26 mars 2014

Un autre mystère trouve une réponse: le "volcanisme Hors Rifts"

Avec le volcanisme rien n'est jamais vraiment simple, mais au moins aujourd'hui on peut assez bien se représenter ce qu'est un édifice volcanique (structure interne), pourquoi il entre en éruption, pourquoi il libère différents types de magmas, comment le magma lui-même se forme et comment il remonte, etc.
Mais quand on d’échelle et qu'on regarde non les volcans eux-même mais leur relation avec leur environnement tectonique, tout n'est pas vraiment toujours très clair.

On sait bien sûr les généralités:
- le volcanisme est possible au niveau des zones d'étirement des plaques, comme au niveau des rides médio-océaniques (dites zones d'accrétion) ou des rifts internes aux continents qui se forment par exemple lorsqu'une chaîne de
montagne s'édifie et déforme la croûte terrestre à sa périphérie en l'étirant localement (Limagnes d'Auvergne, Bassin du Rhin etc).
- le volcanisme est possible au niveau des zones de rapprochement des plaques, lorsque celles-ci subductent (l'une passe sous l'autre).
- le volcanisme est possible, enfin, en dehors des limites de plaques, dans les zones dites de "Point-Chauds" liés à des remontées ponctuelles mais volumineuses de matières à haute température venues
de zones plus ou moins profondes du manteau terrestre.

Mais parfois les relations entre environnement tectonique et volcanisme associés paraissent au premier abord illogiques, difficile à comprendre.

Avant de commencer je propose de faire un rapide rappel de quelques petites choses.

- un Graben, en géologie, est une morphologie produite par la tectonique. Il s'agit, dans les zones d’écartement, d'une partie de la croûte terrestre affaissée par rapport au reste. A petite comme à grande échelle ces zones affaissées constituent des bassins dans lesquels se déposent des sédiments, issus de l'érosion des...
- ...Horsts. Dans les zones d'étirement décrites ci-dessus, les grabens, affaissés, sont entourés par des reliefs qui se sont peu ou pas affaissés et se trouvent donc en relief par rapport au graben. Ce sont les horsts.

Horst et Graben se forment donc simultanément dans les zones d'étirement des plaques.
Un système Horst-Graben au nord des Etats-Unis, dans la province très justement nommée "Basin and Range" ("bassin" (graben) et "chaînes" (horsts)). Image: volcano.edu

Des graben existent aussi à plus petite échelle, ici quelques mètres dans une carrière ouverte dans les dépôts d'un ancien lac, au coeur de la Limagne. Image: Christian Nicollet.


Dans ces zones d'étirement de plaques et de formations de Grabens et de Horsts le magmatisme est possible. Rappelons qu'à part le noyau externe métallique et liquide, l'ensemble de la Terre est solide et que les plaques tectoniques ne flottent pas sur du magma.
Rappelons aussi que les magmas proviennent de la fonte du manteau, plus rarement de la croûte, car jusqu'à preuve du contraire les laves émises par les volcans sont constitués de silicates et pas de métal. On en tire la double conclusion que:
- le noyau externe n'a pas grand chose à voire avec le volcanisme
- le manteau doit trouver des conditions favorables pour parvenir à fondre. L'étirement des plaque est justement une de ces conditions.

Le magma produit se stocke sous le graben et c'est justement ce qui fait tout le mystère des éruptions "hors-rift". Et oui: si le magma se forme juste a la verticale du graben pourquoi ne sort-il pas toujours dans ce dernier?
Un de mes premiers souvenirs en tant qu’étudiant à Clermont fut l'immense, magnifique et relativement ancienne, carte géologique de l'Afrique décorant l’escalier du labo. En prêtant attention aux grands ensembles géologiques africains une chose attirait l'oeil: la forme en Y du graben de la Benoué (une rivière, affluent du fleuve Niger), rempli de sédiments, et la même forme de Y de la chaine volcanique du Cameroun, décalée d'une petite centaine de kilomètres au sud-est, sur le horst. Pourquoi un tel décalage? Pourquoi le magma n'est pas remonté direct à la surface, en suivant une trajectoire verticale? Bref: "qu'est-ce à dire que ceci?"

En gris le bassin, rempli de sédiments, de la Bénoué: c'est un rift. En noir la chaîne volcanique du mont Cameroun. La forme de Y, très similaire, saute aux yeux.

Loin d'être isolée, une observation similaire peut se faire à côté de chez moi, pour la Chaîne des Puys. qui étire sa petite centaine de volcans sur le horst, localement appelé "plateau des dômes" qui domine le bord ouest du graben de la Limagne, avec très peu d'édifices à l’intérieur de ce dernier. 

