14 janvier 2015

Des robots sur les volcans: portrait de famille

On peut lire depuis quelques jours dans la presse une nouvelle initialement envoyée par le Jet Propulsion Laboratory-NASA concernant les futurs tests d'un petit robot, le volcanobot 2, sur le Kilauea, édifice le plus actif d'Hawaï. Si vous suivez ce blog vous savez déjà que ce volcan:
- est en éruption continue depuis 1983
- qu'une coulée de lave partie le 27 juin 2014 d'une fissure située sur son versant est a détruit un cimetière et une maison à Pahoa et menace toujours potentiellement une partie de la petite ville.
- qu'un lac de lave est présent depuis 2008 dans le cratère ouvert au sommet de l'édifice.


"Quoooooiii? Un robot va plonger au coeur d'un volcan en é-ru-ption?? Mais ....wOw! Trop d'la balle!".
Tututututu: inutile de trop s'exciter car:
1- les objectifs de cette exploration sont multiples, mais aucun ne vise à faire s'approcher le robot des zones de l'éruption....et encore moins de l'envoyer "au coeur" de l'édifice, expression qui ne veut finalement pas dire grand chose par ailleurs.
2- utiliser des robots pour explorer les volcans, ce n'est pas une idée nouvelle.

L'histoire de ces "explorateurs mécatroniques" est courte (très peu de représentants) mais débute, quand même, en 1992. C'est l'occasion de revenir sur ce type d'investigation appliquée aux volcans, de voir quels ont été les objectifs historiques de ces alliés métalliques, et ainsi de replacer la construction de Volcanobot 2 dans un contexte historique.

Pourquoi utiliser des robots sur les volcans?

En premier lieu pour les mêmes raisons qui font qu'on les utilises ailleurs:
- pour des raisons évidentes de sécurité. Approcher une activité éruptive pour prélever des échantillons est évidemment risqué, et le résultat n'est pas toujours à la hauteur de la prise de risques.

- parce que le défi technologique que représente la mise en œuvre de tels outils apporte souvent, sinon toujours, plus que le simple fait d'explorer un volcan.

- car ils peuvent atteindre des zones difficiles d'accès pour l'homme mais où peuvent se trouver des informations intéressantes à collecter (échantillons de roches, de gaz, mesures de températures sur des sites précis etc, cartographie d'une zone).
Ces informations peuvent ensuite être intégrées dans des modèles visant à comprendre les mécanismes qui ont lieu au moment des éruptions, avec toujours l'espoir de mieux les anticiper.

Mais d'abord qu'est-ce qu'un robot?

La définition met l'accent sur le fait que c'est un dispositif combinant mécanique, électronique et informatique, au moins partiellement autonome dans ses actions. Un logiciel lui permet d'effectuer des tâches préprogrammées mais dans les versions les plus élaborées des capteurs permettent une analyse en temps réèl des changements de l'environnement, et la création, grâce à un/des logiciel(s), d'une réponse adaptée (non préprogrammée).

Le robot se distingue des drones (à la mode aujourd'hui mais qui existent depuis fort longtemps) pilotés à distance par des humains via des ondes (wifi, bluetooth par exemple) ou des câbles.
La version sous-marine du robot est l'AUV ("Autonomous Underwater Vehicle"), celle du drône est le ROV ("remotely operated vehicle").


La petite famille des robots explorateurs de volcans.

L’aventure de la "volcanobotique" commence en 1992 avec l’impressionnant DANTE, ainsi baptisé en l'honneur du poète Italien Dante Alighieri dont l'oeuvre "Les Divines Comédies" s'ouvre sur l'allégorie de l'enfer.
Ce robot a été développé par le laboratoire de robotique de l'Université Carnegie Mellon (Pennsylvanie, Etats-Unis) au tout début des années 1990.
Ses concepteurs, peut-être inspirés par le biomimétisme, lui ont donné une morphologie arachniforme (ressemble à une araignée) avec 4 paires de pattes mécaniques qui le rendaient capable de se déplacer sur tous les terrains. Pour le co-piloter une équipe se trouvait sur place mais une autre était installée au Goddard Space Flight Center, au nord de Washington, à 15 000 km!
Le site choisi pour tester DANTE ne l'a pas été au hasard : le volcan Erebus, un nom qui vient du dieu grèc Erèbe, incarnation des ténèbres et de l'obscurité des Enfers: on reste dans la joie et la bonne humeur... Le volcan se trouve dans l'un des pires endroits du monde (pour les humains j'entends, pour d'autres organismes vivants, c'est plus un paradis qu'un enfer): l'Antarctique avec ses vents violents, ses températures glaciales, et ses 6 mois de nuit par an.



