21 février 2015

Les situations évoluent sur les volcans Bardarbunga et Ambrym (mis à jour 23 février)

Bardarbunga, Islande, 2000m

Depuis le précédent point l'activité semble avoir continué de décliner de manière très significative au niveau de la fissure éruptive. Les dernier rapport des volcanologues sur place ne décrivent plus, dans le lac de lave, qu'une seule zone de brassage et ont pu constater que toute la partie sud dudit lac est maintenant encroûté. La lave qui s'échappe du lac par l'exutoire ouvert à l’extrémité nord du spatter
rempart continue d'alimenter un chenal enfermé dans un tunnel. Ce dernier trouve son point d'émergence à l’extrémité est du champ de lave, à presque 16 km de distance.

Coulée de lave au volcan Bardarbunga, 17 février 2015
Après un parcours de 16 km la coulée sort de son tunnel et recouvre la lave refroidie mise en place en septembre 2014. Image: Morten S. Riishuus, via IMO


Cette baisse d'activité est assez visible lorsqu'on compare les images prisent par le satellite MODIS sur le mois écoulé: entre les 18 janvier et 17 février, on constate facilement le nombre décroissant de zones à haute température, donc actives, sur le champ. On tombe aussi sur le constat fait par les volcanologues sur le terrain: la seule zone active du champ de lave, mise à part le spatter-rempart et son lac, est l’extrémité est. Enfin, regardez par vous-même la différence d'intensité lumineuse au niveau de la fissure entre le 18 janvier et le 17 février: on voit nettement que le rayonnement infrarouge, marqué de la couleur rouge sur les images, est bien moins fort (il brille moins).

Evolution de l'activité sur le champ de lave du volcan Bardarbunga dans la plaine d'Holuhraun
Affaiblissement de l'activité sur le champ de lave de la plaine d'Holuhraun entre les 18 janvier et 17 février 2015, vue par les satellites. Images: MODIS-Annotations Culture Volcan

Enfin il parait clair que cette affaiblissement qui semble s'accélérer doit être mis en lien directe avec l'évolution de l'affaissement de la caldera, dont on peut maintenait dire qu'il s'est quasiment arrêté, bien qu'une sismicité l'anime toujours.

Evolution de l'affaissement de la caldera entre les 19 et 21 février: plus de perte d'altitude significative mesurée. Image: IMO.

Il semble donc que le rôle de piston qu'a joué la caldera en s'enfonçant, exercent une pression sur la poche de magma à l'origine de l'éruption, se valide. Maintenant il sera interessant de voir si l'une des possibilités pensées par les équipes de volcanologues se réalise, à savoir, l'ouverture d'une nouvelle fissure plus en amont, sous le glacier.
En effet:
- soit l'éruption s'arrête totalement parce que il n'y a plus du tout assez de pression pour la maintenir.
- soit une pression résiduelle se maintient mais n'est simplement plus suffisante pour permettre au magma de parcourir les 40 km de distance depuis sa source avant de sortir. Il faut imaginer en effet les force qui s'exercent sur ce magma: frottements contre les parois du dyke, hausse de la viscosité du à une perte de chaleur et à une légère cristallisation: toutes ces forces concourent à ralentir la progression du magma jusqu'à la plaine d'Holuhraun. Mais une fois l'éruption terminée à Holuhraun, il reste possible qu'une légère pression, due au poids d'une caldera pas tout à fait immobilisée,  puisse encore s'exercer et provoquer l'ouverture d'une nouvelle fissure plus en amont. Il ne s'agirait pas alors là d'une nouvelle éruption à proprement parlé, mais plutôt d'un "chant du cygne" ou d'un baroude d'honneur en quelque sorte.

Et si cette possibilité se réalise, ce baroude pourrait se révéler assez spectaculaire: nous aurons le temps devoir venir.


Mise à jour 23 février

Shérine France fait passer sur sa page facebook une série de photos aériennes du lac de lave réalisées avant-hier. En fait on peut dire que le lac en question n'existe déjà plus: seul un évent accueil une flaque de lave dans laquelle viennent crever des bulles de gaz. Les projections produites ont déjà commencé à construire un petit cône sur la surface consolidée de feu le lac de lave.
La vitesse à laquelle les choses ont évoluée est tout simplement impressionnante.




