20 août 2014

Volcan Bardarbunga (Bárðarbunga): un point sur la situation (mis à jour 21 août, 19h38)

Le plus important d'abords: la crise sismique se poursuit mais aucune éruption n'a démarré. Malgré tout des conséquences sont déjà enregistrées: le traumatisme laissé par l'éruption de l'Eyjafjöll (qui, il faut le savoir, était modérée) a provoqué une baisse de la valeur de l'action d'Icelandair, compagnie aérienne Islandaise. Comme quoi...
Mais revenons à des informations plus factuelles et centrées sur la situation concrète.

Côté volcan d'abords: l'essentiel de l'essaim de secousses est maintenant restreint à la zone située à l'est de la caldera du Bárðarbunga. Une toute petite zone active est aussi présente juste au nord de celle-ci mais la seconde plus importante zone de secousses de cet essaim, proche du massif du Kistufell, s'est rapidement arrêtée le 18 août
après un séisme de magnitude 4.5, ressenti jusqu'à Akureyri (150 km au nord-est). Plus aucune secousse ne s'y est produit depuis ce jour-là.

Répartition des seismes de la crise du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga), 19 août 2014
L'ensemble des secousses enregistrées le 19 août sont localisées sur la zone située à l'est de la caldera du Bardarbunga. Le code couleur représente ici la profondeur (indiquée en km sur l'échelle à gauche).

Pour le moment la sismicité reste confinée à une profondeur comprise entre 5 et 12 km, avec quelques rares exceptions en dehors de cette zone. Puisque aucune sismicité ne se dirige vers la surface, cela veut dire que le magma reste pour l'instant piégé en profondeur. Mais il ne reste pas statique: les foyers des secousses se sont déplacé vers le nord-est à une vitesse moyenne estimée à environ 1000 m par jour, surtout entre les 16 et 18 août. On assiste ici, sans nul doute, à la propagation d'un filon (ou d'une série de filons) de magma, que les volcanologues appellent "dyke". Sa propagation est bien visible sur cette animation.




Depuis hier toutefois c'est globalement toujours la même zone qui est affectée par la sismicité: le dyke ne semble donc plus tellement se propager pour le moment.
Si vous n'arrivez pas à vous représenter à quoi peut ressembler un dyke, voici ci-dessous un exemple, dégagé par l'érosion, et visible en Auvergne: la dent de la Rancune, dans le massif du Sancy. Il faut s'imaginer que ce mur fut, avant d'être dégagé par un glacier, à quelques centaines de mètres sous terre (il ne faut pas oublier non plus qu'il ne s'agit que d'un fragment du dyke entier: la majorité a été détruite par l'érosion).

Le dyke de la Dent de la Rancune, en Auvergne (Sancy)

Pour en revenir à du volcanisme un peu plus actif, le filon de magma reste donc coincé en profondeur actuellement. Les mesures de la déformation du sol, mesurées grâce au réseau de GPS, ont permis aux volcanologues d'avoir une estimation du volume de magma qui est en train de se mettre en place: le chiffre de 80 à 90 millions de mètre-cubes est évoqué pour expliquer cette déformation. Mais cette valeur sera vraisemblablement affinée par la suite, lorsqu'il y aura plus de données.

Mais si il n'est pas certain qu'une éruption démarre, rien n'exclue non plus l'inverse. En conséquence les mesures d'évacuation et de fermeture de toute la zone située au nord du glacier Vatnajökull sont fermées.
On peut même lire sur l'excellent post que John Stevenson, post-doctorant à l'Université d'Edimburgh, à mis en ligne aujourd'hui, qu'en traçant les portables repérés par les antennes relai installées sur le territoire, les autorités avaient pu envoyer par sms une alerte à tous les téléphones présents (et allumés) dans la zone afin de leur demander d'évacuer.
De l'utilisation pratique et (surtout) à bon escient de la technologie...


Carte de la zone évacuée pendant la crise sismique du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga)
En noir, la zone évacuée. Image: Vegagerdin

Une autre remarque qui est essentielle et permet de revenir à un point que j'ai rappelé au début de ce post: l'éruption de l'Eyjafjöll était modérée et a pourtant causé d'importants problèmes en Europe.
Les conséquences furent donc moins dues à l'intensité de l'éruption elle-même qu'à une conjonction d'autres événements dont les deux plus importants furent:
- un traffic aérien toujours plus intense et qui, à l'époque, n'était pas préparé à un tel scénario. De nombreuses améliorations dans la gestion de crise ont d'ailleurs été mises au point suite à cette aventure. La technologie s'est aussi améliorée puisque le système aéroporté AVOID, prometteur, sera installé sur des avions de la compagnie Easyjet en fin d'année. Reste à le tester "grandeur nature".
- le vent: au moment où l'éruption s'est produite, il soufflait en direction de l'Europe continentale, emportant les cendres dans notre espace aérien. La même éruption avec un vent contraire n'aurait pas causé le moindre souci, mise à part en Islande bien entendu.

Aussi, pour tenter d'anticiper les éventuelles conséquences outre islandaises d'une éruption importante au Bárðarbunga il est bon de consulter régulièrement les cartes des courants atmosphériques.


Pour finir, je vous propose une nouvelle carte sur laquelle tous les séismes de la crise, depuis le 16 août, sont représentés. Le code couleur représente cette fois non plus la profondeur, comme sur les cartes précédentes, mais le temps. Les jours du mois d'août, et les couleurs qui correspondent, sont notés sur l'échelle colorée à gauche de la carte. Ainsi, en suivant les couleurs (donc le temps), vous voyez le dyke se propager vers le nord-est.

