24 février 2014

Le volcanisme ralentirait le réchauffement climatique

Grosse Intro

Vous savez, forcément puisqu'on en parle à peu près toujours les jours, qu'un débat à l'échelle planétaire a lieu depuis maintenant plusieurs décennies concernant l'effet de serre. Ce dernier consiste en un réchauffement de la surface terrestre (atmosphère, biosphère, hydrosphère) qui résulte d'une rétention de la chaleur solaire par un certain nombre de gaz. Le plus médiatisé est le CO2 bien sûr mais il faut avoir conscience que l'eau (H2O) et le méthane (CH4) sont tous deux présents à la surface de la Terre et jouent aussi un rôle non négligeable dans l'effet de serre.
Si le CO2 est pointé plus particulièrement du doigt c'est avant tout parce que les activités humaines ajoutent du CO2 dans l'atmosphère et déstabilisent le cycle naturel du carbone*.

Avant de poursuivre je tiens à préciser que j'ai une conviction sur le sujet mais que je ne la partagerais pas ici car ce n'est ni le sujet, ni le lieu. Aussi je m'évertuerais dans ce post à garder un axe neutre (faire de l'info, quoi).

Tout le débat est maintenant focalisé sur un point principal : ce cycle du carbone est-il trop déstabilisé par les activités humaines?
Posé autrement: l'humain est-il vraiment responsable de ce réchauffement?

Les travaux du GIEC, vu le nombre et la diversité des chercheurs impliqués, font référence en la matière et, à mon sens, il est difficile de contester le résultat principal de leurs études qui est que: oui, les activités humaines ont clairement un impact sur le cycle du carbone, donc sur la composition de l’atmosphère, donc sur sa capacité à retenir le rayonnement solaire, c'est-à-dire l'effet de serre*.

Le cycle du carbone. Image: METSTORE

Pour faire simple, là où les deux grands courants de pensée actuels, les climato-convaincus et les climato-sceptiques, ont des opinions divergentes c'est:

- sur l'impact réèl des activités humaines. Pour les climato-sceptiques, qui ne contestent pas le fait qu'il y a plus de CO2 dans l'atmosphère, le réchauffement constaté est surtout le résultat d'un processus naturel et les activités humaines n'ont qu'un rôle mineur. Pour les climato-convaincus c'est
au contraire un impact majeur que le développement de l'espère humaine a sur la composition et donc le comportement de l'atmosphère.

- sur la stratégie à avoir pour la suite. Pour les climato-sceptiques, l'impact humain étant mineur sans être nul, il est important de suivre l'évolution de la situation et, au cas où elle dégénère vraiment, ils estiment pouvoir compter sur le développement technologique pour contrer les effet nocifs. Pour les climato-convaincus, il faut très rapidement réduire les émissions de CO2, favoriser le reboisement afin de ralentir la hausse des température moyennes et donc les conséquences prévisibles et imprévisibles.

Récemment les climato-sceptiques ont remporté une bataille de communication importante avec l'apparition de résultats issus de mesures: depuis la fin des années 90, la courbe de hausse des températures stagne.
Ouch! Comment expliquer alors que les activités humaines sont responsables d'un effet de serre déréglé alors que les mesures de température semblent indiquent le contraire? Coup de froid pour les climato-convaincus.
Bien comprendre cette évolution est un enjeu essentiel pour nos sociétés : si elles sont convaincues que leur développement n'ont qu'un impact mineur, alors tout peut continuer sur la lancée des 150 dernières années. Si au contraire ce contresens n'est qu'apparent, alors il faudra bien faire les corrections qui s'imposent pour limiter les dégâts que prévoient les climato-convaincus...et empêcher ceux qui sont imprévisibles d'éventuellement se produire (principe de précaution). Encore faut-il l'expliquer scientifiquement d'abord, puis médiatiquement.


Comparaison de 90 modèles d'évolution de la température: toutes les tendances sont à la hausse. Mais les observations (courbes bleue et verte) montrent une stagnation depuis début 2000. Image: Dr Roy Spencer

Le rôle du volcanisme dans tout ça


Le volcanisme vient, par le biais d'une lettre parue dans Nature Géoscience, de donner une partie de l'explication concernant ce ralentissement apparent et donc donner un peu d'air (frais de préférence) aux climato-convaincus.

Pour rappel une éruption volcanique est l'émission, violente ou non, d'un mélange de roche fondue et de gaz. Lorsque les gaz sont sous très haute pression, ils s'extraient avec violence et réduisent la lave en poudre : la cendre volcanique. C'est ce qu'on appelle l'activité explosive, qui se mesure avec une échelle appelée IEV (Indice d'explosivité volcanique qui va de 1 à 8, VEI en Anglais). Une éruption directement et durablement impactante pour l’atmosphère commence à un VEI 6.