Sources: MODIS/NASA; Morten S. Riishuus;  IMO; Shérine France


Ambrym, Vanuatu, 1334m

Le Geohazard a émis aujourd'hui un bulletin spécial indiquant que le niveau d'alerte a été élevé à 3. Ils décrivent, sans donner de précisions malheureusement, un nouvel évent ouvert dans la caldera. Le bulletin indique qu'il s'agit d'une éruption de flanc. Cet évent n'est pour le moment pas visible directement: aucune photo, et la webcam est HS depuis 15 jours, mais on va tenter d'aller chercher quelques précisions si vous le voulez bien.

Sur l'image ASTER prise le 12 février aucune éruption de flanc n'est visible mais on peut toutefois noter qu'une zone à très haute température est ouverte à environ 300 m au nord du lac de lave du Benbow. Cette bouche, qui n'a peut-être rien à voir avec celle qui a déclenché l'alerte 3 aujourd'hui, se localise au niveau d'un cratère (pit crater nord) pré-éxistant mais qui n’émettait aucun signal particulier en début d'année. La présence de très hautes températures, compatibles avec la présence de lave dans ce cratère, pourrait être le signe d'un haut niveau d'activité et donc être un précurseur de l'ouverture de ce nouvel évent latéral, qui a déclenché l'alerte 3. C'est une hypothèse et rien de plus mais la chronologie des deux événements est au minimum troublante.
Pour que tout ce que j'ai écrit ci-dessus soit plus clair, voilà une comparaison d'images montrant le Benbow. Celle de gauche est prise sur Google Earth et permet de voir les éléments de la topographie que je viens de décrire. Outre la lèvre du cratère qui ouvre le sommet du cône (en tiretés), on voit nettement dans le cratère que deux autres cratères secondaires en ouvrent le plancher: le petit "pit crater nord", ou se trouve la nouvelle anomalie thermique, et l'imposant pit crater principal où se trouve le lac de lave habituellement observé. J'ai reporté ces éléments sur l'image ASTER de droite, prise le 12 février, pour que l'on repère bien les différents éléments.

Nouveau signal thermique dans le cratère du cône Benbow du volcan Ambrym,12 février 2015
Signal thermique assez important dans le pit crater nord du Benbow. Images: Google Earth (gauche) et ASTER/JPL/NASA (droite)
Pour résumer, voilà ce que l'on ne connait pas avec précision à cette heure:
- y a-t-il un lien entre l'apparition du nouveau signal thermique au Benbow et l'éruption de flanc décrite par le Géohazard?
- la localisation de cette nouvelle bouche éruptive: est-ce au Marum? Au Benbow, au Mbwelesu**, une zone adventive au Marum qui a déjà connu des éruptions dans les années 50-60 notamment, ou sur d'autres évents excentrés, toujours proches du Marum, comme dans les années 80?
- l'intensité et le style de l'activité au niveau de cette nouvelle zone éruptive.

Des éléments de réponse, à savoir la localisation approximative et l'intensité, sont donnés par le MODIS ce matin. Les images en "fausse couleur* permettent de voir une vaste zone à haute température, longue de 3km et large de 2, qui recouvre le plancher de la caldera. Ce signal thermique n’existait pas encore hier: cette activité s'est donc déclenchée il y a moins de 24 heures à priori. Vu son intensité on peut sans trop de problème partir du principe que l'activité est intense et, vu l'extension du signal, on prend peu de risque en supposant qu'il s'agit de coulées de lave ce qui serait tout à fait logique car l'Ambrym est plutôt alimentée par des magmas fluides, les deux lacs de lave permanents en étant la meilleur preuve.
Cette activité semble prendre sa source à la base du Marum et l'évent pourrait même être ouvert directement sur le plancher plutôt que sur le versant de ce dernier: il y a en effet, d'après Google Earth, environ 900m qui séparent la base du cône de la zone où apparait le signal thermique. Cette donnée reste toutefois marquée du sceau de l’imprécision des données MODIS et n'est donc qu'hypothétique.

Signal thermique du'ne nouvelle coulée de lave dans la caldera du volcan Ambrym, 21 février 2015
Signal thermique de l'éruption excentrée du volcan Ambrym. Images: Google Earth (gauche) et MODIS/NASA (droite)- annotations et montage Culture Volcan
Pour résumer l'activité a effectivement pris un nouvelle tournure aujourd'hui, et c'est quelque chose qui ne s'était plus vu dans la caldera depuis les années 80, lorsque des coulées avaient pris naissance sur un site qui semble situé un peu près au même au même endroit que le site actuel.

