17 juin 2013

Volcan Ibu : précisons la situation

Je profite d'une actualité assez calme pour présenter un peu plus le volcan Ibu (Indonésie, Molluques), dont le niveau d'alerte est passé à Siaga (3/4) il y a quelques jours.
Le climat local, équatorial, et son accessibilité limitée (loin de la capital indonésienne, qui implique un coût non négligeable pour se rendre sur place) ne facilitent pas l'étude de ce volcan. Ainsi je n'ai trouvé aucun article, ou référence à article, le concernant. Même la base de données du Global Volcanism Program (GVP, référence mondiale), ne fait appel qu'à un nombre très limité d'articles ou ouvrages déjà anciens de plusieurs décennies. Je n'ai, enfin, trouvé aucune étude récente sur l'histoire géologique de l'édifice lui-même (Quel âge a-t-il? Quels sont les grandes étapes de sa formation? etc), ni de sa composition.
Carte de localisation du volcan Ibu. Image : ACTIV

Cependant le web recèle quelques bribes d'informations, ça et là, et je tente ici une petite compilation qui nous permettra peut-être de se faire une idée plus concrète de ce qui se passe au Ibu actuellement.


1- Faire connaissance avec ce volcan

Quoi de mieux pour l'aborder que de regarder sa forme, sa morphologie? La lecture de paysage peut en effet donner déjà quelques indications ou pistes.

Les éléments-clé de la forme du volcan Ibu sont, au moins, au nombre de 3.
Le premier se trouve au sommet. Ce dernier est en effet ouvert par un système de deux cratères emboîtés.
Le cratère interne, forcément plus jeune que le cratère externe, mesure 1000 m de large environ. Avant la formation du dôme de lave actuel, il était profond de 400 m. La description du Global Volcanism Program indique qu'il était occupé par plusieurs petits lacs, ce qui suppose un fond plat. Ce cratère est légèrement excentré vers l'ouest par rapport au cratère externe ce qui dégage, sur son bord est, une plate-forme assez large.
Le cratère externe, quand à lui, mesure environ 1200 m de "diamètre". Je préfère mettre le terme entre guillemets car sa forme est étrangement anguleuse. Sa lèvre nord est ébréchée et s'ouvre sur une profonde ravine qui constitue...
... le second élément-clé de la forme de ce volcan. Sa présence est peut-être le signe d'un ancien drainage sur le versant nord ce qui impliquerait que le cratère externe ait été, à un moment, occupé par un lac.

Topographie du cratère sommital du volcan Ibu
Carte topographique du sommet du volcan Ibu. Image : Culture Volcan



Le troisième élément-clé est la présence, à la base des versants est et ouest de deux importants cônes parasites, non datés. Leur mise en place à cet endroit n'est certainement pas due au hasard: le sommet des 2 cônes est aligné avec le sommet du stratovolcan Ibu, selon un axe est-ouest, ce qui laisse penser que cette zone est fragilisée dans cette direction (faille?).
Enfin la morphologie du paysage qui entoure le Ibu suggère qu'il s'est installé dans une ancienne caldera, déjà pas mal comblée, mais dont les potentielles parois sont encore bien visibles. N'ayant rien trouvé qui confirmerait la présence de cette caldera, je ne peux pas en faire ici un quatrième « point-clé ».


Modèle 3D du volcan Ibu
Modèle 3D du volcan Ibu. Image : Culture Volcan



2- Rapide historique de l'éruption en cours...et un peu de maths.

L'activité qui se déroule actuellement au sommet du Ibu a en réalité débuté en décembre 1998, dans le cratère interne, au sommet du stratovolcan. Une lave visqueuse a commencé à se mettre en place avec un débit faible, recouvrant progressivement le fond du cratère. Ce type de dôme est appelé "dôme surbaissé" car sa hauteur est très faible par rapport à son rayon.
Depuis 1998, cette activité s'est poursuivie de manière plus ou moins régulière, plus ou moins continue, et le dôme a fini par remplir complètement le cratère interne. Il faut ici visiblement préciser ce qui a été dit par le VSI dans son bulletin du 07 juin. Il était indiqué que le dôme commençait à être visible, ce qui avait motivé le changement de niveau d'alerte. Or un petit, mais très intéressant, article de l'IRD (Institut de Recherche pour le Développement), qui était en mission sur place en novembre 2012, indique que des éboulements se produisaient déjà dans la ravine ouverte au nord : le dôme surbaissé déborde donc depuis au moins novembre 2012.

Ravine du versant nord du volcan Ibu
La ravine du flanc nord en novembre 2012. Image : Philipson Bani.