En rose avec des croix: le Horst du plateau des dômes. En jaune: les sédiments qui remplissent le graben de la Limagne. On voit que l'essentiel du volcanisme de la Chaîne des Puys s'est édifiée sur le Horst.Image: BRGM
 
Ce joli mystère géologique, le "volcanisme hors Rift", a trouvé une réponse dans les modèles élaborés récemment par une équipe Germano-Anglo-Italienne, pilotée par F.Maccaferri, chercheur au German Centre for Geosciences de Postdam.

Il se sont plus spécifiquement attachés à modéliser la réaction d'une injection de magma (un filon, appelé dyke) dans différents type de rifts, certains correspondant à ce que les géologues appèlent "rifts actifs" et d'autres appelés "rifts passifs". Ces  derniers, dans la nature, se distinguent par des vitesses d'ouverture différentes, des vitesses de remplissage sédimentaire différents, un gradient géothermique différent, une morphologie sensiblement différente, une production de magma différente... et surtout des champs de contraintes différents.


Agir sous la contrainte

Depuis longtemps les chercheurs s'intéressent en effet aux contraintes qui s’exercent sur la coûte dans différents types de contextes tectoniques. Comment s'orientent les forces les plus faibles? Les plus fortes? Quelle peut être la source de ces contraintes? Et surtout comment cela se traduit-il au niveau des roches?
Pour cela on va cartographier et analyser autant les grandes structures (failles de plusieurs kilomètres ou dizaines de kilomètres de long) que les microstructures imprimées dans les roches par les forces tectoniques.

Ce sont des renseignements précieux qui permettent aux spécialistes de reconstituer le champs de contraintes qui se sont appliquées, ou s'appliquent encore, dans certaines portions de la croûte terrestre.

La difficulté c'est que ces champs de contraintes varient avec la profondeur et avec le temps. La plus simple à déterminer est encore la contrainte verticale. En surface elle est faible mais plus on s'enfonce plus elle augmente à cause du poids des roches, qui grandit aussi avec la profondeur.
Je n'entrerais pas dans le détail de l'étude des contraintes, qui n'est pas le propos, mais il faut simplement avoir conscience que, d'un rift à l'autre, les champs de contraintes peuvent grossièrement se ressembler mais qu'aucun n'est identique et c'est visiblement ce point qui peut expliquer les éruptions "hors-rift".

Représentation schématique d'un Rift et des contraintes qui le produisent. Les axes de l'ellipsoïde qui survol le Rift représentent les directions dans lesquelles s'exercent les contraintes principales. Pour un rift la contrainte la plus importante est verticale et nommée "sigma 1". Image: Christian Nicollet

L'étude de Macaferrari et co-signataires avait en effet pour vocation de modéliser mathématiquement des rifts de divers types (ceux qui s'ouvrent rapidement et ceux qui s'ouvrent lentement pour simplifier) et de voir quel était le champs de contraintes associé. Plusieurs centaines de modélisations leur ont permis de constater que les dykes réagissaient en fonction du rapport qu'il y a, à un moment donné, entre la contrainte verticale, essentiellement liée au poids des roches au niveau du graben, et les contraintes tectoniques, horizontales.

Lorsque la contrainte verticale est nettement plus forte, généralement dans les rifts assez lents (plutôt rifts passifs)  les roches en profondeur sont comme "écrasées" et ne laissent pas passer les filons de magmas. En toute logique ces derniers doivent, pour continuer de progresser, trouver la contrainte la plus faible, qui est alors la contrainte tectonique, horizontale. Ceci les obligent donc à suivre non pas une route verticale (bloquée par la très forte contrainte verticale justement) mais oblique, comme déviée. Le magma peut ainsi sortir à plusieurs kilomètres ou dizaines de kilomètres de distance du graben.

A l'inverse, dans les zones de rifts passifs la contrainte la plus faible est plutôt verticale et le volcanisme se fait alors dans le graben plutôt que sur les horsts qui l'entourent.

Le modèle proposé va même jusqu'à reproduire un comportement déjà observé sur le terrain: dans des cas extrêmes le dyke par non pas en oblique mais carrément à l'horizontal, formant un filon appelé "Sill" qui peut ne jamais faire éruption.


Résultats des modélisations de F.Maccaferri et associés. On voit qu'en fonction des modèles choisis les dykes peuvent largement dévier de la verticale et faire éruption loin du rift (trait noir épais). Image: F.Maccaferri et al, 2014/ Nature Geoscience


Source :F.Maccaferri,et al: "Off-rift volcanism in rift zones determined by crustal unloading" dans Nature Geoscience, 2014.



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