Je profite d'une actualité assez calme pour
présenter un peu plus le volcan Ibu (Indonésie, Molluques), dont le niveau
d'alerte est passé à Siaga (3/4) il y a quelques jours.
Le climat local, équatorial, et son accessibilité
limitée (loin de la capital indonésienne, qui implique un coût non
négligeable pour se rendre sur place) ne facilitent pas l'étude de
ce volcan. Ainsi je n'ai trouvé aucun article, ou référence à
article, le concernant. Même la base de données du Global
Volcanism Program (GVP, référence
mondiale), ne fait appel qu'à un nombre très
limité d'articles ou ouvrages déjà anciens de plusieurs décennies.
Je n'ai, enfin, trouvé aucune étude récente sur l'histoire
géologique de l'édifice lui-même (Quel âge a-t-il? Quels sont les
grandes étapes de sa formation? etc), ni de sa composition.
Cependant le web recèle quelques bribes
d'informations, ça et là, et je tente ici une petite compilation
qui nous permettra peut-être de se faire une idée plus concrète de
ce qui se passe au Ibu actuellement.
1- Faire connaissance avec ce volcan
Quoi de mieux pour l'aborder que de regarder sa
forme, sa morphologie? La lecture de paysage peut en effet donner
déjà quelques indications ou pistes.
Les éléments-clé de la forme du volcan Ibu sont, au moins, au nombre de 3.
Les éléments-clé de la forme du volcan Ibu sont, au moins, au nombre de 3.
Le premier se trouve au sommet. Ce dernier
est en effet ouvert par un système de deux cratères emboîtés.
Le cratère interne, forcément plus jeune
que le cratère externe, mesure 1000 m de large environ. Avant la
formation du dôme de lave actuel, il était profond de 400 m. La
description du Global Volcanism Program indique qu'il était occupé
par plusieurs petits lacs, ce qui suppose un fond plat. Ce cratère
est légèrement excentré vers l'ouest par rapport au cratère
externe ce qui dégage, sur son bord est, une plate-forme assez
large.
Le cratère externe, quand à lui, mesure
environ 1200 m de "diamètre". Je préfère mettre le terme
entre guillemets car sa forme est étrangement anguleuse. Sa lèvre
nord est ébréchée et s'ouvre sur une profonde ravine qui
constitue...
... le second élément-clé de la forme de
ce volcan. Sa présence est peut-être le signe d'un ancien drainage sur le
versant nord ce qui impliquerait que le cratère externe ait été, à
un moment, occupé par un lac.
Le troisième élément-clé est la présence,
à la base des versants est et ouest de deux importants cônes
parasites, non datés. Leur mise en place à cet endroit n'est
certainement pas due au hasard: le sommet des 2 cônes est aligné
avec le sommet du stratovolcan Ibu, selon un axe est-ouest, ce qui
laisse penser que cette zone est fragilisée dans cette direction
(faille?).
Enfin la morphologie du paysage qui entoure le Ibu
suggère qu'il s'est installé dans une ancienne caldera, déjà pas
mal comblée, mais dont les potentielles parois sont encore bien
visibles. N'ayant rien trouvé qui confirmerait la présence de cette
caldera, je ne peux pas en faire ici un quatrième « point-clé ».
2- Rapide historique de l'éruption en cours...et
un peu de maths.
L'activité qui se déroule actuellement au sommet
du Ibu a en réalité débuté en décembre 1998, dans le cratère
interne, au sommet du stratovolcan. Une lave visqueuse a commencé à
se mettre en place avec un débit faible, recouvrant progressivement
le fond du cratère. Ce type de dôme est appelé "dôme
surbaissé" car sa hauteur est très faible par rapport à son
rayon.
Depuis 1998, cette activité s'est poursuivie de
manière plus ou moins régulière, plus ou moins continue, et le dôme a fini
par remplir complètement le cratère interne. Il faut ici
visiblement préciser ce qui a été dit par le VSI dans son bulletin
du 07 juin. Il était indiqué que le dôme commençait à
être visible, ce qui avait motivé le changement de niveau d'alerte.
Or un petit, mais très intéressant, article de l'IRD (Institut de Recherche pour le Développement), qui était en
mission sur place en novembre 2012, indique que des éboulements se
produisaient déjà dans la ravine ouverte au nord : le dôme
surbaissé déborde donc depuis au moins novembre 2012.
Je vous ais ici trouvé une sélection d'images
prises entre 2000 et 2012, qui montrent le remplissage progressif du
cratère interne. Afin de faciliter le passage d'une image à
l'autre, j'ai visualisé le rebord dudit cratère avec des tiretés
blancs, qui servent de repère.
