19 août 2014

Volcan Bardarbunga (Bárðarbunga) : si on faisait connaissance avec lui?

On ne peut pas le nier: il y a eu un avant et un après Eyjafjöll 2010, année où le monde entier à, pour la première fois en simultané, fait connaissance avec les conséquences à grande échelle que peut avoir une éruption sous-glaciaire. Depuis lors il est difficile de dissocier l'Islande de cet événement, inscrit dans la mémoire collective, en particulier en Europe, pour quelques décennies probablement.

Du coup la mise en place d'une importante crise sismique sous une autre calotte glaciaire islandaise
peut générer d'une inquiétude et cela vaut donc le coup de faire un peu connaissance avec le volcan sur lequel ça se passe.
Je reprécise ici qu'en Islande ce n'est pas parce qu'une activité sismique importante, voire intense, se produit qu'elle se termine par une éruption. Je vous renvoie pour vous en convaincre à :

D'autres, très importantes, ont aussi récemment affecté une zone volcanique située au large d'Akureyri, au nord de l'île, non loin d'une zone volcanique nommée Kolbeinsey Ridge.


Contexte

L'Islande est la partie émergée d'un vaste plateau constitué de l’empilement de roches volcaniques. Sa surface totale est estimée à 350 000 km² , mais seul 1/3 dépasse de la surface de l'eau pour former l'île d'Islande strico sensu.
Les plus anciennes roches présentes sur l'île ont entre 14 et 16 millions d'années. Les spécialistes supposent, sur la base d'échantillons récoltés sur la partie sous-marine du plateau, qu'il a débuté son édification il y a environ 24 Millions d'années.
Il est le fruit de la conjonction de deux phénomènes géologiques majeurs:
- le magmatisme qui accompagne l'ouverture de la partie nord de l'Océan Atlantique (divergence des plaques tectoniques Eurasiatique et Nord-Amérique)
- le magmatisme lié à la présence d'un point chaud, actuellement centré sous le Bárðarbunga, qui a débuté son activité il y a 65 Millions d'années.

Cette combinaison unique est à l'origine du volcanisme intense de l'île et, complétée par un climat océanique froid, de la diversité exceptionnelle des morphologies volcaniques, donc des paysages que l'on y trouve.

Le volcanisme actif sur l'île est réparti le long d'une trois zones allongées qui la traversent du sud-ouest au nord:

- la zone volcanique Ouest (WRZ, pour "West Rift Zone")
- la zone volcanique Est (ERZ, pour "East Rift Zone")
- la zone volcanique Nord (NRZ, pour North Rift Zone")

Les zones de rift actif en Islande
Les principales zones de volcanisme actif en Islande. Image: Tobias Weisenberger


Le Bárðarbunga se trouve à la jonction entre les zones Est et Nord.

Toutes ces zones actives sont regroupées sous le terme de Zone Néovolcanique Islandaise (Iceland Neovolcanic Zone), dont voici une carte.

La Neovolcanic Zone en Islande
La "zone néo-volcanique" où se trouvent toutes les laves émises ces deux derniers millions d'années sur l'île. Image: K.Àrnason et al, 2010


Le Bárðarbunga*
Ce volcan est, autant le dire tout de suite, le plus important volcan d'Islande. Souvent appelé Veidivötn ou encore Bárdabunga-Veidivötn, c'est un système extrêmement vaste et complexe. Il se présente en effet comme un réseau de fissures rectilignes long de 190 km sur lequel sont installés deux cônes volcaniques: le Bardarbunga, qui est le point culminant (2000m d'altitude), et l'Hamarinn juste au sud. La largeur de cet ensemble est d'environ 28 km.
Son extrémité la plus au sud croise le volcan Torfajökull tandis que celle la plus au nord "lèche" la base ouest de l'Askja.

Limite du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga)
L'extension du système volcanique du Bardarbunga.


Le sommet du Bárðarbunga est constitué d'une vaste caldera, profonde de 700 m et large d'environ 10 km. Son histoire éruptive montre qu'il a surtout libéré des laves de composition basaltique, fluides, ce qui n'a pas empêché la mise en place d'éruptions explosives intenses du fait de la présence de glace, à l'origine de l'interaction explosive eau-magma, dite "phréatomagmatique". C'est aussi lui qui produit les basaltes les plus primitifs de tous les volcans situés sous le glacier Vatnajökull, c'est-à-dire ceux dont la composition a le moins changé au cours de leur remontée depuis leur source mantellique.

Des études des dépôts d'éruptions explosives qui ont eu lieu à proximité du Vatnajökull ont permis de lui attribuer au moins 23 éruptions historiques mais, sur l'ensemble, seules 3 se sont produites en dehors de la partie sous-glaciaire, en 1862-1864, vers 1477 et en 870 environ. Ces mêmes études ont aussi permis d'étudier les dépôts laissés par ce volcan sur les 8000 dernières années. Les volcanologues ont pu grâce à cette approche lui attribuer environ 350 éruptions, et mettre en évidence des périodes d'activité variables dans le temps.

Ainsi, l'activité est faible entre 7 et 8000 ans avec une fréquence moyenne d'éruption estimée à 12 éruptions par millénaire. Cette activité s'accentue par la suite, avec toutefois un trou entre 5000 et 2000 ans, pour grimper entre 1000 et 2000 ans (début de notre ère donc) à une fréquence de 80 éruptions par millénaire. La dernière période, dite "historique", compte donc les 23 éruptions décrites ci-dessus: c'est la plus faible fréquence d'éruptions de ces 5000 dernières années sur ce volcan.


