21 février 2014

Volcans presque actifs: le Ciomadul (Csomád)

Pourquoi en Sciences classe-t-on les choses dans des cases?  Parce que c'est le seul moyen de les étudier et donc, d'essayer de les comprendre. Ces cases sont souvent arbitraires mais elles ne sont jamais immuables et elles évoluent avec l'expérience, la connaissance, la compréhension.
Pour les volcans il y a une case qui vise à classer les volcans comme actifs ou non. Elle s’appelle la période Holocène, ère géologique qui débute il y a 10 000 ans environ. Tous les volcans qui ont au moins fait une éruption durant cette période sont dits "actifs", les autres sont "inactifs". Ces volcans holocènes sont
actuellement référencés dans le Global Volcanism Program (GVP).
Mais que penser des édifices ou des zones volcaniques qui ont connu une activité éruptive il y a à peine plus de 10 000 ans?
15 000, 20000, 25000 ans...ce n'est pas grande chose eu égard du temps qu'il faut pour que certains  processus géologiques se mettent en place, ou que leurs conséquences deviennent visibles. Et nombre d'édifices ou de zones volcaniques ont, par le passé, connu d'importantes phases de repos longues de plusieurs dizaines de milliers d'années. 

Il existe donc un peu partout dans le monde des zones volcaniques qui sont, de peu, hors des clous de la case "volcan actif". Et d'ailleurs la liste du Global Volcanism Program* (GVP) évolue au fur et à mesure que les études, ou les événements, permettent soit d'inclure, soit d'exclure des édifices de la case "volcan actif". Ainsi il y en avait plus de 1600 il y a 10 ans, il ne sont plus aujourd'hui que 1530 environ.
Certaines de ces zones non actives montrent même des morphologies volcaniques très bien préservées, signes de leur relative jeunesse.
Je vous propose donc de découvrir ces outsiders, en tout cas pour ceux qui ont fait l'objet d'études et je commence aujourd'hui par l'est de la Roumanie, à la découverte d'un complexe volcanique que vous ne trouverez pas au GVP: le Ciomadul.

Localisation du Ciomadul et topographie de l'édifice déduite des données ASTER (ASTER GDEM est un produit du METI et de la NASA)

1- Présentation générale

Le Ciomadul se trouve dans le centre-est de la Roumanie, à environ 185 km au nord de la capitale,
Bucarest. Il s'est édifié à l’extrémité sud-est d'une chaîne de montagnes bien connue pour ses légendes inquiétantes: les Carpathes. Cette partie de l'Europe centrale, qui recouvre la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie, une partie de la Serbie et de l'Ukraine, a connu ces 10 derniers millions d'années un volcanisme actif assez intense dont les restes forment aujourd'hui un arc de cercle (en géologie on parle de "ceinture") le long du rebord ouest des Carpathes.
Les datations de ce volcanisme indiquent que les centres éruptifs les plus anciens se trouvent à l’extrémité nord de cette ceinture (Slovaquie, Hongrie) et que plus on va vers le sud plus l'âge est jeune.
L'origine de ce volcanisme, c'est-à-dire le(s) processus tectonique(s) à l'origine de la fusion du manteau (qui est solide et non pas à l'état de magma liquide) n'est pas totalement élucidé. Mais le reste d'une zone de subduction** semble l'hypothèse la plus admise actuellement.

Localisation de la ceinture volcanique (en rouge) des Carpathes, et position du Ciomadul à l'extrêmité sud-est. Image: S.Harangi et al (2010), modifié.
2- le complexe volcanique

Le Ciomadul se situe à l’extrémité sud-est de la ceinture volcanique décrite ci-dessus et constitue donc la manifestation volcanique la plus récente des Carpathes.