Les gaz principaux qui s'extraient des magmas sont toujours les mêmes et seules leurs proportions varient d'une éruption à l'autre (y compris sur un même volcan). Cela est connu de longue date, mesuré notamment par Charles Saint Claire Deville au milieu du 19ème siècle.
Ces gaz sont l'eau H2O, le CO2, le HS2 et le SO2 plus tout un tas d'autres en moindres proportions. On sait que le CO2 et l'eau sont deux gaz actifs dans l'effet de serre, mais il est aussi connu que certains composés soufrés sont, à contrario, "réfrigérants" pour l'atmosphère, tout comme les cendres.

Pour les cendres, c'est facile à comprendre : lorsqu'il y en a en grande quantité, après une éruption extrêmement puissante (VEI 6 à 8), elles rendent l'atmosphère un peu plus opaque. De fait il y a moins de rayonnement qui arrive au sol: il y fait donc un peu moins chaud. L'effet des cendres est cependant de courte durée car il s'agit de particules de roches qui:
- soit sont trop lourdes et finissent par retomber au sol
- soit servent d'amorce à la création de météores telles que gouttes de pluie, grêle, neige, nuages etc.. qui finissent par les plaquer au sol aussi.
En quelque sorte l'atmosphère se nettoie assez rapidement de cette "poussière de lave".

Les gaz à base de soufre, par contre, restent présents longtemps dans l'atmosphère où ils réagissent avec d'autres molécules et participent donc à sa très complexe et très dynamique chimie. Ils ont la particularité de la rendre plus réfléchissante, augmentent en quelque sorte son "effet miroir": plus il y en a et plus le rayonnement solaire est renvoyé vers l'espace avant d'atteindre le sol, donc avant d'être piégé par l'effet de serre**.
Donc s'il se trouve qu'en un temps assez court (une ou deux décennies) plusieurs éruptions assez intenses se produisent, chacune va ajouter du soufre dans l'atmosphère et ainsi participer à son refroidissement. Pour que ce soit clair : chacune aura un impact unique faible, mais comme le soufre reste dans l'atmosphère relativement longtemps son accumulation, éruption après éruption, peut finir par avoir un impact.
Vous voyez venir le truc?

Impacte du volcanisme sur l'atsmophère. L'albedo d'une atmosphère est "l'effet miroir" décrit plus haut. Image: Wikipedia

Cette action du soufre est connue de longue date mais il manquait encore à la quantifier.
Les dizaines de satellites envoyés ces 20 dernières années ont justement permis une récolte abondante de données sur la composition, la température, la dynamique de notre atmosphère.
Concernant le volcanisme, ces données spatiales permettent déjà de tracer les cendres, et certains gaz dont le soufre avec une bonne précision, et même en déduire la quantité injectée dans l'atmosphère. A titre d'exemple l'éruption du Kelut(d) du 13 février dernier aurait, en première estimation, injecté  approximativement 430 000 tonnes de SO2, alors qu'elle n'a duré que quelques heures!

L'équipe de Benjamin D. Santer a donc tenté de simuler la réponse du réchauffement en introduisant dans les calculs l'impact d'une vingtaine d'éruptions volcaniques qui se sont produites depuis le début des années 2000. Or le résultat est assez clair: une fois ces dernières prises en compte l'écart entre mesures et simulation se réduit de près de 15%.

"Pas beaucoup" vous allez dire. Dans l'absolu peut-être, mais il faut prendre en compte qu'il n'y a eu aucune éruption de VEI supérieure à 4 (Nabro, Chaitén, Eyjafjöll, Kelut(d)) depuis la fin des années 90 et que certains édifices, sans avoir d'éruption violente, sont des émetteurs quasi-permanents de SO2 (Niyragongo, Erta Ale, Etna, Kilauea). 
De fait 15% de réduction avec seulement des éruptions faibles à modérément violentes rend ce pourcentage au contraire très significatif. Par ailleurs les mesures sont à affiner, de l'avis même de l'équipe. Il serait en particulier intéressant de voir l'impact que peuvent avoir les émissions très faibles mais aussi très régulières de nombreux édifices (Kilauea, Niyragongo, Erta Ale, Bagana etc).

