16 octobre 2014

Les coulées de lave du volcan Chirpoi

Le Chirpoi est une île volcanique dont l'histoire est relativement peu connue, du fait de sa position isolée au centre de l'archipel des îles Kouriles.
C'est un volcan de morphologie complexe, constitué d'au moins 6 édifices superposés, et partiellement submergés. L'île Chirpoi même, celle qui est marquée sur les cartes, n'est qu'une partie de ce système volcanique, qui englobe aussi en réalité l'île voisine de Brat Chirpoev.
L'île de Chirpoi constitue, sur ce complexe volcanique, la seule partie historiquement active avec deux zones
d'activité:
- le cône Cherny au nord, siège de l'éruption historique la plus intense connue (VEI4) sur ce volcan, au début du 18ème siècle. C'est aussi la première éruption historique recensée sur cet édifice.
- le cône Snow au sud, très récent puisqu'il a fait son apparition à la fin du 18ème siècle. Depuis lors c'est surtout sur lui que se déroulent les éruptions.

En novembre 2012 une nouvelle éruption a débuté sur cette île. Localisée au niveau du cône Snow, les données satellites ont suggéré à l'époque qu'une activité effusive se déroulait sur le versant sud-est, créant peut-être un nouveau delta de lave. On pouvait même remarquer, sur une image MODIS en date du 16 novembre 2012 (ci-dessous), ce qui ressemblait à un abondant panache de "vapeur" qui semblait prendre sa source sur la côte sud-est.

Panache de "vapeur" sur le volcan Chirpoi, 16 novembre 2014
Un panache de "vapeur" s'élève de la côte sud-est du Chirpoi, le 16 novembre 2012. Image: MODIS/NASA
Depuis lors, seules quelques anomalies thermiques et des panaches de gaz avaient été repérés jusqu'en avril 2014. Le SVERT (Sakhaline Volcanic Erution Response Team) avait abaissé le niveau d'alerte aviation du jaune au vert. Pour eux le volcan avait alors connu au moins deux épisodes différents d'effusion:
- entre le 10 novembre 2012 et avril 2013
- à partir de juillet 2013, jusqu'à une date inconnue
Il semble qu'une  nouvelle phase d'effusion ait débuté en septembre 2014 car de nouvelles anomalies thermiques relativement importantes ont été observées. Le SVERT a d'ailleurs ré-évalué le niveau d'alerte aviation au jaune à ce moment-là.

Les données satellites qui ont permis de suivre en pointillé cette activité n'ont pas permis d'avoir de détails concernant l'éruption. C'est d'ailleurs leur principal défaut: elles fournissent des informations partielles qu'il convient, dans l'idéal, de croiser avec des données au sol, en provenance d'autres instruments  (sismicité, déformation) et des observations (en réalité c'est le cas de tous les jeux de données: il faut idéalement en croiser plusieurs sortes pour avoir une vision assez précise d'une situation).
Mais dans les Kouriles, il n'y a ni la seconde, ni la troisième...

On reste donc sur les données satellites, puisqu'il n'y a pas d'autres possibilité, et les volcanologues tentent ensuite d'en extraire toutes les données possibles. 
Les images utilisées pour le suivi de l'activité étaient essentiellement fournies par deux jeux de satellites:
- MODIS, américain
- MTSAT, Japonais

Chacun ayant des qualités et des défauts qui permettent d'avoir quelques données complémentaires. Dans les deux cas par contre, le défaut essentiel est le manque de définition: au mieux 250m pour le MODIS, ce qui limite considérablement l'interprétation des événements en ne permettant de ne bien voir que les gros phénomènes (panaches par exemple). Il suffit pour s'en convaincre de voir l'image MODIS du panache de "vapeur" ci-dessus.

Heureusement un autre satellite entre en scène: l'ASTER, du Jet Propulsion Laboratory, dont les images sur un volcan donné ont le défaut d'être très rares (le satellite réalise des images à la commande) mais de haute définition. La comparaison d'images ASTER permet de soutirer quelques données en plus concernant les conséquences de ce qui s'est passé sur l'île de Chirpoi depuis novembre 2012, et de donner quelques éléments de chronologie. 
Commençons par une comparaison de deux images réalisées en mai 2003 et octobre 2014.

La nouvelle plate-forme de coulées de lave du volcan Chirpoi, 02 octobre 2014
Comparaison d'images ASTER sur le volcan Chirpoi. On voit bien la nouvelle plate-forme de lave édifiée depuis 2012. Images: ASTER-JPL
Comparer permet de faire quelques estimations et de donner quelques chiffres, le plus facile a avoir étant la surface occupée par les nouvelles coulées.
Vous noterez sur l'image de droite que la plate-forme de lave (tiretés rouges) a une vague forme d'as de pique, avec un pied qui n'est pas plat, comme sur la carte, mais arrondi. On peut modéliser cette plate-forme de manière simple: un triangle posé sur un rond, figures géométriques dont la superficie est facile à calculer.

