Retour d'un lac de magma sur le volcan Nyiragongo ? (mis à jour)

Mr Jeremy Riffaut m'a fait parvenir via twitter hier un article du site d'informations de République Démocratique du Congo 7 sur 7, dans lequel Mr Kasereka Mahinda Célestin, Directeur de l'Observatoire Volcanologique de Goma, indique que le lac de magma a fait son retour dans le cratère sommital. Précisions donc la situation.

Pour être précis, voyons la déclaration faite à la paresse (copier-coller du texte de l'article) :"« Le 18 septembre dernier, dans la soirée, il y a une lumière que la population de Goma a vu au sommet du volcan et qui donnait un signe qu'il y a réapparition du lac de lave. Le lendemain nous avons envoyé notre équipe au sommet pour vérifier réellement s'il y a ce lac de lave. Au même moment qu'ils arrivaient, il y a eu effondrement et la cheminée a été bouchée, la réalité est qu'il y a réapparition du lac de lave et pour nous, c'est un bon signe puisque l'éruption de 2021 a créé beaucoup de fractures dans la ville et en dehors, maintenant que le système a trouvé un endroit pour respirer, c'est un bon signe. La crainte était que si ça se bouche, ça peut sortir par différentes sorties qui ont été créées ».

L'article indique la présence d'une lueur le 18 septembre au sommet de l'édifice, interprétée comme le retour du lac de magma. Le directeur de l'Observatoire indique avoir envoyé une équipe pour confirmer le doute mais qu'arrivés sur place un effondrement avait eu lieu et la tournure de phrase ne permet pas d'être sûr qu'ils ont bien observé le lac avant l’effondrement qui l'aurait fait disparaitre à nouveau. Il n'y a malheureusement pas de photos de ce lac, alors même que l'article précise que des caméras surveillent le cratère (mais  sont-elles en fonctionnement permanent? Je ne saurais le dire).

Puisque les déclarations du directeur de l'Observatoire ne sont pas appuyées par l'image, allons voir ce que racontent les satellites.

Côté MODIS, les données collectées sont traitées via plusieurs types d'algorithmes et les résultats des émissions infrarouges affichées via 2 interfaces : MODVOLC et MIROVA. La présence d'un lac de magma devrait laisser une trace thermique mais attention : la puissance du rayonnement détecté depuis l’espace est fonction, entre autres :

- de la dynamique propre du lac :si il est peu dynamique une croûte un peu plus froide à le temps de se former, ce qui rend la source moins détectable. Un lac très dynamique voit sa surface en permanence renouvelée et dont la source est plus facilement détectée. 

- la présence de nuages, qui absorbent les infrarouges

- la surface du lac : plus la surface qui rayonne est grande, plus la puissance du rayonnement détecté sera grande.

Partant de là, que voit-on?

Côté MODVOLC, détection d'un seul très faible signal thermique le 12 septembre dans la zone sommitale. À noter que la même situation avait été observée en juin 2021 et qu'alors personne n'indiquait avoir constaté le retour d'un lac de magma. 

Faible signal thermique détecté le 12 septembre. Image: MODVOLC

 

Il est donc peu probable que ce signal thermique soit en lien avec la présence du lac. Par ailleurs la date est trop tôt par rapport à la déclaration de Mr Kasereka Mahinda Célestin.

Côté MIROVA, il est clair que la détection de signaux thermiques faibles se poursuit dans un rayon de moins de 5 km autour du sommet (attention, une partie de ces signaux peut avoir une origine anthropique, comme le déboisement par le feu par exemple). Mais on ne note pas de hausse significative ni dans la fréquence ni dans la puissance des signaux détectés. À noter un groupement de signaux un peu plus significatifs les 12-13-14, correspondant temporellement aux signaux relevés par le MODVOLC. 

Évolution de la détection des signaux thermiques entre fin septembre 2020 et fin septembre 2021. PAs d'évolution particulière depuis fin mai. Image : MIROVA

-Côté SENTINEL 2, la plupart des passages du satellite au-dessus de la zone d'intérêt n'ont abouti à rien du fait de la présence de nuages sur le sommet de l'édifice. Les dernières images qui permettent de voir le cratère sommital (05 et 25 août 2021) indiquant le maintient d'un dégage à assez haute température sur le rebord sud de la première plate-forme et dans le talus de débris qui descend jusqu'au fond du cratère. Zones à haute température par ailleurs présentes (et c'est normal) depuis la vidange du lac et repérées aussi par....

- LANDSAT 8,où deux images permettent d'avoir quelques détails : une image prise le 05 septembre permet de voir un éboulement récent ou en cours depuis la même zone que celle décrite ci-dessus et cet éboulement met à l'affleurement des roches à très haute température.

Petit éboulement (très récent ou en cours) depuis le rebord sud de la première plate-forme vers le fond du cratère. Image : LANDSAT 8 - NASA/USGS

L'image suivante, faite le 21 septembre, est partiellement masquée par les nuages mais il n'y a aucun signal thermique suffisamment intense pour être interprété comme "lac de magma" dans le cratère à ce moment-là.

Il ne semble pas y avoir de source de rayonnement infrarouge intense dans le cratère du Nyiragongo le 21 septembre. Image : LANDSAT 8

Je dirais donc que, pour l'heure la présence d'un lac de magma au sommet du Nyiragongo semble peu probable et que, tout du moins, les données satellites ne semblent pas aller dans ce sens. Sa présence mérite une confirmation plus claire (des photos du lac seraient évidemment le top mais la situation sur place n'est pas simple). Toutefois les déclarations de Mr Kasereka Mahinda Célestin pourraient aussi indiquer un changement d'état du système volcanique, et il est donc nécessaire de garder un oeil sur cette zone.

 

Mise à jour, 29 septembre 2021, 19h46

Ce matin, avant de partir au travail, un petit coup d'oeil rapide au MIROVA, "histoire de", comme on dit.

Et surprise, gros signal thermique présent depuis hier soir! 

Gros signal thermique dès le soir du 28 septembre. Image : MIROVA

 

Alors deux choses l'une : soit le lac est effectivement de retour (mais vous noterez que ce n'était pas le cas les jours précédents, puisqu'il n'y avait alors pas de signal thermique), soit c'était un effondrement d'un bout de paroi, mettant à jour une grosse portion de roches à très haute température.

Oui mais voilà, l'heure d'aller pointer avait sonné...

Mais heureusement, par chance, SENTINEL 2 est passé au-dessus de la zone aujourd'hui et, effectivement la source du signal thermique est incompatible avec un simple effondrement de paroi : le lac de lave est présent, ou en en tout cas une activité éruptive intense a repris et pourrait aboutir à la reformation du lac! Parce que si l'on suit les déclarations de Mr Kasereka Mahinda Célestin, à la lumière de cette nouvelle info,une façon de comprendre la situation est d'imaginer une activité éruptive présent de manière intermittente. C'est évidemment dans la durée que la reformation ou non du lac va se préciser.

Fort signal thermique dans le cratère du Nyiragongo : grosse activité éruptive présente aujourd'hui. Image : SENTINEL 2 - ESA/Copernicus

Sources : Merci à Jeremy Riffaut pour le lien vers l'article; LANDSAT 8 NASA/USGS; 7sur7.cd; MIROVA.