Il n'a donc jamais été question de dire que le volcanisme explique à lui seul la stagnation de la hausse des température depuis environ 13 ans. Pour expliquer ce constat d'autres phénomènes sont en train d'être étudiés, l'un des plus prometteurs étant une accélération des vents au-dessus du Pacifique. Pour faire court: des vents plus forts provoquent une remontée plus importante des eaux profondes froides et, comme dans un échangeur thermique, une partie des calories en surplus dans l'atmosphère, dûs à l'effet de serre, servent à réchauffer ces eaux. En accumulant cette chaleur de manière plus efficace, le Pacifique se réchauffe à la place de l'atmosphère ce qui provoque uns stagnation temporaire des températures de cette dernière. Une fois que les eaux seront trop chaudes (trop de calories stockées dans l'océan) cet effet "échangeur thermique" disparaitra et la température atmosphérique recommencera à augmenter. 

Mais l'étude qui vient de paraître indique clairement que si l'impacte du volcanisme n'est pas majeur sur la stagnation des température par rapport aux modèles, il est très loin d'être anodin. Il doit donc être pris en compte dans les modélisations du GIEC.


Sources: 
B.D.Santer et al, 2013: "Volcanic contribution to decadal changes in tropospheric temperature" in Nature Geoscience, 23 février 2014

IRD (Institut de recherche pour le développement): "Eruption du volcan Kelud en Indonésie, février 2014 : premières données", 20 Février 2014

 Phys.org: "Pacific trade winds stall global surface warming—for now", 09 février 2014.


*On s'est tous ou presque demandé au collège à quoi pouvait servir de connaître le cycle du Carbone. En voilà un exemple: comprendre les enjeux de l'effet de serre et de son évolution.
L'impact des activités humaines se joue sur trois points, assez simples à comprendre, qui déstabilisent ensemble le cycle du carbone:
1- on injecte dans l'atmosphère le CO2 normalement piégé sous forme de charbon, de gaz, de pétrole. C'est la partie combustion (moteurs, usines etc).

2- en déboisant on empêche la végétation d'exploiter ce surplus de CO2 atmosphérique. Elle s'en sert en effet pour fabriquer sa propre matière organique (bois, feuilles, fleurs, fruits, racines etc.): bref: pour grandir et faire leurs fruits, les plantes pompent le CO2. C'est la fameuse destruction du "poumon de la planète".

3- le bois coupé et inexploité est dégradé par les microorganisme qui le transforment en plein de choses... dont du CO2 injecté dans l'atmosphère. Ca fait aussi partie du volet "destruction du poumon de la planète".


** je me souviens avoir lu il y a déjà de nombreuses années une série d'idées issues d'ingénieurs qui imaginaient des stratégies basées sur la technologie pour rendre l'atmosphère plus froide. L'une de ces idées consistait justement à enrichir volontairement l’atmosphère en soufre, pour exploiter sa capacité réfléchissante. Là, pour le coup, je donne mon opinion: c'est évidemment une idée stupide. Non seulement ces ingénieurs ne prenaient pas en compte le fait qu'on ne peut pas prévoir certaines des conséquences d'un tel acte. Mais surtout rien, dans la présentation, n'indiquait qu'il aient réfléchit (contrairement au soufre) à l'impact directe sur le vivant en général. Les composés soufrés sont, généralement, d'une haute toxicité (impact direct), mais par réaction chimique ils augmentent l'acidité de l'atmosphère et des océans ce qui a un impact à moyen-long terme sur tous les animaux à coquille calcaire, les coraux, mais aussi l'érosion des falaises calcaires (côtes Anglaises et Française par exemple) etc,etc,etc,etc,etc.... Bref: attention aux raccourcis, la question du réchauffement de l'atmosphère ne trouvera pas de réponse dans un refroidissement brutal et artificiel.

4 commentaires:

  1. Article extrêmement intéressant, merci ! On a besoin de plus d'analyses claires comme celles-ci...

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    1. Bonjour Romain. Merci :-) . Le sujet cdu réchauffement climatique est sensible car il met en confrontation:

      * le temps de la science, par nature très long car il faut récolter puis analyser des quantités de données astronomiques pour pouvoir 1- comprendre l'ensemble des paramètres qui entrent en ligne de compte dans la dynamique atmosphérique et 2-comprendre comment ces paramètres s'influencent les uns les autres et tenter d'en déduire les impacts sur notre quotidien.

      * le temps court de notre quotidien à tous, justement.

      Pour moi il faudra encore attendre pas mal d'années avant d'avoir une idée claire de ce qu'on est en train de traverser. Mais il est tout aussi clair que le réchauffement, anthropique ou pas, est bien là et qu'il va avoir, comme tout changement, des conséquences.
      J'en tire une conclusion au titre de citoyen: que l'homme soit responsable ou pas, il est la seule espèce à constater ce changement et donc à pouvoir agir pour le limiter, en optimisant sa gestion de l'énergie en particulier, toujours basée essentiellement sur le carbone.

