Etna: compte-rendu du 20ème paroxysme de 2013

J'ai découpé, de façon un peu arbitraire, ce 20ème "paroxysme" en 2 étapes marquées par des évolutions particulières de l'activité. Toutes les heures employées dans le texte sont des heures civiles locales, qui ont la particularité en hiver d'être les mêmes que les heures Françaises. Cela explique en particulier qu'il y a un décalage systématique entre les heures marquées sur les images de l'INGV et celles du texte car l'INGV travail avec le Temps Universel (TU) (l'heure Française est TU+ 1 en hiver et TU+2 en été) et non avec l'heure civile.

Ce qu 'on peut dire de ce 20ème paroxysme c'est qu'il n'a ressemblé à aucun autre. Sa durée totale, depuis la première explosion jusqu'à la fin de l'émission de cendres, a été d'environ 23 heures et sa progression n'a pas été exponentielle, mais bien plus progressive. Enfin, chose importante: il n'y a pas eu de phase de fontaine de lave et, bien qu'il y a ait eu des cendres, elles ont formé un panache bien moins important que la plupart des précédents. Quand à la partie effusive de l'activité, elle est restée très modeste.

Etape 1: la mise en chauffe

La première manifestation éruptive de ce nouveau paroxysme s'est produite dans la matinée du 14 décembre par une explosion relativement intense et brève sur le NCSE (Nouveau Cône Sud-Est) à 09h23. Le trémor, de son côté, avait déjà commencé à montrer une tendance à la hausse, assez régulière, depuis le 12 décembre au soir. Après une courte pause de quelques heures, l'activité (dynamisme strombolien caractéristique), est de nouveau apparue sur le NCSE puis s'est intensifiée jusqu'à la tombée de la nuit (voir post du 14 décembre à ce sujet).

 

Au cours de l'après midi l'activité, très difficile à observer sur les webcams normales, est par contre bien visible sur les webcams thermiques de l'INGV. Celles-ci révèlent un détail interessant: l'éruption a débuté sur le versant est du NCSE puis a migré plus à l'ouest, ouvrant successivement 3 évents différents que j'ai, pour la rédaction de ce compte-rendu, arbitrairement nommés "Est", "Central" et "Ouest". Leur parfaitement alignement révèle la présence d'une fracture éruptive orientée est-ouest qui coupe littéralement le NCSE en deux. Cette fracture n'est pas nouvelle: elle organise la construction de ce cône depuis sa naissance.

Localisation des trois évents éruptifs alignés grâce à la webcams thermique de l'INGV installée sur la Montagnola. Images: INGV

Pour cette éruption, ces trois évents s'ouvrent successivement à 09h27, 14h15 et un peu avant 15h00. Les deux premiers se mettent en route assez brusquement par des explosions accompagnées de panache de cendres: le magma qui monte fait simplement sauter le "bouchon" de roches qui obstrue le fond du NCSE. C'est ce que les volcanologues francophones nomment un "débourrage". Le troisième event, plus discret, apparait plus lentement, progressivement, sans à-coup.

Des trois évents qui se forment pendant cette première étape, c'est l'évent Central qui est le plus actif avec un très vigoureux brassage de lave liquide, tantôt projetée en gerbes verticales de plusieurs dizaines de mètres de haut, tantôt dispersée dans toutes les directions, dessinant alors les bulles qui éclatent dans ce bain de roches fondues.

Le brassage vigoureux de la lave liquide dans l'évent central. Images : Radiostudio7

L'évent Ouest, de son côté, produit de temps en temps quelques projections, beaucoup plus discrètes mais bien présentes.

Localisation des deux évents actifs de l'étape 1. Image: Radiostudio7

L'évent est semble être resté silencieux une fois les autres à plein régime.

Cette activité explosive, sorte d'immense bain de roches liquide bouillonnant sous l'arrivée massive de bulles de gaz magmatiques, a culminé en milieu de nuit et jusqu'au pic de trémor qui s'est produit vers 04h du matin. Il a ensuite décru pour ne s'arrêter qu'aux premières lueurs de jour.