Le VAAC de Wellington signal qu'un panache de cendres aurait été émis (peut-être au moment de l'ouverture de l'évent). Il aurait atteint une altitude de 2000m environ, soit une hauteur de quelques centaines de mètres seulement. La présence de lave a été confirmée par des observations en hélicoptère: ce terme un peu vague de "lave" est souvent employé pour désigner plus spécifiquement les coulées.

Sources: Geohazard; MODIS/NASA; ASTER/JPL/NASA; VAAC de Wellington

*celles dont les couleurs (rouge, vert bleu) sont attribuées à des longueurs d'onde qui ne correspondent pas au rouge, au vert et au bleu mais à d'autres longueurs d'onde, comme l'infrarouge thermique par exemple.

** ou plutôt "les autres cratères du Mbwelesu" car il y en a plusieurs dont l'un (Niri Taten Mwbelesu) contient le lac de lave permanent souvent pris en photo. Le cône du Marum, dont le complexe de cratères Mbwelesu constitue la partie est, est d'une morphologie assez complexe.

7 commentaires:

  1. Hello Fabrice,

    Concernant le pit crater nord dont tu parles à coté du lac de lave principal du Bembow, il s'agit effectivement d'un second lac de lave, plus petit que le premier, mais qui existe déjà depuis plusieurs temps, au moins depuis l'été 2013. J'étais las bas cette année là avec Thomas Boyer, et il nous avait fait part de l'existence de ce lac qu'il avait vu un mois avant, mais dont l'accès, au fond du cratère du Bembow n'est pas évident. Sur le net, il y a des vidéos d'excursion vers ce lac de lave, qui est filmé.

    Par contre, s'il l'ouverture de l'évent sur le marum est confirmé, peut on faire un lien avec les forts tremblements de terre qui ont eu lieu dans cette zone ces derniers jours?

    A bientôt, et merci pour ce super blog !

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    1. Voilà une précision très importante: merci de l'avoir partagée :-)

      Je me suis en effet basé sur la comparaison de données satellites, dont on sait qu'elles ont, comme toutes les sources de données (y compris les observations visuelles directes) leurs limites. La detection des signaux thermiques dépend de la configuration du cratère, ici très profond et très étroit, très défavorables à la détection des signaux infrarouge depuis l’espace. Son apparition claire sur les données ASTER doit donc être réinterprétée: si elle n'apparait que récemment sur les données spatiales ce n'est pas que sa source (le petit lac) n'existait pas puisqu'il a été filmé, mais que son niveau à peut-être monté en début de mois. On m'a fait savoir par ailleurs que l'activité générale au Benbow est plutôt en augmentation depuis au moins décembre avec une hausse importante du niveau du lac de lave ce qui serait cohérent aussi avec une hausse du niveau de ce petit lac nord.

      Quoi qu'il en soit: Ambrym est le seul volcan du monde, à ma connaissance, à accueillir, (ou avoir accueilli car l'ouverture de l'évent ce matin à peut-être tout vidangé sait-on jamais) 3 lacs de lave simultanément.

      Faire un lien avec les seïsmes tectoniques n'est jamais évidente à faire à priori. Je n'exclue rien: la chronologie est troublante, mais en même temps la sismicité au Vanuatu est quand même importante en générale et ne déclenche pas systématiquement de réaction inhabituelle à Ambrym. Il n'y a que des analyses plus fines que ce que l'on peut faire avec les données disponibles sur le net qui pourront mettre en évidence une corrélation ou non. Nous verrons bien ce que les volcanologues en pensent.

      Encore merci :-)

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  2. Je me permets de mettre ce lien retrouvé, s'il te semble inapproprié, n'hésite pas!

    https://www.youtube.com/watch?v=bAye0uX4bpw

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    1. Je ne suis pas du tout volcanologue mais j'essaie de comprendre ce qui se passe au niveau du cheminement de la lave sous le Bardarbunga.
      Comme la production de lave dans le(s) cratère(s) et l'enfoncement de la caldera sont étroitement liés, il y a deux solutions :
      - Soit la production de lave diminue effectivement et le volcan va se mettre au repos un certain temps (années, siècles ?) comme le prévoit Haraldur Sigurðsson.
      - Soit la lave, pour une raison que nous ignorons, ne peut plus progresser vers les cratères et cela va augmenter la pression au niveau de la caldera qui risque, dans ce cas-là, de remonter les dizaines de mètres qu'elle avait descendus.
      Dans ce second cas, si une nouvelle fissure apparait sous le glacier (par exemple), l'éruption recommencera mais avec de fortes émissions de fumées et de vapeur. Si aucune fissure n'apparait, nous risquons une éruption explosive au niveau de la caldera, avec des conséquences très graves pour l'Europe.