Dante au bord du cratère de l'Erebus. Image: archives USAP
Les objectifs de la mission de Dante étaient de deux types:

- l'aspect technologique: car il fallait que ses concepteurs parviennent à construire une machine résistante aux pires conditions possibles ou presque. Terrain difficile, pente très forte, atmosphère acidifiée par les gaz et donc très corrosive: DANTE devait être capable de résister à tout à la fois, à une époque ou nombre de matériaux composites actuels n'existaient pas.

- l'aspect scientifique: pour la volcanologie, l'essentiel était de collecter des échantillons de gaz directement au niveau du lac. On peut toujours en collecter au niveau des fumerolles à proximité, ou encore dans le panache qui s'élève au-dessus de l'édifice, mais ils ont alors eu le temps de se condenser et/ou de réagir avec des gaz atmosphériques, si bien qu'il est difficile (pas impossible) de connaitre les quantités exactes de chaque type de gaz présent initialement dans le magma. Or leur nature, leur concentration sont des informations importantes qui permettent de comprendre un peu mieux le parcours que le magma a effectué depuis sa source, dans le manteau. D'où la nécessité de collecter les gaz à haute température, avant qu'ils ne puissent réagir avec l’atmosphère.

Les sciences de l'Atmosphère furent d'ailleurs aussi très intéressées à l'époque par cette mission car, depuis 1985, le trou de la couche d'Ozone, situé au-dessus de l'Antarctique justement, occupait une place de choix dans les débats. Et bien connaitre les quantités de gaz responsables (le chlore en particulier) rejetés par les volcans permettait de mieux cerner si l'impact était avant tout humain ou pas... Une question dont la réponse a été trouvée depuis.

A l'été austral (décembre) 1992 l'équipe et le robot arrivent sur l'Erebus. Après plusieurs jours de tests et de réparations/améliorations DANTE se retrouve au bord du cratère. Il commence à descendre mais une série de problèmes techniques insolubles sur place mettent fin prématurément à la mission. Techniquement il y a des choses qui ont été apprises, mais aucun objectif scientifique n'a été accompli.

1994 - DANTE 2

Fort de ce qui a été appris lors des essais de DANTE le même laboratoire de robotique met au point une seconde version du robot, DANTE 2, qui se trouve être opérationnel dès 1994. Le modèle de base reste le même: arachniforme (bien que ses pattes ne se déplacent pas de la même manière que celles d'une araignée), avec plusieurs changements dus à des objectifs sensiblement différents.
Le mode opératoire est similaire: le robot est partiellement autonome et si les conditions sur place surpassent les capacités de réponse que peut fournir le logiciel, des opérateurs humains peuvent prendre le relai depuis un post de contrôle situé à 120 km.
Les deux arguments phares qui ont servi d'objectifs généraux pour la conception de cette version étaient:

- l'exploration spatiale: DANTE 2 devait permette de tester un certain nombre de technologies ou d'identifier des problème susceptibles de se produire sur des planètes à explorer. Le point clé ici était justement de faire que le robot soit le plus autonome possible. Autrement dit, il est l'un des très nombreux tests qui a permis ensuite aux ingénieurs de lancer les rovers qui ont exploré ou explorent encore avec succès le sol martien, par exemple.

- la sécurité des volcanologues. Et oui car, avant même que le développement du prototype n'ai débuté, d'ailleurs avant même que DANTE 1 n'ait eu le temps de réchauffer ses circuits dans son laboratoire nord-américain, le volcan Galeras (Colombie) emporte dans une explosion la vie de 9 personnes, dont 6 volcanologues en train de récolter des échantillons et faire des mesures. Et ça, c'est un des événements fondateurs de la prudence des volcanologues sur le terrain, et une motivation supplémentaire pour développer le projet DANTE 2.

Pour le tester, les scientifiques et ingénieurs se sont cette fois concentrés sur un autre volcan, dans l'archipel des Aléoutiennes: le mont Spurr, qui avait connu deux années auparavant une éruption  d'assez grande ampleur (VEI 4). Lorsque les tests ont lieu, en juillet 1994, le calme est complètement revenu, la sismicité est normale et les niveaux d'alerte au plus bas. Le site présente toutefois de nombreuses difficultés que le robot va devoir surpasser.





Les résultats des tests ont été très concluants sur de nombreux plan techniques. Cependant dans un article publié en 1999, les concepteurs concluent que le robot, tel qu'il se présente, n'est pas adapté à l'exploration spatiale et ne peut pas aider les volcanologues.