Etape 2: Mise en place des coulées

Cette seconde étape de l'éruption débute à 22h50. Tandis que le brassage de lave mis en place durant l'étape 1 se poursuit et s'accentue très progressivement, une coulée fait timidement son apparition dans l'importante échancrure qui éventre le versant sud-est du NCSE. Faiblement alimentée, elle s'étale tranquillement à sa base et atteint, péniblement, une distance d'environ 5 à 600 m en 4h30, soit une vitesse moyenne de 3 cm par seconde (0.13km/h).

Formation de la première coulée de lave. Images : Etnatrekking

La seconde coulée, qui résulte de  deux débordements de lave successifs, entame sa formation à 06h10 exactement au même endroit que la première. Elle suis d'ailleurs la même trajectoire (vers le sud-est) mais la première coulée la gêne et l'oblige a s'étaler un peu plus tôt. Le brassage décrit dans l'étape 1 s'arrête à peu près au moment où cette seconde coulée est émise.

Mise en place de la seconde coulée aux premières lueurs du jour. Image : Etnatrekking

Je ferais un peu plus tard une mise à jour de cette éruption.


MàJ 1 (10h25)

Une premier time-lapse réalisé à partir des images prise par la webcam installée sur la Montagnola (versant sud) par Radiostudio.

MàJ 2 (11h30)

Et oui, avec l'Etna il ne faut vraiment jamais être sûr de rien: l'activité connait un regain actuellement avec une nouvelle phase de hausse du trémor et de nouvelles émissions de cendres, qui ont repris après seulement une courte pause d'environ 3/4 d'heure. Attendons de voir toutefois si il s'agit d'une nouvelle phase (une "étape 3") de l'éruption ou si il s'agit juste d'un passage car ce second pic de trémor pourrait tout aussi bien redescendre. La seconde coulée de lave, de son côté, semble toujours alimentée.

Nouvelles émissions de cendres ce matin. Image : Radiostudio7

En attendant la suite, voici quelques images prises par EtnaWalk et le volcanologue Boris Behncke qui précise via twitter qu'il ne regrette vraiment pas le choix de sa maison....je pense que nous serons un certain nombre à comprendre exactement ce qu'il veut dire!

La première coulée de lave prise en photo par B.Behncke depuis sa maison. Image : Boris Behncke

Un des panaches produits lors de la phase de débourrage, le 14 décembre. Image : EtnaWalk

Aahhhh.. l'activité strombolienne dans le froid hivernal..quelle ambiance. Image : EtnaWalk

MàJ 3 (12h23)

Un invité surprise a fait son apparition pendant cette éruption: le Cratère Nord-Est (CNE) émet de faibles quantités de cendres. Impossible par contre d'identifier avec précision le moment où elles ont commencé mais il semble que ce soit en cours de nuit. 

Bouffées de cendres du Cratère Nord-Est. Image : Etnatrekking

 

Le vent a en effet soufflé depuis l'ouest depuis au moins hier sans vraiment changer de direction. Or la neige qui se trouvait au pied du CNE hier soir était "propre" tandis qu'elle était sale sous le vent ce matin. La tâche étant visible dès les premières lueurs du jour, c'est que les cendres ont commencé à être produite par ce cratère dès la nuit.

Comparaison d'images entre le 14 au soir et le 15 au matin: les cendres émise par le CNE ont sali la neige pendant la nuit. Images : Etnatrekking

MàJ 4 (13h30)

Un second time-lapse monté à partir des images prises depuis la Schiena dell'Asino (webcam Etnatrekking) pour montrer la progression des coulées.

MàJ 5 (17h40)

Bon! Voilà donc que rien ne se déroule comme pour les paroxysmes précédents. Il semble que l'énergie accumulée en profondeur soit partie pour se libérer sur le long terme plutôt qu'au cours d'une activité éruptive intense mais brève. Reste maintenant à voir comment cela va se dérouler car si rien n'est jamais vraiment prévisible, cette fois il ne faut même pas se baser sur les dizaines de paroxysmes précédents pour tenter d'imaginer la suite des événements.

Etape 3: l'activité reprend de plus belle

Le trémor remonte en flèche depuis le milieu d'après midi. La lave, de son côté, n'a pas cessé de couler de toute la journée par l'échancrure ouvert sur le flanc sud-est du NCSE. L'activité strombolienne, quand à elle, a reprit une belle vigueur.