Le Bárðarbunga compte dans son histoire certaines des éruptions explosives les plus importantes des 10 000 dernières années en Islande avec, en particulier, l'immense éruption de 1477 (VEI 6: pour comparaison, la violente éruption du Kelud en début d'année à péniblement franchi le VEI4).
C'est aussi lui qui détient pour le moment le record de l'éruption effusive la plus importante sur Terre durant cette même période, avec un volume d'environ 20 à 25 km3** de lave relâchées sous forme de coulées il y a environ 8600 ans, sur la partie de son réseau de fissures appelée Veidivötn (tout au sud). Les coulées de cette éruption ont parcouru une centaine de kilomètres et édifié sur la côte sud de l'île une vaste plate-forme de lave, large de 20 km.

Le champ de lave du Thjorsarhraun, issu du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga)
Cartographie du champs de lave de l'éruption dite "de Thjorsarhraun" produite à l’extrémité sud (nommée Veidivötn) du réseau de fissures du Bárðarbunga . Image: Guðmundur Kjartansson, modifiée par
Árni Hjartarson

Il faut enfin dire aussi que le Bárðarbunga est un volcan encore assez peu connu, en particulier par rapport à son voisin, bien plus actif, le Grimsvötn.


Sources:
- Global Volcanism Program
- Volcanism in Iceland (Thordarson et Larsen, 2007)
- "Holocene eruption history and magmatic evolution of the subglacial volcanoes, Grímsvötn,  Bárdarbunga and Kverkfjöll beneath Vatnajökull, Iceland", Bergrún Arna Óladóttir, 2009
- ACTIV



* prononcez Bor-th (à l'anglaise)-ar-bounga en roulant légèrement les "r"
** presque deux fois plus que pour l'éruption historique du Laki (1783), qui fait partie du réseau de fissures du Grimsvötn.

4 commentaires:

  1. Bonjour ,
    Que devient toute cette pression accumulée sous la croute terrestre ? Comme beaucoup de gros volcans dangereux (comme le Santorin ) .ils ne se préparent pas tous à faire des grosses éruptions et bien souvent se terminent par de petite éruptions.
    A vous lire
    Cordialement

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour. Il faut distinguer deux choses quand on parle de pression:

      - celle dûe à l'épaisseur des roches: plus on s'enfonce sous terre plus elle augmente, simplement parce que les roches ont un poids. Cette pression est statique et, pour faire simple, elle ne variera jamais. Elle ne joue donc pas de rôle dans la situation actuelle. Même quand la Terre sera complètement refroidie et qu'il n'y auras plus d'éruptions, la pression sera toujours immense sous la croûte, car les roches auront toujours un poids.

      - celle liée au magmatisme a pour origine les gaz piégés dans les magmas. Ces derniers apparaissent essentiellement dans le manteau, parfois à la base de la croûte terrestre. Les gaz ne sont pas très solubles dans les magmas et ils ne restent dissous qu'à très haute pression. Plus un magma remonte, plus la pression statique baisse (l'épaisseur de roches diminue), plus les gaz ont tendance à former des bulles ce qui expanse le magma (penser à la mousse à raser). Or coincé dans les fissures le magma ne peut pas s'expanser facilement mais il "pousse" sur les parois: la pression augmente. Quand elle est forte les roches cèdent, les fissures s'agrandissent: un essaim de secousses se produit.

      La réponse à votre question maintenant: cette surpression temporaire, dûe à l'arrivée de magma chargé de gaz, s'évacue de diverses manières, par exemple:

      - +il y a des fractures qui s'ouvrent, + il y a de place pour répartir le magma ce qui fait tomber la pression. C'est à ces occasions que se mettent en place par exemple de nouvelles poches (chambres) de magma dans la croûte qui, par la suite, vont se refroidir et cristalliser.

      - une partie des fluides (gaz et autres liquides, sans la roche fondue) s'échappent seuls par les fractures et remontent vers la surface, ce qui fait tomber la pression. Les volcanologues islandais surveillent par exemple la composition des cours d'eau qui descendent du glacier Vatnajökull car toute modification (composition chimique, conductibilité électrique etc) pourrait provenir de l'arrivée de ces fluides en surface.

      - une éruption se déclenche (éjection des fluides avec la roche fondue), ce qui fait tomber la pression.

      Plus la source dans le manteau délivre un gros volume de magma, plus il y a de chances qu'une fraction de ce volume parvienne à faire éruption.

      Dans la situation actuelle du Bardarbunga il faut bien voir qu'une bonne partie des secousses se produisent dans la moitié supérieure de la croûte, entre 0 et 20 km de profondeur (avec même une majorité de secousses entre 0 et 10 km), et non sous la croûte: le magma est déjà à proximité de la surface et la seule question c'est : "les conditions sont-elle réunies pour qu'il parvienne à sortir?" (question à laquelle personne ne peut donner de réponse par anticipation). Mais quoi qu'il en soit, d'une manière ou d'une autre, la surpression que le magma a apporté va s'évacuer: elle ne reste pas là "ad vitam aeternam" :-)

      Supprimer
  2. Merci pour vos explications très complètes !!!
    C'est un plaisir de partager sur cette passion ;-)

    RépondreSupprimer