Je vous ais ici trouvé une sélection d'images prises entre 2000 et 2012, qui montrent le remplissage progressif du cratère interne. Afin de faciliter le passage d'une image à l'autre, j'ai visualisé le rebord dudit cratère avec des tiretés blancs, qui servent de repère.

le dôme du volcan Ibu
Le volcan Ibu et son dôme en mai 2000. Image: Bruce Gemmel PT Nusa Halmahera Minerals

le dôme du volcan Ibu
Le dôme du Ibu en juillet 2007. Image Arnold Binas


le dôme du volcan Ibu
Le dôme en août/septembre 2009. Image Alain de Toffoli

le dôme du volcan Ibu
L'état du dôme en janvier 2010.Image : Hshdude sur FlickR


le dôme du volcan Ibu
Le dôme dans la brume, septembre 2011. Image : Alfred Fahringer
le dôme du volcan Ibu
Le dôme en novembre 2012. Image : Philipson Bani


On va maintenant faire un peu de géométrie, histoire d'avoir une estimation du volume de lave qui est sorti de ce volcan quasiment sans bruit depuis 1998.
Sur la première image, prise en 2000, on voit bien que la forme du cratère interne est un cône renversé. On sait par ailleurs que plusieurs petits lacs occupaient le fond, ce qui permet de supposer qu'il était plat: sa forme initiale est donc plutôt un cône tronqué. Partons de l'hypothèse que ce fond mesurait la moitié du diamètre du cratère, soit 500 m.

Nous avons donc :
  • le diamètre maximum  (en haut, connu): 1000m 
  • le diamètre minimum (au fond, hypothétique) = 500m
  • la profondeur (connue) = 400m.

Je vous laisse chercher la formule du calcul du volume d'un cône tronqué, mais pour ce cratère le résultat (un estimation) est de 1,6 millions de mètres cubes environ. Ce chiffre est donc aussi le volume (approximatif) de lave émis depuis 1998, puisque ce cratère est aujourd'hui plein.
Si on fait une moyenne sur 13,5 ans (décembre 1998- juin 2013), le débit de lave annuel moyen est de 1,6 millions/13,5 = 120 000 m3 (environ) de lave émise chaque année (de quoi recouvrir la surface d'environ 18 terrains de foot de 1 mètre d'épaisseur de lave).

Cette activité essentiellement extrusive (NDLR: le mot extrusion est préféré à celui d'effusion quand il s'agit de lave visqueuse, mais c'est grosso modo la même chose) est parfois animée de courtes phases de dégazage, qui donnent naissance à de petits panaches de cendres (phénomène dit de « ash venting »). Quelques explosions se produisent aussi de temps en temps, et peuvent projeter des bombes à l'extérieur du cratère. En novembre dernier il y en avait plusieurs par heure.
Quelques images de ces phases.
Panache de cendres du volcan Ibu

Ibu janvier 2010. Image : Hshdude surFlickR

Panache de cendres du volcan Ibu

Ibu janvier 2010. Image : Hshdude surFlickR



3- « Oui mais pourquoi s'occuper d'un volcan aussi isolé » ??

Parce qu'il n'est pas aussi isolé qu'on peut le penser. Tout d'abord il est bordé d'habitations reliées par des routes, en particulier sa partie nord. Il y a, à proximité, plusieurs villages (Goin, Pasilulu, Talen) , certains avec des écoles. Ensuite, si vous regardez des images Google Earth, vous verrez rapidement que la verdure qui donne un semblant de Terra Incognita à la zone est en réalité le résultat d'une pratique agricole (donc une économie ) assez intense: en effet, dans une nature « inanthropisée », les arbres ne s'organisent pas en zones bien rangées...

Situation à risque du volcan Ibu
Maisons, routes, arbres alignés sont visibles sur cette image Google Earth. La zone du Ibu est donc fortement anthropisée. Image : Google Earth

Ecole de Goin au pied du volcan Ibu
Ecole dans le village de Goin, en face de la ravine du flanc nord. Image : Philipson Bani.


Ce n'est pas étonnant car depuis plusieurs siècles l'île d'Halmaera, la plus importante des Molluques, est source de richesses et exporte vers le monde entier. Si ce sont les épices (clous de girofle notamment) qui ont fait sa réputation, son économie fonctionne aujourd'hui à plusieurs niveaux : ressources minières diverses (nickel, cuivre, charbon, or), ressources halieutiques (pêche), agriculture avec le giroflier, la noix de coco, le riz, le coprah, le cacao, le café, le tout pour l'exportation. Elle se trouve par ailleurs à un carrefour important, point de rencontre des économies d'Indonésie et de Papouasie Nouvelle-Guinée.

Je n'ai pas réussi à trouver ce qui est produit spécifiquement au pieds du Ibu, mais la zone est visiblement plantée d'arbres, ce qui laisse penser qu'il s'agit plutôt d'une production de noix de coco et/ou de cacao et/ou de clous de Girofles (premier producteur mondial et zone d'origine de la plante). Une activité éruptive un peu intense aurait donc un impact économique certain, au moins à l'échelle locale, voire plus si des routes qui servent à l’acheminent des récoltes sont coupées par exemple.
Voilà pourquoi la situation du Ibu, volcan largement méconnu, mérite d'être suivie.




Les carte topographiques et modèle 3D ont été créés à l'aide:
- des données ASTER (ASTER est un produit METI et NASA)
- le logiciel de SIG Generic Mapping Tools
- du logiciel The Gimp 2.8 (habillage)

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