Le trémor remonte en fin de journée. Image: INGV.

Une première différence notable par rapport à l'activité hier soir: l'"évent est" est bien plus actif. Celui-ci est le siège d'une activité explosive qui se déroule en plein dans la coulée de lave en progression. Pour l'instant les évents "Central" et "est" sont les plus actifs mais quelques projections sont parfois visibles sur l'évent ouest.

Les deux principaux évents actif au soir du 15 décembre 2013. Image: Radiostudio7

Malheureusement les conditions météo ne sont pas aussi favorables ce soir qu'elles l'ont été hier et il n'est pas certains que nous puissions suivre le spectacle. Mais comme dit le dicton: "qui ne dort pas verra".

Ce qui est impressionnant avec cette activité, et qui est rapporté par Boris Behncke, volcanologue à l'INGV, c'est que les ondes de chocs produites par les explosions font vibrer les carreaux des fenêtres et déclenchent les alarmes de voitures dans un rayon de 30 km.

MàJ 6 (20h20)

Une très mauvaise conjonction d'événement ne permettent pas de suivre l'activité qui se déroule actuellement au sommet de l'Etna. Car en plus de la météo qui a posté ses légions de nuages sur l'édifice, les webcams de Radiostudio7 installées sur le Frumento Supino et la Montagnola, stratégiques, ne fonctionnent plus depuis le début de nuit.

Le trémor fait le yoyo mais reste intense.

Evolution du trémor le soir du 15 décembre 2013. Image: INGV

Boris Behncke indique que des détonations "en coup de canon" (ondes de chocs) sont entendues toutes les 2 à 5 secondes.

De son côté le VAAC de Toulouse a fait des prévisions pour la dispersion des cendres produites par l'éruption. Elles devraient être essentiellement emportées vers l'est en première partie de nuit puis vers le sud demain si l'activité a tenu le coup jusque là.

Prévision de la dispersion des cendres par le VAAC de Toulouse. Image : VAAC de Toulouse/Météofrance

Le bulletin du VAAC indique par ailleurs que le panache semble peu chargé en cendres ce qu'à tendance à confirmer l'AIRS (Atmospheric Infrared Sounder), instrument embarqué sur le satellite AQUA, qui relève une anomalie en SO2 qui s'étire sur environ 500 km à l'est de l'édifice, mais ne détecte pas de cendres. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas mais simplement que leur concentration est en dessous du seuil de détéction de l'instrument.

Anomalie en SO2 détectée par l'AIRS. Image: SACS

MàJ 7 (22h33)

Quelques rares trouées dans les nuages permettent de constater qu'un champs de coulées assez vaste s'est mis en place à partir de l'échancrure ouverte dans le flanc sud-est du NCSE. Les laves qui s’épanchent se ramifient en 4 ou 5 bras qui descendent les uns à côté des autres le long de la paroi de la Valle del Bove. Le plus long visible sur l'image ci-dessous mesure environ 1500m. Impossible par contre de savoir exactement quel dynamise éruptif est en cours sur le NCSE: fontaine ou non, activité strombolienne, brassage similaire à celui d'hier soir?

Épanchement de lave en direction de la Valle del Bove (20h47). Image : Etnatrekking

De son côté le trémor poursuit sa hausse et, si celle-ci ce maintient, il pourrait même arriver au niveau qu'il a connu la nuit dernière.

MàJ 8 (16 décembre 09h42)

Durant toute la nuit et encore ce matin au levé du jour, l'activité éruptive de l'Etna n'a pas vraiment baissé d'intensité, même si le trémor a connu une baisse importante en cours de nuit, qu'il compense actuellement par une nouvelle hausse progressive. L'activité strombolienne est restée intense et a alimenté le vaste champs de coulées décrit ci-dessus, dont les fronts les plus éloignés ont atteint le fond de la Valle del Bove, ou peu s'en faut.

