenir l'alerte au maximal. En effet, avant d'abaisser cette alerte les volcanologues veulent savoir comment se comporte le volcan dans les heures/jours qui suivent le paroxysme.

Plusieurs centaines de personnes restent actuellement déplacées dans les différentes zones à risques et de légères coulées de boue ont été observées notamment, et c'est assez ironique, dans le Rio Claro (la rivière claire) à 2 km au nord de la ville de Pucòn: c'est une des nombreuses rivières qui sont alimentées par le glacier du Villarica et c'est bien là la conséquence d'une fonte partielle, sous l'effet des retombées de la fontaine de lave.




Sources: SERNAGEOMIN; ONEMI; BiobioChile; Soychile; twitter

9 commentaires:

  1. Bonjour,

    Et bah ! Quelle activité, après celle du Fuego...
    Il semble aussi qu'au moins deux coulées soient apparues hier, probablement par débordement du lac...

    Bonne journée,

    Ludovic

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui: grosse activité et belle surprise. Par contre, pas de coulées hier ça c'est certain: le niveau du lac est remonté mais n'a jamais atteint le bord jusqu'au moment du paroxysme en tout cas. Je suis à peu près certain que ce à quoi à quoi vous pensez sont deux crêtes rocheuses, probablement d'anciennes coulées en effet, bien visibles sur Google Earth (flanc nord-nord-est) et sur la webcam "Nevados" du SERNAGEOMIN. :-)

      Même les coulées qui se sont formées aujourd'hui pendant le paroxysme ne sont, je pense (au vu de la dynamique générale) pas toutes des coulées au sens premier, mais probablement des coulées de spatter (coulées secondaires), lentes et courtes et issues de l'accumulation rapide des fragments encore fluides retombés de la fontaine. Mais ça reste à confirmer.

      Supprimer
    2. Deux petites coulées de spatter donc. Le time-lapse est vraiment super et permet de bien comprendre ce phénomène. :)
      Le dynamisme strombolien a complètement disparu ? Quelle énergie en tout cas...

      Encore merci, et bonne journée,

      Ludovic

      Supprimer
  2. Bonjour

    Supers images sur le lien que vous avez proposé. La 16 est impressionnante par la suggestion de ce géant aux bras levés. phénoménal....
    En plus le cône somital ressemble au cône S.Est de l'Etna (accumulation de lave visqueuse ça fait comme le col d'une bouteille:-) )

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. marrant: c'est aussi celle qui m'a le plus fait réagir. La texture de la cendre incandescente a toujours quelque chose d’irréel...

      Supprimer
  3. Bonjour !

    Concernant le phénoméne que vous décrivez sous les termes de " spatter-fed lava flow" et "clastogénic lava flow", peut-on voir ici une analogie avec les coulées dites "rhéomorphiques" ou est-ce que celà n'à rien à voir?
    Ces derniéres sont, si je me souvient bien dues à un amas de projections à haute température et donc encore molles qui sous leur propre poids se mettent à couler.Corrigez moi si je me trompe.
    Celà dit, le spectacle sur place devait être grandiose.
    Merci en tout cas pour tout le travail que vous effectuez pour nous faire partager vos connaissances et l'actualité volcanique mondiale.
    Cordialement,
    Mr Boyer

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Vous avez raison: il s'agit bien de ça :-) Le mot "spatter-fed" est celui que j'emploie préférentiellement car "spatter" désigne directement les éclaboussures donc des projections. Or le rhéomorphisme est aussi observé dans des ignimbrites (dites rhéomorphiques du coup), immenses dépôts d'écoulements pyroclastiques qui, une fois déposés se tassent et se soudent, et parfois coulent un peu.Comme les ignimbrites ne résultent pas de projections, qui se définissent par une trajectoire balistique, je préfère ne pas employer le terme de coulée rhéomorphique, qui n'est pas faux mais peut-être un peu plus large.

      Il est dommage qu'il n'existe pas de terme français simple et esthétique et aussi efficace que l'anglo-saxon pour désigner ce phénomène: "coulée d'éclaboussures" n'est pas très joli...ou alors ce n'est qu'une habitude à prendre?

      Supprimer
  4. Bonjour !

    Merci pour vos explications.

    RépondreSupprimer