2000 - Le RMAX Yamaha

Avec ce robot volant (donc un UAV, pour Unmanned Aircraft Vehicles) on commence à voir apparaitre des outils dont l'objectif premier est vraiment d'aider les volcanologues à acquérir des données en terrain dangereux. On change aussi complètement de catégorie d'outils avec ici un hélicoptère miniature autonome. Équipé de caméras, son rôle est de récolter des images du site d'une éruption afin de permettre aux volcanologue de jauger de l'état de l'activité, des dégâts causées, de cartographier les zones les plus affectées etc etc.
L’outil est équipé et testé en 2000 pour l’éruption du mont Usu, puis de nouveau exploité avec succès sur le Miyake-Jima, dont l'éruption la même année avait obligé tous les insulaires à évacuer l'île que constitue le volcan.

Schéma de l’intervention du RMAX-Yamaha sur le site de l'éruption du Usu. Image:Yamaha

Il y a bien sûr des contraintes avec les engins volants, notamment en terme de sécurité aérienne: le déploiement du RMAX est ainsi interdit après 8h30 du matin ce qui réduit sensiblement la portée de son exploitation.


2000-2003 : ROBOVOLC

Au moment où le RMAX japonais est développé un autre projet, Européen cette fois, prend forme. Nommé ROBOVOLC, il est le bébé d'un important consortium international qui associe la France (Institut de Physique du Globe de Paris et l'entreprise Robosoft), Italien (INGV et Università degli Studi di Catania et le Dipartimento Elettrico Elettronico e Sistemistico), Anglais (Université de Portsmouth et l'entreprise BAE Systems).

A la différence des tous les autres projets cités dans ce post, il est le seul dont les objectifs de son cahier des charges sont 100% volcanologiques. Rendez-vous compte:
- échantillonnage et analyse de gaz sur place
- échantillonnage de lave dans les coulées
- mesures de différents paramètres (Température, vitesse, débit etc) de jets de gaz et des coulées
- cartographie des évents éruptifs (morphologie, topographie)

L'idée est réèllement d'envoyer le robot collecter tout ça pendant les éruptions.

Le véhicule est développé entre 2000 et 2003. C'est en 2002 que les premiers tests de la version définitive ont lieu sur l'Etna en septembre, peu avant que ne démarre l'une des plus importantes éruptions depuis des décennies sur ce volcan.




Malheureusement je n'en ais plus entendu parler depuis fort longtemps, le projet ayant pris fin en 2003. Je ne sais pas non plus si il a été déployé durant l'éruption de 2002-2003 justement.

2009(?) - l'UAV Volcan

Le groupe d'ingénieurs de l'Université de Catane, qui développe de nombreux projets, a testé un avion miniature automatisé (un UAV, à nouveau) bardé de capteurs. Il a pour objectif de voler à l'intérieur des panaches de gaz volcaniques afin de faire des mesures de composition des gaz ainsi qu'un certain nombre de mesures atmosphériques (vitesse et direction du vent etc). Une fois en vol il se dirige vers sa cible puis, dans le panache, il zigzague verticalement pour pouvoir cartographier la répartition des gaz dans toute sa largeur.
Il peut fonctionner en couple avec le ROBOVOLC.

Préparation d'un vol de l'UAV Volcan au pied du Cône Nord-Est de l'Etna (versant nord). Image: Université de Catane


2013- UAV Dragon Eye

Compétition oblige, une équipe de la NASA développe de son côté le même type d'instrument que l'équipe Italienne ci-dessus, et dans le même objectif. En Mars 2013 il font voler une dizaine d'UAV au-dessus du volcan Turrialba. Les données collectées par les engins sont synchronisées avec les données récoltées par le satellite ASTER afin d'améliorer les algorithmes qui permettent de calculer les concentrations en SO2 à partir des données satellites

La piste d'"aherbissage" des UAV de la NASA en mars 2013, au pied du Turrialba en arrière plan. Image: NASA


2013-ELF
 
ELF est dispositif mis au point par une équipe japonaise en 2013 dans le but de pouvoir pénétrer en sécurité dans les zones volcaniquement actives. Il s'agit, là encore, d'aller chercher des informations sur l'état des zones affectées et complètement évacuées.
Le robot est innovant car il peut changer de configuration à volonté afin de s'adapter au terrain qu'il rencontre. Ses concepteurs se sont inspirés d'un robot appelé Quince développé pour épauler les équipes de secours. Il a été utilisé notamment à Fukushima pour trouver d'éventuelles victimes mais aussi pour savoir si les conditions sanitaires dans des zones spécifiques permettaient une intervention humaine.
Mais les concepteurs du ELF voulaient surtout relever le défi de faire progresser l'engin sur des pentes de faibles résistance, couvertes de cendres et de scories. En effet la progression sur ce type de terrain est complexe car très instable.
L'équipe japonaise a donc développé un système de chenilles qui peuvent se pouvoir de manière indépendantes et prendre ainsi diverses configurations, pouvant ainsi franchir de multiples difficultés.