La formation de ce champs de coulées ne s'est pas faite en une fois: les premières d'entre elles (celles de l'image de la mise à jour n°7), qui avaient déjà été réalimentées un première fois, commençaient à s'éteindre suite à une "coupure d'alimentation" au niveau du NCSE lorsqu'un autre débordement de lave à 00h50 puis un nouveau un peu avant 3h du matin, tous deux volumineux, ont à chaque fois redonné un "coup de fouet" aux coulées. Ce champs de lave s'est donc édifié par à coup bien qu'à cause des nuages il soit impossible de dire à partir de quand il s'est formé et combien de débordements l'ont réellement alimenté depuis hier.

Les images captures par la webcams installée sur la Schiena dell'Asino par Etnatrekking montent toute l'esthétique de la mise en place de ces coulées qui se ramifient comme des capillaires sanguins et permet de voir leur trajectoire.

Au sommet l'activité explosive est restée vigoureuse toute la nuit et semble avoir , au moins en partie, colmaté l’échancrure par laquelle s’échappaient les coulées (c'est à confirmer). En début de matinée, cette activité explosive, qui produit peu de cendres, s'accompagne de la formation de magnifiques ronds de fumée en série, surtout visibles sur la webcam installée sur le Pizzi di Neri.

Les ronds de fumée dans l'atmosphère cristalline des sommets Etnéens.  Image : Etnatrekking

Ces émissions de cendres, bien qu'elles aient été relativement peu abondantes par rapport aux événements précédents, ont tout de même obligé la société qui gère l'aéroport de Catane a décider sa fermeture hier soir à 18h24 (21 vols annulés au départ, 26 à l'arrivée). Celui de Raguse, pourtant situé à une centaine de kilomètres au sud de l'édifice, a aussi été partiellement fermé par mesure de précaution (il faut se remémorer le prévisionnel du VAAC de Toulouse de la mise à jour n°6 pour comprendre la décision). Une réunion a eu lieu ce matin à 05h30 pour faire un point sur la situation et décider si cette fermeture doit ou non être maintenue.

MàJ n°9 (14h20)

Un nouvel évent s'est ouvert en début d'après-midi, à 13h14, sur le versant nord-et du NCSE. A cause des nuages il n'est actuellement visible que depuis la webcam du Pizzi di Neri.

Durant les première minutes après son ouverture, des cendres ont été émises en faible quantité et un panache blanc ("vapeur"*) a pu être observé, ce qui pourrait être lié à la présence d'une coulée de lave. C'et à confirmer car, à cause du contre-jour, la lecture de l'image n'est pas facile.

Le nouvel évent peu après son ouverture. Image: Etnatrekking

Le trémor ne montre aucun signe de faible mais il semble qu'il ait entamé une phase de stabilité: il fait moins le yoyo.

MàJ n°10

La courbe du trémor inverse sa tendance et entame une baisse progressive et l'activité en surface perd en puissance. J4en profite pour vous faire passer la vidéo faite par Boris Behncke la nuit dernière, mettez le volume à fond pour profiter des basses fréquences.



MàJ n°11 (20h07)

L'activité continue de faiblir même si des explosions stromboliennes sont encore présentes sur le NCSE et que le trémor reste à des valeurs importantes, quoique sur une tendance décroissante. L'évent ouvert en début d'après-midi (mise à jour n°9) alimente bel et bien une coulée qui descend très lentement vers la Valle del Bove en suivant une direction grosso modo est-nord-est.

La petite coulée de lave alimentée par le nouvel évent secondaire. Image: etnaweb

MàJ n°12 (17 décembre 08h18)

Le trémor a maintenu sa perte d'intensité tout au long de la nuit et est ce matin revenu à un niveau proche de son niveau de base. L'activité éruptive n'est toutefois pas terminée puisque si les explosions ont cessé, l'effusion sur le versant nord-est du NCSE se poursuit ce matin.

Evolution du trémor lors du 20ème paroxysme de l'Etna. Image : INGV

La coulée de lave ce matin, depuis le Pizzi di Neri (à gauche) et Nunziata (à droite). Images : Etnatrekking/etnaweb

Sources : Etnatrekking; Radiostudio7; INGV; Boris Behncke (@etnaboris); EtnaWalk; SACS; VAAC de Toulouse;etnaweb