C'est avec plaisir que pour le temps de ce post, je joins ma passion des volcans avec un amour de jeunesse, l'astronomie, car le Jet Propulsion Laboratory a publié hier un communiqué dans lequel il est expliqué que des astronomes ont détecté, depuis la Terre, trois éruptions importantes sur la plus emblématique des lunes de Jupiter: Io.
Cette lune jovienne, qui fait partie des 4 "galiléennes", a été découverte en 1610 par Galilée et Simon Marius et est réputée pour être l'astre le plus actif du système solaire d'un point de vue volcanique, avec la Terre et Vénus.
Le mécanisme évoqué pour la source de chaleur responsable de ses éruptions, et de la présence de quelques 400 volcans actifs recensés, est un immense effet de marée. En effet le petit astre est coincé entre sa planète-mère Jupiter, rien de moins que 318 fois plus massive que la Terre, deux satellites imposants, Europa et Ganymède, situés sur des orbites plus éloignés que la sienne, et qui ont aussi un effet de marée sur Io (Ganymède est deux fois plus gros que notre Lune). Le tout malaxe joyeusement le petit satellite qui est échauffé en permanence par les frictions. Pour l'anecdote: du fait de ces effets
de marée, le sol de Io peut se soulever de plus de 100m! C'est dire dans quelle situation le satellite se trouve depuis sa formation.
L'analyse d'images prisent par une caméra infrarouge (NIRC2) installée sur le télescope Keck 2, par le télescope Gemini, et par le spectromètre Spe-X installé sur le télescope infrarouge IRFT a permis à Imke de Pater et ses collaborateurs de voir se former, entre les 15 et 29 août 2013 une succession d'éruptions très intenses. Le 15 août, à 15h30 TU*, ce sont les calderas Heno et Rarog, toutes deux situées dans l'hémisphère sud du satellite, qui entrent en éruption mais pour celle du 29 août il n'y a pas de localisation précise pour l'heure, peut-être du côté de Bulicame Regio.
Localisation des sites éruptifs sur une image satellite de Io, prise par Voyage 2. |
L'analyse des rayonnements infrarouges, et en particulier la quantité d’énergie qui a été libérée lors de ces événements ont permis aux chercheurs d'estimer un certains nombre de choses quand à ces éruptions.
Tout d'abord une chose est claire pour eux: les éruptions en question étaient de grande ampleur. Le rayonnement émis par l'éruption d'Heno est cohérent avec une surface de l'ordre de 300 km² ayant une température de 450°C environ, et une surface de l'ordre de 120 km² à une température de 760°C environ. Ces données impliquent des éruptions vigoureuses et l'équipe, dont le volcanologue Ashley Davies, expliquent qu'elles ont vraisemblablement produit des "rideaux de lave", l'équivalent des fontaines mais qui se produisent tout le long d'une fissure ou d'une série de fissures.
Il est aussi intéressant de voir qu'au même moment, le Loki, une autre caldea caractérisée par la présence d'un lac de lave, montrait aussi des signes d'activité éruptive. C'est pendant le suivi de ces deux éruptions, qui ont rapidement décliné, que les scientifique ont vu se manifester la plus importante des trois éruptions, dite 201308C, dont la localisation précise n'est pas donnée.
Les images infrarouges produites par les télescopes Gemini, IRTF et Keck 2, grâces aux capteurs NIRC et SpeX. Image: NSF/NASA/JPL-Caltech//UC Berkeley/Gemini Observatory/W. M. Keck Observatory |
Peu de choses sont décrites dans l'article du JPL mais il semble que l'éruption 201308C, au vu du rayonnement qu'elle a produit, a libéré des laves dont la température dépasse celles connues actuellement sur Terre et se rapprocherait de laves, les Komatiites, fréquentes au cours des deux premiers milliards d'années d'existence de notre planète, dont les températures devaient avoisiner les 1600°C.
Attention: on parle bien ici de températures similaires, pas de compositions similaires car, me semble-t-il, la structure interne de Io est surtout issue d'un modèle calculé à partir des données récoltées par différents satellites là où, sur Terre, nous avons des échantillons et l'analyse des ondes sismiques qui nous permettent, en plus de données satellites, de savoir de quoi est constitué notre globe.
C'est d'ailleurs l'un des objectif futur de l'équipe: surveiller le plus possible l'activité éruptive de Io pour avoir une idée concrète de sa dynamique externe, en espérant pouvoir en déduire des informations sur sa dynamique interne, en particulier sa composition. Depuis la découverte de son volcanisme par les sondes Voyager en 1979 et 2006, seules 13 éruptions importantes y ont été détectées, auxquelles s'ajoutent les 3 sus-citées (plus le lac de lave du Loki). Or Io est un satellite sur lequel l'activité éruptive est soupçonnée être bien plus intense et fréquente, mais le peu d'astronomes qui s'occupent de ce thème explique la disparité des observations.
Pour finir, autre anectode: l'ensemble du matériel utilisé (téléscopes Gemini, Keck, IRTF, spectromètre etc) sont installés au sommet du plus haut volcan terrestre actif connu, le Mauna Kea, sur Big Island, dans l'archipel d'Hawaï.
* du coup je suppose que les éruptions ont en réalité débuté quelques dizaines de minutes plus tôt, temps qu'il a fallu aux rayonnements, qui vont à la vitesse de la lumière (300 000 km/s environ), pour arriver sur les télescopes et être détectés.
Sources: JPL
article: I. de Pater et al, 2014: "Two new, rare, high-effusion outburst eruptions at Rarog and Heno Paterae on Io", in Icarus.
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