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On va maintenant faire un peu de géométrie, histoire d'avoir une estimation du volume de lave qui est sorti de ce volcan quasiment sans bruit depuis 1998.
Sur la première image, prise en 2000, on voit bien
que la forme du cratère interne est un cône renversé. On sait par
ailleurs que plusieurs petits lacs occupaient le fond, ce qui permet
de supposer qu'il était plat: sa forme initiale est donc plutôt un cône tronqué. Partons de l'hypothèse que ce fond
mesurait la moitié du diamètre du cratère, soit 500 m.
Nous avons donc :
- le diamètre maximum (en haut, connu): 1000m
- le diamètre minimum (au fond, hypothétique) = 500m
- la profondeur (connue) = 400m.
Je vous laisse chercher la formule du calcul du
volume d'un cône tronqué, mais pour ce cratère le résultat (un estimation) est
de 1,6 millions de mètres cubes environ. Ce chiffre est donc
aussi le volume (approximatif) de lave émis depuis 1998, puisque ce
cratère est aujourd'hui plein.
Si on fait une moyenne sur 13,5 ans (décembre 1998-
juin 2013), le débit de lave
annuel moyen est de 1,6 millions/13,5 = 120 000
m3 (environ) de lave émise chaque année (de quoi recouvrir la surface d'environ 18 terrains de foot de 1 mètre d'épaisseur de lave).
Cette activité essentiellement extrusive (NDLR: le mot
extrusion est préféré à celui d'effusion
quand il s'agit de lave visqueuse, mais c'est grosso modo la même
chose) est parfois animée de courtes phases de dégazage, qui
donnent naissance à de petits panaches de cendres (phénomène dit
de « ash venting »). Quelques explosions se produisent
aussi de temps en temps, et peuvent projeter des bombes à
l'extérieur du cratère. En novembre dernier il y en avait plusieurs par heure.
Quelques images de ces phases.
Quelques images de ces phases.
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3- « Oui mais pourquoi s'occuper d'un
volcan aussi isolé » ??
Parce qu'il n'est pas aussi isolé qu'on peut le
penser. Tout d'abord il est bordé d'habitations reliées par des
routes, en particulier sa partie nord. Il y a, à proximité,
plusieurs villages (Goin, Pasilulu, Talen) , certains avec des écoles. Ensuite, si vous
regardez des images Google Earth, vous verrez rapidement que la
verdure qui donne un semblant de Terra Incognita à la zone
est en réalité le résultat d'une pratique agricole (donc une économie ) assez intense: en effet, dans une nature « inanthropisée », les
arbres ne s'organisent pas en zones bien rangées...
Maisons, routes, arbres alignés sont visibles
sur cette image Google Earth. La zone du Ibu est donc fortement
anthropisée. Image : Google Earth
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Ecole dans le village de Goin, en face de la ravine du flanc nord. Image : Philipson Bani. |
Ce n'est pas étonnant car depuis plusieurs siècles
l'île d'Halmaera, la plus importante des Molluques, est source de
richesses et exporte vers le monde entier. Si ce sont les épices (clous de girofle notamment) qui
ont fait sa réputation, son économie fonctionne aujourd'hui à
plusieurs niveaux : ressources minières diverses (nickel,
cuivre, charbon, or), ressources halieutiques (pêche), agriculture
avec le giroflier, la noix de coco, le riz, le coprah, le cacao, le
café, le tout pour l'exportation. Elle se trouve par ailleurs à un
carrefour important, point de rencontre des économies
d'Indonésie et de Papouasie Nouvelle-Guinée.
Je n'ai pas réussi à trouver ce qui est produit spécifiquement au pieds du Ibu, mais la zone est visiblement plantée d'arbres, ce qui laisse penser qu'il s'agit plutôt d'une production de noix de coco et/ou de cacao et/ou de clous de Girofles (premier producteur mondial et zone d'origine de la plante). Une activité éruptive un peu intense aurait donc un impact économique certain, au moins à l'échelle locale, voire plus si des routes qui servent à l’acheminent des récoltes sont coupées par exemple.
Voilà pourquoi la situation du Ibu, volcan
largement méconnu, mérite d'être suivie.
Sources :
Global Volcanisme Program
Global Volcanisme Program
Les carte topographiques et modèle 3D ont été créés à l'aide:
- des données ASTER (ASTER est un produit METI et NASA)
- le logiciel de SIG Generic Mapping Tools
- du logiciel The Gimp 2.8 (habillage)
- des données ASTER (ASTER est un produit METI et NASA)
- le logiciel de SIG Generic Mapping Tools
- du logiciel The Gimp 2.8 (habillage)
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