28 août 2014

Volcan Bardarbunga (Bárðarbunga): quelques nouveautés se sont faites jour (mis à jour 19h25)

Depuis mon post mis en ligne avant-hier la situation a peu évolué mais quelques points méritent qu'on s'y arrête un peu. Mais avant tout chose: à cette heure rien ne confirme qu'une éruption a débuté.

Tout d'abord, la situation du dyke lui-même. Il progresse un peu, mais bien plus lentement depuis le 25 août, d'environ 1km par jour actuellement. La zone "sismogène" du dyke (celle où se produisent
les secousses) est à son front, là où la croûte est fracturée et le magma injecté de force dans les fractures.
L'arrière du dyke ne produit plus de secousses: à cet endroit il est plein et n'exerce plus de contraintes sur la croûte (l'effort est porté au front), raison de son "silence sismique" (la zone est dite "asismique").

Sismicité du volcan Bardarbunga (Bárðarbunga), 27 août 2014
Le tireté blanc montre l'emplacement du dyke dans son  ensemble, long de 40 km, depuis le début de la crise.

Sa taille reste impressionnante: les secousses continuent de se répartir entre 1 et 15 km de profondeur avec, d'après les rapports de l'IMO, une majorité des secousses entre 5 et 12 km de profondeur. Sa longueur atteint les 40 km et l'estimation du volume de magma qui le remplit est de 350 millions de m3 (100 000 piscines olympiques), estimation basée sur la sismicité (qui donne les dimensions verticales) et les mesures GPS qui permettent d'estimer l'écartement horizontal dû à son intrusion.

La crise sismique n'a pas qu'un impact sous-terrain: une première photo d'un réseau de fractures mise en place en surface a été transmise aujourd'hui par l'Université d'Islande, suite à survol . Elle montre une faille normale, liée à une extension de la surface de la croûte terrestre. La zone affectée, appelée Holuhraun, prend naissance au front du glacier Dyngjujökull et est en fait un vaste champs de coulées mis en place en 1797, entouré par les rivières alimentées par la fonte du glacier.


Fracture dans la zone d'Holuhraun, due à la sismicité du volcan Bardarbunga, 27 août 2014
Zone de fracturation observée aujourd'hui  depuis un avion de reconnaissance, et explication sommaire à droite. Image: Tobias Dürig
Par contre cette fissuration ne semble être l'expression du dyke en surface, mais plutôt une ancienne fracture qui aurait simplement rebougé (le terme géologie est "rejoué") en raison de la mise en place du dyke. En forçant son passage à quelques kilomètres de profondeur, il provoque en effet une légère extension en surface (celle mesurée par les GPS). La même zone observée sur Google Earth, dont l'image remonte à 2010, montre une fissure similaire (courbe) au même endroit, mais moins marquée.

Fracture dans la zone d'Holuhraun,2010
La même zone que sur les photos précédentes vue sur Google Earth: une fracture courbe et quelques microfissures sont déjà visibles. L'image Google Earth date de 2010.
Pour faire simple : la faille photographiée et le dyke en profondeur ne sont peut-être pas connectés physiquement. Cela ne veut pas dire que la connexion est impossible dans l'avenir.

L'autre surprise de ce survol est l'observation, pour la première fois depuis le début de cette incroyable crise, d'une succession d'au moins 4 trous, appelées "chaudrons" dans la calotte glaciaire qui recouvre le Bardarbunga. Le problème est qu'ils se localisent sur le versant sud-est de l'édifice, proche de la caldera: ce n'est donc pas du tout du côté de la sismicité actuelle, mais plutôt non loin d'une zone qui a été affectée le 16 août, au départ de la migration du dyke. Ils mesurent chacun 10 à 15 m de profondeur aligné sur une distance de 6 km, mais je n'ai rien trouvé quand à leur diamètre...

Localisation des chaudrons près du volcan bardarbunga, 27 août 2014
Localisation des zones de trous, appelés "chaudrons", apparus à la surface de la calotte glaciaire du Vatnajökull. Image: Morgunbladid
Leur formation semble correspondre à la fonte de 30 à 40 millions de m3 de glace d'après l'Université d'Islande et les plus éloignés de la caldera se trouvent non loin d'une zone nommée Gjàlp, qui fut le siège d'une activité éruptive en 1996, attribuée au Grimsvötn, volcan sous-glaciaire voisin du Bardarunga.