La plupart des articles que l'on trouve indiquent qu'il aurait commencé son édification il y a 750 000 à 650 000 ans (époque de l'Homo Erectus , un peu avant les premières traces d'utilisation du feu). Mais un article publié en 2012 conclut, sur la base de l’analyse de la morphologie de plusieurs des dômes, que l'ensemble de l'activité a pu se dérouler en réalité dans les 250 000 dernières années (apparition des premiers Homo Sapiens). Cette nouvelle datation est par ailleurs compatible avec des mesures de datation absolue*** basées sur la dégradation naturelle de l'Uranium en Plomb. D'autres datations absolues réalisées il y a quelques années sur du charbon de bois (méthode du carbone 14 cette fois) ont permis de déterminer les âges approximatifs d'au moins 2 éruptions assez violentes, il y a 41 300 et 29500 ans environ. Ces âges sont plus anciens que certaines datations trouvées dans les années 1990, qui plaçaient l'éruption la plus jeune il y a 10 500 ans.

Le complexe volcanique du Ciomadul, vu à 5 km de distance depuis le nord, sur la route de Tusnad. Image: Szabolcs Harangi

Le volcan lui-même se compose d'une quinzaine de dômes de lave. La partie centrale de cet ensemble est ouverte par deux cratères, le Mohos et le Szent Ana, résultats de trois explosions pliniennes.
De ce duo le Szent Ana est le plus récent: il a encore des pentes bien marquées et son fond, environ 300m sous les crêtes du cratère, est occupé par un lac, à contrario de son prédécesseur et voisin, le Mohos. L'étude de volumineux dépôts d'écoulements pyroclastiques (jusqu'à 10m) à proximité du Ciomadul, dans les communes de Tusnad (nord-ouest) et Bixad (sud), indique que le Szen Ana a été ouvert par deux éruptions différentes, chacune d'une grand violence. Grâce aux fragments de bois carbonisés que les volcanologues ont collecté dans les dépôts, leurs âges ont pu être déterminés: 41 300 ans pour le dépôts de Tusnad, et 29500 ans pour le dépôts de Bixad.


Or, ces mêmes études ont aussi permis, via l'analyse de certains minéraux, de contraindre la profondeur où s'est stocké le magma avant chacune des deux éruptions. La plus ancienne (dépôts de Tusnad), a visiblement été produite par une chambre située à environ 5km de profondeur tandis que la plus récente (dépôts de Bixad), aurait sa chambre à une profondeur comprise entre 5 et 12 km.

Il est aussi interessant de noter que des relevés sismiques récents ont permis de mettre en évidence une zone où les ondes sismiques secondaires (ondes S pour celles et ceux à qui il reste quelques notions :-) ) sont fortement atténuées (jusqu'à une perte de vitesse de 10%), sur une cinquantaine de kilomètres de profondeur sous le Ciomadul, c'est-à-dire sur tout l'épaisseur de la croûte à cet endroit.  Il s'agit là d'un signe caractéristique d'un milieu moins rigide, bien qu'on ne puisse pas si facilement en déduire qu'il y a du magma. Toutefois, la zone est riche en sources minérales tièdes (23°C près de Tusnad), dégazages de CO2 (avec traces de H2S, un gaz fréquent dans les magmas), qui impliquent que la zone est fracturée et permet le dégazage d'une zone profonde, jusque dans le manteau.

Localisation, grâce aux ondes sismiques, des zones à faible vitesse (plus chaudes donc plus molles). Le triangle noir marque la position du Ciomadul. Image: Popa et al, 2011

Bref: il y a dans la zone du Ciomadul une vaste réseau de failles très importantes, qui descendent jusqu'au manteau, et étaient déjà visiblement très actives au moment de ses dernières éruptions. La présence de ces failles permet l'alimentation en surface de tout un réseau de sources et de dégazage. Le gradient géothermique dans la croûte est élevé et l'âge des dernières manifestions éruptives n'est pas si ancien.
Si on ne sait pas encore s'il y a du magma sous le Ciomadul (et peut-être n'y en a-t-il pas), en tout cas la zone semble propice à sa présence ou à sa production, même en petit volume.

