3 octobre 2014

Une éruption du volcan Churchill (Alaska) laisse ses traces en Europe

La semaine passée je vous relatais l'histoire d'un dépôt volcanique découvert aux deux pôles, dont le volcan source est toujours inconnu. Il se trouve que cette semaine des chercheurs Américains viennent un peu de faire l'inverse: en comparant une série de dépôts volcaniques repérés au Groenland et en Europe du nord, mais dont la source était inconnue, ils ont pu les relier à un autre dépôt bien identifié en Alaska, mis en place lors de l'une des plus importante éruption des 2000 dernières années sur le territoire des États-Unis : c'est le dépôt dit de  White River Ash East (WRAE)


La source du WRAE est connue de longue date: c'est le volcan Bona-Churchill (ou Churchill tout court), qui se trouve au États-Unis (Alaska), mais à seulement 40 km de la frontière avec le Canada (province du Yukon), au cour des montagnes dites de Saint Elias. Les premiers travaux le concernant
remontent aux années 60 mais aujourd'hui encore subsistent des doutes quand à la position exacte du point d'émission: soit la caldera sommitale du Bona-Churchill, totalement englacée, soit un évent situé sous la langue glaciaire Klutlan, juste à l'est (on la voit sur l'image ci-dessous: elle traverse la frontière).


Le volcan Churchill et la frontière Etats-Unis/Canada, sur Google Earth


Cet édifice imposant, dont le sommet perpétuellement blanc est la source longs et majestueux glaciers dans les vallées qui ouvrent ses flancs, est par ailleurs le plus haut volcan actif (Quaternaire) des États-Unis, avec une altitude de 5005 m.
Actuellement en dormance, il a été le siège de deux éruptions extrêmement puissantes qui se sont produites il y a 1900 à 1500 ans pour la plus ancienne, et environ 1200 ans pour la plus récente. Cette dernière est la plus importante, et la source du WRAE. Les datations ont été effectuées par Carbone 14, le matériau de base pour cette technique (matière organique brûlée par l'éruption) n'étant pas chose rare: des troncs d'arbre en position de vie (verticaux, racine en bas) ont en effet été retrouvés dans les dépôts, brûlés sur pied, à une trentaine de kilomètre de la zone de l'éruption!

A Litte Boundary Creek, à environ 30 kilomètres du Churchill, des arbres débout mais brûlés sont été trouvés dans le dépôt de White River Ash. Image: Géological Society of Canada

Elle fut d'une très grande violence, avec un Indice d'Explosivité Volcanique estimé à 6, soit équivalent à celui de l'éruption du Pinatubo en 1991, bien qu'en réalité elle fut probablement beaucoup plus impressionnante. En effet, le volume de cendres émis par le Pinatubo a été estimé entre 6 et 10 km3, celui de la WRAE, à 23 km3 (DRE, pour celles et ceux qui parmi vous font des études en volcano)! De par ce volume elle est comparable à l'éruption du Tambora en 1815 (27 km3 DRE de cendres déposées)
L'analyse de l'évolution de l'épaisseur du dépôt en fonction de la distance au volcan a permis de calculer une hauteur possible du panache de cette éruption: 45 km! Les pollens recouverts par les cendres déposées indiquent aussi que l'éruption s'est produite à la fin de l'automne ou au début de l'hiver. Les recherches archéologique faites au Yukon ont aussi permis de poser l'hypothèse que cette éruption fut tellement violente qu'elle fut à l'origine de bouleversements environnementaux importants qui auraient pu provoquer une migration de peuples humains à l'époque (migration Athapascanne).
Ces dernières années des chercheurs avaient trouvé d'autres dépôts très fins de cette éruption à plus de 1200 km du Churchill, du côté des Grands Lacs Canadiens (Grand Lac de l'Ours et Grand Lac des Esclaves), dans les Territoires du Nord-Ouest. Pour les volcanologues, les traces de l'éruption n'allaient donc pas plus loin que les terres immenses du centre du Canada. Mais les études menées par l'équipe de Britta Jensen, de l’Université d'Alberta ont permis de repousser les limites de ce dépôt...jusqu'en Europe du nord, soit à 7000 km de là!

Comment est-ce possible?

Depuis déjà plusieurs décennies, des volcanologues tentent de constituer des bases de données des dépôts d'origine volcanique qu'ils trouvent dans divers milieux: lacs actuels ou anciens, tourbières, glaces arctiques et antarctiques, etc, etc.
A chaque mission, ils prélèvent des carottes de sédiments ou de glaces, qu'ils observent (un travail de fourmis) afin d'en repérer les plus infirmes traces d'éruptions. Pour chaque dépôt ils font une série d'analyses qui permettent de déterminer l'âge, ainsi que d'autres caractéristiques.

L'idée est de pouvoir ensuite tenter de faire des liens entre des éruptions connues et certains de ces dépôts, ce qui permet d'améliorer:
- les modèles visant à estimer l'impact des éruptions sur l’environnement (atmosphère et/ou biosphère)
- les modèles de dispersion des cendres volcaniques dans l'atmosphère.
- affiner la connaissance sur les éruptions anciennes (extension réèlle des dépôts, estimation des volumes émis, des surfaces impactées etc), qui est toujours une source d'informations importante pour l'étude et le suivi de volcan actuels.
Dans un certain nombre de cas, des dépôts se retrouvent orphelins, les volcanologues n'étant pas en mesure de faire de corrélation avec des éruptions connues.