L'origine des chaudrons est incertaine mais leur annonce a rapidement été suivie de l'expression "possible éruption" sur les réseaux sociaux. Or actuellement, il n'y pas de traces concrète d'activité éruptive, c'est-à-dire liées à l'émission de lave à la surface de la Terre, fait rappelé par les spécialistes sur place. Tout ce que l'on peut observer de concret (fracturations, chaudrons) peut avoir une explication autre qu'une activité éruptive mais, par exemple, il manque une sismicité caractéristique des éruptions (trémor harmonique) et le dyke semble rester en profondeur.
Par ailleurs une activité éruptive qui débute libère le magma et donc les tensions qu'il exerce sur les roche: les crises sismiques ont tendance à disparaitre après le départ d'une éruption. Or là, ce n'est vraiment pas le cas.
Enfin: pour le moment il n'y a pas de signe d'une hausse du débit des rivières qui partent du glacier, et il n'y a pas d'informations qui concernent des modifications de la compositions chimique. Cependant il faut un temps à l'eau de fonte pour parcourir la distance qui sépare la zone des chaudrons du bord du glacier. On peut donc pas exclure que cette eau soit en train de percoler, mais ne soit pas encore arrivée au front du glacier. On verra dans quelques jours....

Pour en revenir aux chaudrons, une activité hydrothermale, ou le flux de chaleur issu de la présence dyke depuis une semaine pourrait avoir favorisé la font de la base du glacier, et donc la formation de ces chaudrons en surface, par affaissement du glacier. Par contre il sont apparus à un endroit où il y a 600m d'épaisseur de glace ce qui semble indiquer que le flux de chaleur responsable de leur apparition est assez intense et/ou est là depuis déjà "longtemps" (plusieurs jours).

Le volcanologue Hugh Tuffen rappelle que des éruptions sur plusieurs volcans islandais ont gardé le statut d'"incertaine" au Global Volcanism Program alors même qu'il y a eu des crises sismiques, des Jokulhaup et des chaudrons et il donne l'exemple concret du Katla en 1999.


Dans cette nouvelle période de flottement, ou des éléments nouveaux apparaissent et doivent être étudiés avant de tirer toute conclusion, le niveau d'alerte est maintenu à l'orange. Il faut tout de même noter que dans un rapide point mis en ligne par l'IMO, la possibilité qu'une éruption mineure soit à l'origine de la fonte du glacier n'est pas totalement exclue....
En clair: il n'y a pas assez de données pour savoir exactement ce qui se déroule sous le glacier. Un nouveau survol est de toutes manières prévu ce matin pour voir comment évoluent ces différentes structures repérées hier.

Concernant la position du dyke, maintenant à l'aplomb de la plaine dite "Holuhraun", une hypothèse se fait jour d'une possible interaction avec le système de fissures de l'Askja qui se trouve juste au nord-est de celui du Bardabunga.
L'Askja, comme de nombreux volcans Isldandais dont le Bardarbunga, est constitué d'un "volcan central", où se déroule la majeure partie des éruptions, et d'un immense réseau de fractures qui, à partir du volcan central, s'enfonce au sud sous le glacier Vatnajökull et s'étire jusqu'à une centaine de kilomètres au nord.
En fait, concrètement, la sismicité actuelle se trouve déjà au niveau du réseau de fractures de l'Askja, même si le dyke est parti du Bardarbunga et est alimenté par son magma. En fait, on peut considérer que le magma du Bardarbunga se déplace maintenant dans le système volcanique de l'Askja, tels qu'ils ont été définis par les volcanologues islandais. Une petite image pour montrer tout ça.

Les systèmes volcaniques des volcans Bardarbunga et Askja, etle dyke
Localisation des systèmes volcaniques de l'Askja et du Bardarbunga, et la position du dyke actuel.

Le sytème volcanique de l'Askja a d'ailleur déjà réagit à cette instrusion en produisant des secousses sismiques dont au moins une d'une magnitude supérieur à 4 hier, juste à l'est du lac qui occupe sa caldera.

En fait les réseaux de fractures, produit de la tectonique des plaque qui étire la croûte terrestre, s'interconnectent en partie, même si les "volcans centraux" ont leur propre système d'alimentation.
Il n’empêche qu'il n'est pas exclu que le dyke du Bardarbunga, pénétrant dans le système volcanique de l'Askja, puisse y rencontrer des poches de magma déjà présentes et les perturber. Ce scénario, possible et d'une probabilité faible à modérée, peut déclencher une éruption aux caractéristiques impossibles à prévoir car tout dépendra des caractéristiques du magma rencontré.
Un basalte qui rencontre un basalte fait une éruption relativement tranquille avec fontaines de lave, coulée etc.
Mais avec une rhyolite, magma extrêmement visqueux dont on sait qu'il existe sous l'Ajska, puisqu'une éruption en a libéré en 1875 (éruption de VEI 5, donc très violente), l'activité éruptive peut être au contraire puissamment explosive et générer de grandes quantité de cendres.
Entre ces deux extrêmes il existe plusieurs possibilité intermédiaires, dont celle tout simple qui est que le magma du Bardarbunga ne rencontre aucune autre magma sur son passage.