Le robot ELF peut progresser en suivant les courbes de niveau sur un terrain pentu même instable. Image: K.Nagatani et al, 2013
Le robot a été testé sur le volcan Izu-Oshima, l'un des premiers volcans de l'archipel des Izu, proche des côtes de Honshu.

Volcanobot 1 et 2

Et voilà les deux héros mécaniques du moment. Avant toute chose, ces deux robots sont plutôt dans la veine de ceux développés dans les années 90 (DANTE 1 et 2) car leurs principaux objectifs ne sont pas volcanologiques: leur développement fait partie d'une réflexion d'ingénierie qui vise d'abords à surmonter les défis de l'exploration d'autres planètes, en particulier Mars. Mais le choix d'un terrain volcanique n'est pas non plus le fruit du hasar: certains sites volcaniques sur Terre semblent à priori avoir des équivalents sur la planète rouge, où on été découverts ce qui semble être des tunnels de lave et des fissures.
La surface de Mars a été explorée, et la tentation est grande maintenant d'aller voir ce qui se passe un peu dessous: voilà pour la motivation de ces ingénieurs.
Enfin la cartographie des fissures éruptive pourrait apporter des éclaircissements sur la manière dont l'éruption se déroule, c'est en tout cas l'espoir de certains chercheurs.

Sans surprise c'est la NASA qui a conçu les deux robots en question.


Volcanobot 2 à gauche, et son prédécesseur Volcanobot 1 à droite. Image: JPL/NASA
Volcanobot 1 a été testé en mai 2013 au Kilauea. Ce volcan est de type "bouclier", issu de l'empilement de coulées de lave très fluides. Or sur Mars ce type de volcan est largement majoritaire, ce qui explique que le Kilauea ait été visé. Les objectifs de Volcanobot 1 étaient d'accéder le plus loin possible dans une fissure inactive mais béante et d'en faire la cartographie 3D via un laser embarqué. Les données étaient transmises à la surface par un câble ce qui limitait forcément la distance que le robot pouvait parcourir.

Après avoir constaté que la fissure est bien plus profonde qu'il n'y paraissait et que la morphologie des parois montrait des particularités, les ingénieurs ont lancé la conception de Volcanobot 2 qui devra poursuivre les investigations dans la même fissure. Il est plus petit et donc plus léger que sont grand frère, mais  surtout il a gagné en autonomie puisqu'il n'est plus relié à la surface et peut stocker les données qu'il récolte dans un disque dur embarqué.


Au travers de ces quelques exemples de robots on voit bien que les objectifs sont relativement diversifiés mais n'ont finalement pas beaucoup changé depuis le début des années 90:
- parvenir à se déplacer sur un terrain difficile
- collecter des données et les transmettre à un QG pour analyse.
- être suffisamment autonome- limiter l'intervention humaine

Pour l'ensemble de ces projets les volcans sont :
- soit l'objectif direct: les robots collectent des données volcanologiques qui serviront directement à mieux comprendre ce qui se passe avant pendant et après les éruptions. Ce n'est pas le cas le plus fréquent.
- soit un défi idéal pour les ingénieurs du fait de leur surface complexe, tantôt plate, tantôt pentue, tantôt lisse, tantôt d'une extrême rugosité.

En tout cas il y a loin entre DANTE: 700 kg, 3x3x2m, et volcanobot 2, long de 25 cm!


Pour finir ce post je tiens à noter que d'autres robots ont été utilisés et/ou testé sur des volcans

MARSOKHOD a été développé en 1993 par une équipe Russo-Américainet dans un but unique d’exploration spatiale, plus spécifiquement Mars. Mais, comme pour les autres projets, le terrain volcanique a été une excellente zone de tests. Il a donc été déployé au Kamchatka et sur le Kilauea. Il a aussi été testé sur des terrains non volcanique (Désert de Mojave).

Le robot Marsokho sur un terrain volcanique (pas identifié, peut-être Kilauea). Image: Live from Mars


Le YETI. Développé au Dartmouth College (Etats-Unis) il a été déployé en 2013 sur l'Erebus. Si je le met à part du reste c'est que l'objectif n'était pas de comprendre le volcan mais de cartographier les tunnels de glace qui sont creusés par les émanations de gaz chauds sur ses flancs.

Déploiement du YETI sur les pentes de l'Erebus par le docteur Rebecca Williams, en 2013. Image: Peter Rejcek

Pour finir je vous propose une cartographie des volcans évoqués dans ce post, afin pouvoir localiser les sites de tests de toutes ces merveilles de technologie.





Sources: NASA-JPL; Université de Catane, Expo 21xx, USAP; K.Nagatani et al, 2013; Live from Mars.

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