      Donc s'il est un jour définitivement prouvé puis accepté par les sociétés qu'elles ont joué un rôle majeur dans ce changement, chaque citoyen qui aura fait l'effort de le contrer pourra se regarder dans une glace (que demander de plus...).
      Si il s'avère au contraire que c'est une tendance naturelle et que l'impact de l'homme est mineur, chaque citoyen qui aura agit pour limiter cette évolution et ainsi permis de ralentir la progression de conséquences néfastes (hausse des niveaux marins, disparition d'espèces, déplacements de populations et potentielles crises humanitaires etc) pourra se regarder dans une glace.

      En conséquence: impact de l'homme ou non, tout le bénéfice pour chaque citoyen, donc pour toute l'humanité, ne vient que dans l'action de lutter contre le réchauffement, peu importe qu'il soit anthropique ou non. Ainsi, même si j'estime ne pas avoir les compétences pour comprendre toute la complexité du problème du réchauffement climatique, cela ne m'empêche pas d'agir à mon niveau.

      :-)

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  2. Certes, les composés soufrés "refroidissent" l'atmosphère. mais qu'en est-il des énormes quantités de vapeur d'eau et de CO2 rejetés par les volcans qui devraient, elles, la réchauffer??

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    1. Bonjour Mr Reiter. Tout d'abord je ne suis pas un spécialiste de l'atmosphère et l'objectif de ce post était d'expliquer les conclusions de l'étude pas de faire un point sur le réchauffement climatique. Cependant vous soulevez un point interessant et je prend donc le temps de vous répondre.

      Votre remarque est pertinente mais (je crois) pas peut-être pas tout à fait juste, je m'explique.
      En valeur absolue la quantité de CO2 et H2O rejetés par les volcans est certes importante, vous avez raison. Mais relativement aux autres sources (se reporter aux cycles de l'eau et du carbone) qui sont déjà prisent en compte dans les modèles, elles restent secondaires et peu impactantes pour ces derniers.
      Pour mémoire la quantité de CO2 volcanique libéré directement dans l'atmosphère est de 100 million de tonnes/an, contre 105 milliards de tonnes/an échangés par la respiration et la photosynthèse.
      Quand à l'eau, le volcanisme de dorsales (de loin le plus abondant) libère un volume estimé entre 60 et 300 millions de tonnes d'eau alors que les précipitations seules apportent chaque année au sol 111 000 milliards de tonnes d'eau (1.11x10exp17 kg/an), compensées par 71 000 milliards de tonnes par évaporation (0.71x10exp17kg/an). La quantité d'eau libérée par le volcanisme aérien est encore beaucoup plus faible.
      Voyez que les valeurs ne sont pas du tout du même ordre de grandeur.

      Finalement, que dit cette étude?
      Contrairement au CO2 ou à H2O il n'existe pas beaucoup d'autres sources de composés soufrés qui peuvent alimenter l'atmosphère aussi rapidement et, contrairement aux cycles de l'eau et du CO2, l'ajout de soufre dans l'atmosphère n'est pas compensé aussi rapidement que l'ajout de CO2 ou de H2O (temps de résidence plus élevé ("rémanence")) donc son impact est logiquement plus long à s'atténuer.
      Les volumes de ces composés soufrés sont certes bien moins importants que les volumes de CO2 et H2O mis en jeu dans les cycles naturels. Cependant il semble que, bien que leur volume soit moindre, leur impact ne doivent pas être négligé dans les modèles du GIEC: c'est finalement ça le résultat le plus important de cette étude.

      La contradiction que vous mettez en avant, bien que pertinente, n'est donc qu'apparente car:
      - le CO2 et H2O sont déjà intégrés aux modèles et les quantités ajoutées par le volcanisme sont visiblement négligeables.
      - leur cycle naturel permet de compenser rapidement un ajout brusque par une éruption, contrairement au soufre qui peut rester plus longtemps dans l’atmosphère.

      Sur une Terre aussi dynamique la matière et l'énergie s'échangent entre les différentes parties sous forme de cycles complexes, composées de beaucoup d'étapes. Certains cycles vont lentement (cycles interne de l'eau par exemple), d'autres sont hyper rapides (respiration végétale). Comprendre l'atmosphère c'est connaitre tous les cycles (quelle quantité de matière et d'énergie échangée ou stockée etc) et la manières dont ils sont interconnectés (qui alimente quoi et comment).
      Et c'est justement parce que l'on ne connait pas encore correctement ces cycles ni leurs interaction que les modèles ne sont pas parfaits et doivent être améliorés. Cette étude est donc un petit pas de plus vers des modèles plus fiables .

      J'espère que ma réponse vous convient (et qu'elle est assez explicite) :-)

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