Bon: à priori la rhyolite serait plutôt stockée à l'aplomb du volcan central de l'Askja, sous le lac qui remplit une partie de sa caldera: le risque d'un croisement entre le basalte du Bardarbunga et cette potentielle rhyolite est peu probable car il faudrait, de toute façons, que le dyke parcours encore entre 15 et 20 km sans changer de direction.

Erik Klemetti a revisité les 5 scénarios possibles qui pourraient se produire si une interaction entre les magmas du Bardarbunga et de l'Askja parvenaient à se rencontrer d'une part, et à se mélanger d'autre part (deux magmas qui se rencontrent ne se mélangent pas forcément). Si vous êtes anglophiles et anglophones, je vous conseil vivement d'aller lire son post.

En tout cas on peut dire une chose: le volcanisme tel qu'il est vécu en temps réèl n'a pas grand chose à voir avec ce que l'on enseigne en classe. Et la réalité de ce phénomène est encore bien plus palpitante et mystérieuse que le schéma bien organisé, necessaire bien qu'imparfait, qui est proposé aux élèves pour poser les fondations de la connaissance actuelle à son sujet.

Mise à jour 19h25

L'IMO a confirmé dans ses rapports mis en ligne en cours de journée ce que j'ai expliqué plus haut: le dyke est maintenant dans le système de fissures de l'Askja. Ils ont donc décidé, en tout logique, d'élever le niveau d'alerte aviation au jaune pour ce second volcan: une situation à mon sens inédite!
Quel suspens!  En fait une légère sismicité est enregistrée au niveau de ce volcan depuis que le dyke s'en est approché. Les contraintes qu'il exerce sur le réseau de fissures de l'Askja sont à l'origine de mouvements sur ces mêmes fissures, qui eux-même produisent les séismes.

Niveau d'alerte des volcans Bardarbunga (Bárðarbunga) et Askja,28 août 2014
Deux volcans en alerte pour un seul dyke: une situation inédite. Image: IMO

Par ailleurs une vidéo a été faite au cours du survol qui s'est fait aujourd'hui (avec le président Islandais à bord). On y voit un réseau de fissures dans la plaine de Holuhraun devenu bien plus dense que ce qui a été pris en photo hier: l'extension de la surface terrestre se poursuit avec la progression du dyke. Par contre aucun changement n'a été constaté au niveau des chaudrons, dont l'eau de fonte qui en est à l'origine semble s'être, au moins partiellement, déversée dans le lac du Grimsvötn: son niveau s'est en effet élevé de 5 à 10 m. L'IMO précise que cela correspond à un volume d'eau ajouté estimé à entre 10 et 30 millions de m3, une valeur comparable à celle déduite de la taille des chaudrons.

Sources: I.M.O; Protection Civile Islandaise, Compte twitter de Hugh Tuffen; Morgunbladid; Erik Klemetti (blog Eruption).

13 commentaires:

  1. Votre blog est une mine, bravo pour ce travail de grande qualité journalistique !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je vous remercie de ce compliment qui me revigore après une journée de travail un peu rude ! :-)

      Supprimer
  2. J'imagine que tu as pris connaissance de ça ? http://www.nature.com/nature/journal/v267/n5609/abs/267315a0.html

    Kaptain K

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Salut Kapitain! Bien sûr: j'avais vu le lien que tu as mis sur le géoforum :-) C'est un article que j'aimerais lire en entier (pour peu que je trouve un peu de temps) mais j'ai eu l'occasion de lire une thèse de 2008 sur l'Askja dans laquelle il est indiqué que d'autres hypothèses ont été émises quand à l'éruption plinienne de 1875, objet de l'article de Nature. Le contact entre deux types de magmas n'est pas remis en cause, mais le mécanisme invoqué est différent (injection de basalte dans une poche de rhyolite pour l'article de Nature, un mécanisme plus passif, résultat de la subsidence de la caldera avant l'éruption plinienne dans l'article de 2002)

      Supprimer
  3. Merci pour cette compilation de toutes les infos et les explications associées. Ton site est un vrai trésor pour les amateurs à la petite semaine tel que moi.
    Je comprends enfin un peu mieux ce qui se passe sous cette terre d'Islande que j'arpente en surface depuis quelques temps déjà.
    Tous les noms cités me parlent tant, ces lieux où j'ai sué sang et eau par moment et pu laissé le bout de mes doigts gelés dans le refuge de Kistufell sous la tempête ou à l'assaut des sommets de Kverkfjöll.
    Alors quand je commence à entendre parler de l'Askja, le plus beau, le plus grand et le plus monstrueux des volcans d'Islande, mes poils se dressent d'émotion... et de peur rétrospective lors de ma timide navigation vers les rives sud du lac öskjuvatn au souvenir du sentiment d'être surveillé par la bête tapie au fond des eaux.
    http://www.wat.tv/video/bateau-sur-oskjuvatn-31mud_2i3xv_.html

    Il semble qu'elle se réveille, qu'elle se rapproche...