Par ailleurs les dépôts clairement identifiés permettent de caler dans le temps la chronologie d'événements climatiques ou archéologiques sur des sites des différents, parfois très éloignés.
Cette science de la géologie s’appelle la téphrochronologie. C'était le mot compliqué du jour, promis, il n'y en aura pas d'autres.

Exemple de téphrochronologie: la bande sombre est le dépôts du volcan Allemand Lascher See, observé ici dans une carotte de sédiments prélevée dans le lac Lautrey, 400 km au sud du volcan. Image: David Bressan



Au milieu des années 90 des géologues ont ainsi entreprit de faire ce type d'étude systématique en Irlande du nord, dans des tourbières, milieu très recherché pour ce type d'analyse. Parmi tous les dépôts qu'ils trouvent, nombreux sont ceux qu'ils peuvent corréler avec des éruptions Islandaises: logique l'île n'est qu'à un peu plus de 1000 km. Mais l'un des dépôts, nommé AD860B, a été mis en place, d'après les premières datations, entre l'an 776 et l'an 887* (soit en moyenne l'an 860, d'où le nom du dépôt) reste désespérément orphelin...jusqu'à ce que d'autres études de téphrochronologie ne mettent en évidence un dépôt aux caractéristiques très très proches de l'AD860B, lors de missions de carottages menés en Norvège, Allemagne et au Groenland.

Vous l'aurez bien sûr deviné: c'est la comparaison des dépôts du Yukon et de l'AD860B qui ont permis de lever le doute quand à sa source, qui n'est autre que le volcan Churchill.

Sûr que c'est vraiment le même?

Peu de doute est permis en effet. Tout d'abord la composition chimique des cendres est vraiment très très proche entre celles du dépôt de WRAE et AD860B. Tous deux sont constitués de rhyolite, une roche volcanique très riche en Silice qui est très souvent (pas toujours) émise sous forme de violentes éruptions explosives. La comparaison de la concentration en Silice, en Aluminium, en oxyde de Fer, 3 des principales composantes des laves, montre ainsi une corrélation extrêmement bonne, qui permet sans coup férir de les distinguer des rhyolites émises en Islande. C'est la même chose pour la texture des particules, très vacuolaire (texture ponceuse) et enfin, plus important encore, les cendres des deux dépôts présentent les mêmes assemblages de minéraux.
 
Toutes ces concordances, âge/composition chimique/composition minéralogique/texture, avec une marge d'erreur visiblement assez faible, permettent aux chercheurs Canadiens de faire un lien solide entre le volcan Churchill et ces quelques fins dépôts mystérieux découverts en Europe depuis plus de 20 ans. Les résultats des chercheurs permettent donc, de facto, de multiplier la surface connue du dépôt par 50 (à peu près) et de conclure qu'il ne faut pas écarter la piste d'éruption très très lointaines pour chercher la source de certains dépôts aujourd'hui encore inexpliqués.


En vert:  ancienne extension connue du WRAE; en rouge, nouvelle extension connue du WRAE. Image: BJL Jensen et al, 2014

Vous voulez en savoir plus sur les téphras d'Europe?

N'hésitez pas à consulter la base de données en ligne Tephrabase.org qui recense environ 2600 dépôts, tous géolocalisés. Vous y trouverez l'AD860B, mais y apprendrez aussi que l'on trouve les traces de l'éruption du Laacher See, puissante éruption allemande qui s'est produite il y a un peu plus de 12000 ans, du côté de Châlon sur Saône par exemple.


*: de nouvelles datations réalisées avec des mpyens plus récentes ont permis de mieux containdre l'âge: entre l'an 846 et l'an 848.

Sources:

B.J.L.Jensen et al, 2014: "Transatlantic distribution of the Alaskan White River Ash", dans la revue Geology
J.J.Clague et al, 1995: "Improved age estimates for the White River and Bridge River tephras, western Canada", dans la revue Canadian Journal of Earth Science
P.G.Hare et al, 2004: "Ethnographic and Archaeological Investigations of Alpine Ice Patches in Southwest Yukon, Canada", dans la revue Arctic
Tephrabase.org

3 commentaires:

  1. Bonjour,
    Pourquoi le VEI n'est estimé qu'à 6 si le volume de cendres éjecté est largement supérieur ? Le VEI et le volume ne sont pas forcément correlé ? Ou est-ce un défaut de mis à jour des références de l'éruption ?

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  2. Parce que l'échelle est logarithmique: le VEI 6 correspond à des volumes éjectés compris entre 10 et 100 km3. Pinatubo était un très gros VEI 5 ou un petit VEI 6 selon les estimations; WRAE étant un VEI6 moyen.

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  3. Oups ! Oui bien sûr...
    En log 10, il y a une marge pour le VEI7 !!

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