Estimation de la surface de la nouvelle plate-forme de coulées de lave du volcan Chirpoi
Modélisation simplifiée de la forme de la plate-forme de lave: un triangle surmontant un rond. Image: ASTER-JPL
Superficie d'un triangle= base du triangle (b) x hauteur du triangle (h), le tout divisé par 2
Mesurée sur Google Earth, la hauteur du triangle fait 1000 m, la base 1190 m, soit une surface de (1000x1190)/2= 595 000 m²
Pour la partie ronde, la surface se mesure avec la formule suivante:
surface cercle = Pi x le rayon du cercle au carré

Toujours sur Google Earth le rayon en question mesure 140 m, soit, au carré, 140 x 140 =19600 m².
La surface du cercle est donc de  61575 m²

La surface totale occupée par les nouvelles coulées peut donc être estimée à 595000 + 19600 = 656575m².

En n'oubliant pas que ceci n'est qu'une estimation qui ne permet, au mieux, que d'avoir l'ordre de grandeur de cette nouvelle surface de lave.

Malheureusement, comme on n'a pas moyen de connaitre l'épaisseur moyenne des coulées, il n'est pas possible de donner une estimation du volume de ces nouvelles coulées.

En regardant l'image ASTER, se dégage l'impression que cette plate-forme de lave est constituée de deux éléments superposés:
- la partie triangulaire, qui part de l'évent actif où se voit un dégazage, jusqu'à la côte (en noir sur le dessin ci-dessous)
- une partie rectiligne (en rouge sur le dessin ci-dessous) qui part de l'évent actif, descend directement en mer et se termine par le lobe rond. Cette partie rectiligne est bordée par deux "murets", appelés en volcanologue "levées" qui se construisent aux abords des coulées de lave pendant leur progression et limitent un chenal central où s'écoule la lave.

Interprétation de l'image ASTER: deux éléments différents semblent se superposer. Image: ASTER

Pourquoi penser que ce sont deux objets superposés? Parce que les levées recoupent entièrement la partie triangulaire et, de fait, elles se sont formées après elle. Repérer ce type de détails permet de faire ce qu'en géologie on appelle une chronologie relative.
L'objectif de ce type de technique n'est pas de donner l'âge des éléments étudiés, mais simplement de répondre à la question: "quel élément s'est formé avant l'autre"?

Une autre image ASTER, faite en 2013 serait intéressante à étudier: elle permettrait de voir comment la forme de l'île a évolué à un stade intermédiaire entre le début de l'éruption et aujourd'hui.
Il y en a une, prise le 13 septembre 2013, à peu près au moment où le SVERT estimait qu'une seconde éruption avait débuté sur l'île. Un nuage couvre partiellement le sommet du volcan et masque en partie la scène, mais on peut remarquer:
- que sur la côte il y a déjà un bout de la plate-forme triangulaire.
- l'absence de la coulée rectiligne, qui se termine par le lobe rond.
- la présence d'un panache d'origine volcanique plutôt dense et bien alimenté, peut-être associé à une activité éruptive, mais constitué uniquement de gaz. "Peut-être" car ce panache pourrait être aussi le produit d'un simple, quoi qu'important, dégazage.


Comparaison d'images ASTER faites en 2003 et 2013. On voit un bout de la plate-forme triangulaire déjà présent en septembre 2013. Images: ASTER-JPL

Derniers détails que nous livrent les images ASTER:
- l'évent qui est à la source des coulées de lave s'est ouvert dans le flanc sud-est du cône Snow, vers 270 m d'altitude environ.
- le bout de plate-forme triangulaire visible sur l'image de septembre 2013 a eu le temps d'être érodé au moment où l'image du 02 octobre 2014 a été faite: il n'y a donc pas eu de nouvelles coulées sur cette partie de la côte depuis au moins septembre 2013 et l'érosion avait fait reculer la côte de quelques dizaines de mètres en l'espace d'un an seulement.

Extraits des images ASTER de septembre 2013 et octobre 2014: on voit le recul du trait de côte dû à l'érosion. Images: ASTER/JPJ

Si je résume:
- ces images ASTER confirment qu'une activité éruptive, marquée par la formation de nouvelles coulées de lave, a débuté en novembre 2012.
- il semble qu'il y ait eu plusieurs éruptions différentes (ou une éruption à plusieurs phases...) mais que toutes ont apporté de nouvelles coulées depuis la zone source à 270 m d'altitude. Elles ont produit, au final, une plate-forme de lave sur la côte sud-est.
- cette plate-forme s'est construite en plusieurs étapes. Une partie a eu le temps de subir une érosion assez marquée entre septembre 2013 et octobre 2014.
- le lobe qui marque le bout de la coulée rectiligne ne montre aucune forme marquée d'érosion par les vagues: elle est donc très récente. Il n'est pas impossible qu'elle ait commencé à se former en septembre 2014, mais cela n'est qu'une hypothèse.


Source: ASTER-JPL

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