Migration de l'essaim sismique du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga)
Mise en évidence de la propagation des foyers de l'essaim sismique. Image: Culture Volcan
Mise à jour 21 août (07h35)

Tout au long de la journée d'hier une équipe de scientifique a fait un survol de l'édifice, effectuant notamment des relevés radar pour tenter de percevoir des déformations. A l'oeil nu en tout cas rien de spécial n'a été relevé: ni fissures, ni zones d'affaissement, et encore moins une trace d'activité éruptive. Pour l'instant, calme plat donc, mise à part les quelques 1000 secousses qui ont fait trembler la zone pour la seule journée d'hier.
Les volcanologues ont par contre réalisé une jolie représentation 3D de la sismicité.




Mise à jour 21 août  19h38

Le dernier rapport mis en ligne par l'IMO indique deux choses interessantes:

- la quasi-stagnation du dyke est confirmée: il ne se propage presque plus vers le nord-est. Sa longueur est d'environ 25 km.

- la petite zone de sismicité que j'ai décrite tout au début de ce post, située juste au nord du sommet du Bardarbunga, pourrait être dû, d'après les volcanologues, à un léger affaissement au niveau de la caldera (pas forcément de la caldera elle-même). Cela reste à confirmer mais le principe évoqué est celui des vases communicants: après être monté sous le sommet, en faisant gonfler l'édifice (voir les relevés GPS et l'infographie faite le 16 août), le départ du magma dans le dyke s'accompagne d'un dégonflement de l'édifice, qui produit cette faible sismicité car les failles rebougent un peu à cette occasion.. Les données GPS ne sont toutefois pas très claires: les relevés de la station GFUM située au sud-est montre en effet qu'elle se déplace un peu vers le nord. La station HAFS quand à elle se déplace assez fortement vers le nord-est, en direction du Bardarbunga: ces deux mouvements sont effectivement cohérents avec un affaissement du sol dans la zone du Bardarbunga.


Données GPS des stations GFUM et HAFS entre juin et août et leur traduction sur l'image de droite (flèches rouges). Images et données: IMO.
Enfin, deux secousses de forte magnitude (3.7 et 4) on eu lieu ce matin dans ce même secteur et les volcanologues pensent que le mécanisme qui les a produit est, justement, ce réajustement au niveau de la caldera, et non la mise en place de magma.
Ces mêmes volcanologues rappellent que de tels épisodes d'intrusion magmatique sont assez fréquents en Islande, même s'ils n'atteignent pas tous cette importance. Peu, voir très peu, débouchent sur une éruption.

Par contre ce qui est extraordinaire dans cette situation, c'est que l'on assiste en direct à l'ouverture de l'Atlantique Nord.
On ne s'en rend pas compte de prime abord, mais les systèmes volcaniques tels que le Bardabunga, le Grimsvötn voisin, l'Askja, l'Ejeyjafjöll et tous les autres volcans Islandais se forment parce que l'Atlantique Nord continue de s'ouvrir, petit à petit, millimètre après millimètre.
Bien sûr tout le monde à un souvenir plus ou moins vague que les plaques tectoniques s'écartent, mais la plupart du temps ça reste totalement abstrait et théorique. Mais pas là.
Face à cet écartèlement constant la croûte terrestre, solide, ne peut pas se déformer de manière continue comme le ferait du chewing-gum par exemple: elle le fait par à coup, par rupture. Elle craque, petit à petit, séismes après séismes. Un secousse par ci, une autre par là.. AH! une un peu plus forte. etc.
Mais lorsque le magma formé dans cet environnement tectonique à la fois, si fréquent et si particulier, parvient à s'infiltrer dans ces zones affaiblies par les microfissures, il finit de les rompre. Et brutalement c'est tout un essaim de secousses qui se met en place au fur et à mesure que le magma s'injecte et écarte la fissure, comme la déchirure se propage sur le papier quand on tire dessus.
Une déchirure de la croûte terrestre que seuls les sismomètres entendent.

Sources: IMO; Vegagerdin; blog de J.Stevenson; Aitor Garcia Rey;Ruv.is

Les précédents sujets concernant cette situation:

-16 août : Un rapide point d'actu sur les volcans Kilauea, Tungurahua, Bardarbunga (Bárðarbunga)

4 commentaires:

  1. Bonsoir, j'aime beaucoup votre analyse, on en apprend beaucoup et ca donne envie de connaître la suite des évènements. Merci!

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  2. C'est avec plaisir: merci à vous :-)

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  3. Après avoir passé 3 semaines en Juin dans ce beau Pays qu'est l'Islande, je suis avec attention l'évolution du phénomène. Je regrette de ne pas être sur place. Vos articles sont très instructifs et surtout compréhensibles de tout le monde. Pouvez vous mettre quelques photos pour pouvoir mieux vivre l'événement. Merci

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  4. Bonsoir et merci de vos compliments. Pour quelqu'un qui a plus d'une décennie de médiation à son actif recevoir ce type de compliment fait vraiment plaisir :-).
    Pour les images: il n'y a simplement pas d'image qui soit actuellement intéressante en terme d'information. Rien n'est repéré sur le glacier, il n'y a en surface rien d'anormal à observer: tout se passe entre 5 et 10 km-12 km de profondeur.Mais c'est vrai que j'aurais pu au moins trouver une photo du glacier (j'en ais vu passer quelques unes).
    Je vais essayer d'y penser à la prochaine mise à jour :-)

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