    Merci encore une fois pour la qualité de ces articles synthétiques.

    David

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suis content que quelqu'un qui connait mieux que moi ces endroits (j'espère me rattraper un jour, l'Islande est un endroit juste époustouflant...) trouve son compte dans ce que je retranscris. Merci pour le compliment :-)

      Supprimer
  4. Bonjour,
    Merci pour toutes ces infos très riches.
    Pour moi qui suis l actu des volcans du monde : ça permet de mieux comprendre ma région préférée : l'Auvergne !!!

    RépondreSupprimer
  5. bonjour

    Merci des ses rapports si précis... je reste admiratif de vos analyses.Bravo encore.

    RépondreSupprimer
  6. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  7. ça a commencé...
    "Warning A fissure eruption has started north of Dynjujökull." sur Iceland Met Office
    La lave est visible sur les webcam... que je regarde depuis 3h00 mais ça semble déjà se calmer à l'heure où j'écris ce post !!
    http://www.livefromiceland.is/webcams/bardarbunga-2/

    RépondreSupprimer
  8. Bonjour,

    Tout d'abord, je me permets d'écrire sur cette page car je n'ai pas trouvé le moyen de publier ailleurs ; milles excuses si ce n'est pas ce qu'il fallait faire
    En fait je voulais parler du Katla pour lequel j'ai vu hier dans qu'il serait sur le point d'entrer en eruption (voir le lien http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/2844038/2016/08/30/Le-volcan-le-plus-redoute-d-Islande-sur-le-point-d-entrer-en-eruption.dhtml)
    Qu'en pensez-vous et avez-vous plus d'infos ?
    Merci d'avance

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Mr Chambre. Je vous remercie d'avoir fait l'effort de trouver un post le plus en lien possible avec votre question, quitte a laisser votre commentaire sur un sujet en date de 2014. J'apprécie l'effort et l'intention :)

      Ce que je peux en dire, c'est que ce journal ne fait pas tout à fait son travail d'information, et emploie sans nécessité des superlatifs qui n'ont rien à faire dans cette actualité.
      Un essaim de secousses, certaines très fortes (les plus fortes depuis 1977 d'après les spécialistes Islandais avec des magnitudes supérieures à 4) ont en effet été détectées ces derniers jours mais les essaims ne sont pas rares sur cet édifice (le précédent datait de fin juillet).
      Voilà ce qu'on peut lire dans la presse Islandaise ":Earthquakes of this magnitude which have occurred in Katla so far have not been led to volcanic eruptions. These are movements in the earth’s crust and are certainly connected to the volcano but not directly to movements of magma.” Je ne sais pas si vous lisez l'Anglais mais en tout cas ces secousses sont tectoniques, non liées à des mouvements de magma. Pour les spécialistes Islandais, cette activité n'est pas considérée comme précurseurs d'une éruption, même si la surveillance reste forte sur plusieurs édifices de l'île, Katla comme d'autres (des secousses fortes ont été relevées au Bardarbunga hier aussi, sans pour autant faire des sujets dans la presse Française.).

      Et puis rappeler à tout bout de champs l'éruption de l'Eyjafjöll et tous les problèmes attenants, en omettant que c'est la conjonctions de plusieurs phénomènes qui était la cause des problèmes d'aviation en 2010 et non pas l'éruption seule (moins intense que l'éruption du Grimsvötn en 2004 dont personne ne se souvient en Europe continentale) n'est pas une bonne idée pour visualiser avec sérieux la situation...et donc informer au mieux.

      Voilà mon avis :)
      Bonne journée à vous en tout cas

      Supprimer
    2. Merci beaucoup pour votre réponse rapide et extrêmement riche et précise (comme d'habitude).
      Quant à votre avis sur la presse, je le partage car bien des évènements (volcaniques, sismiques ou autres) ne sont publiés que lorsqu'ils sont "sensationnels" et quelquefois avec une réalité quelque peu arrangée.
      Encore une fois, merci à vous de faire vivre ce blog

      Supprimer