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    2. Bonjour Mycki Liberty. Le mécanisme évoqué, et qui semble se dérouler actuellement, est plus passif que ce que vous décrivez, je m'explique.

      Si vous me permettez, je vais d'abords vous dire où vous vous méprenez à mon avis (et du coup ce que j'ai mal expliqué) : je crois que pour vous le moteur de l'éruption en cours est le magma lui-même. C'est le cas pour la majorité des éruptions et, pour être plus claire, c'est le gaz, composant à part entière du magma, qui est en réalité la force motrice en générale.
      Or ici ça ne semble pas (plus) être le cas, du moins pas complètement. En effet, priori, vue la perte de dynamisme au niveau du lac de lave ces derniers mois, le magma qu est émis est appauvri en gaz: il n'y a, par,exemple, plus aucune fontaine de lave, et très peu de projections.
      C'est pour ça que, d'après moi, le gaz n'est plus le principale moteur de l'éruption, bien qu'il en reste encore.

      Le mécanisme invoqué pour créer cette pression qui permet l'éruption, et qui fait qu'elle garde un débit important depuis des mois et ne s'éteint que très très progressivement, c'est l'enfoncement de la caldera. Elle agit comme un piston qui s'enfonce dans la chambre magmatique identifiée sous ce volcan. C'est vraiment le même principe qu'une pompe à vélo: la pression dans la pompe est supérieure à la pression extérieure tant qu'on actionne le piston.

      Comme je l'expliquais dans le post, le parcours jusqu'à la plaine d'Holuhraun est très long et il faut donc que la pression qui s'exerce dans la chambre, qu'elle proviennent du magma lui-même ou du piston, soit suffisamment forte pour vaincre les résistances (frottement contre les parois du filon, viscosité etc).

      La caldera se stabilise: le débit de l'éruption diminue en même temps. Si une pression résiduelle persiste, parce que la caldera bouge encore un peu (il y a toujours de la sismicité en ce moment, même si elle faiblit), alors le scénario le plus probable serait qu'une seconde phase de l'éruption débute, à priori (mais rien n'est jamais sûr à 100%) sur le même dyke, mais à plus faible distance, pour que les frottements à vaincre soient moins importants.

      C'est pour ça que je parle d'un mécanisme "passif" (simple enfoncement du piston sous son propre poids) et non actif (pression du magma comme moteur de l'éruption).

      La caldera ne se mettra pas à remonter de manière significative car:
      - le poids des roches qui se sont déplacées est vraiment trop important: le piston en question est immense
      - et de toutes façon, pour faire bouger le piston en sens inverse il faudrait que la chambre se regonfle donc qu'elle soit réalimentée par un magma neuf riche en gaz et donc pressurisé. Mais la caldera alors ne remonterai que de quelques cm ou dizaines de cm, et certainement pas de plusieurs dizaines de mètres (amplitude qui ne s'est jamais vue avant une éruption).

      Je ne suis pas devin donc je ne sais pas ce qui va se passer mais les chances qu'il y ait une réalimentation en magma neuf sont quand même à priori faibles après ce qui a été émis depuis fin août.

      Par contre, si un nouvelle phase débutait après la fin de la première sous le glacier, il est vraisemblable qu'il y aurait une production importante de cendres, qui ne serait problématique en Europe qu'en cas de vents (dé)favorables. Ces problèmes, qui sont visiblement devenus de véritables craintes, ne sont pas systématiques: la preuve en est que lors des éruptions du Grimsvötn, voisin immédiat du Bardarbunga, en 2004 et 2011 les panaches de cendres étaient largement plus importants que pour Eyjafjöll en 2010, et il n'y a eu aucun problème (je ne suis même pas sûr que les gens souviennent de ces éruptions pourtant fantastiques).

      J'espère avoir été plus clair :-)
      Bonne soirée

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  4. Bonjour,

    L'éruption du Bardarbunga est un cas d'école et ce, depuis mi-août 2014 et le début de la sismicité. Ces nouveaux événements le confirme. Quelle éruption ! Tant au niveau du volume que de la phénoménologie d'ailleurs !

    Pour ce qui est d'Ambrym, vivement de nouvelles infos ! J'avoue avoir un petit faible pour ce volcan...

    Ludovic

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