3- Conclusion

Le complexe de dômes volcaniques du Ciomadul présente des âges qui ne sont pas compatibles avec ce qui a été définit en 1984 comme un volcan actif, à savoir qu'aucune trace d'éruption d'âge Holocène n'y a été trouvée. De plus, si l'on regarde, à une échelle plus large, l'évolution du volcanisme depuis 20 millions d'année tout au long de la ceinture des Carpathes, on se rend compte que la fréquence des éruptions a progressivement diminué au fur et à mesure de son déplacement vers le sud-est. De fait on peut supposer que l'activité sur le Ciomadul a peu de chance de faire sa réapparition. Cependant tout indique que l'activité éruptive est encore assez jeune (géologiquement parlant), du fait des dates trouvées mais aussi des formes encore très bien préservées. Le défi scientifique consiste donc à évaluer la possibilité de voir une nouvelle éruption se manifester sur cette zone volcanique. Pour cela les volcanologues doivent déterminer avec le plus de précision possible l'histoire éruptive de ce complexe.

Or les premiers éléments récoltés indiquent qu'il a connu, dans son évolution, d'importantes phases de repos.
Les datations réalisées sur l'ensemble du complexe volcanique (dômes + cratères et dépôts) permettent en effet de diviser son histoire géologique en deux grandes périodes:
- de 250 000 à 100 000 ans se mettent en place les dômes (activité extrusive majoritaire)
- une phase violemment explosive qui a ouvert les deux cratères précités. Il faut noter ici que l'écart de temps qui sépare les deux dernières éruptions, toutes deux sur le Szent Ana, est déjà d'environ 10 000 ans !
Le cratère voisin du Mohos a été ouvert par un événement à ce jour non daté mais forcément plus ancien que le Szent Ana puisque ce dernier le recoupe. Son fond plat par ailleurs, suggère qu'il a été en partie comblé par les retombées produites par les éruptions du Szent Ana.


Tous ces éléments: histoire géologique marquée par de grandes phases de repos, dernières éruptions pas si anciennes, évidences géophysiques d'une "zone moins dense" dans la croûte sous l'édifice, présence de sources dont la composition atteste de l'origine en partie profonde et degré géothermique élevé indiquent que l'activité géologique dans la zone où se trouve l'édifice est loin d'être inerte.
Pour autant cela n'implique pas que les conditions soient réunies pour que du magma soit produit (et encore moins qu'il ait la capacité de remonter vers la surface).

Cela n'implique pas non plus qu'il ne faille pas y prêter attention et, à la vue du nombre de publications qui sont sorties sur ce volcan ces 5 dernières années, il semble que des volcanologues s'y interessent de près.

Sources:

A.P. Vinkler et al, 2005 :"Geochemistry of the 20-30 ka dacitic volcanic products from the Ciomadul volcano, Carpathian-Pannonian Region – petrogenetic implications"

M. Popa, et al, 2011: "New Seismic and Tomography Data in the Southern Part of the Harghita Mountains (Romania, Southeastern Carpathians): Connection with Recent Volcanic Activity"

Sz Harangi et al, 2010: "Radiocarbon Dating of the Last Volcanic Eruptions of Ciomadul, Southeast Carpathians, Eastern-Central Europe"

Horia Mitrofan, 2000: "Tusnad-Bai: a Geothermal System Associated with the most recent Volcanic Eruption in Romania"

D. Karátson et al, 2012 :"Lava dome morphometry and geochronology of the youngest eruptive activity in Eastern Central Europe: Ciomadul (Csomád), East Carpathians, Romania"



*: le GVP est la base de données de référence des volcans actifs

**: subduction: une plaque tectonique plonge sous une autre
***: on parle de datation absolue pour les méthodes qui permettent d'estimer directement l'écart de temps qui sépare le moment de la formation de l'échantillon étudié du moment où il est étudié. Ces méthodes sont diverses mais souvent basées sur la radioactivité qui n'est affectée ni par les changements de pression, ni par les changement de température à partir du moment où la zone où sont prélevés les éléments radioactifs sont reconnus avoir été hermétiques pour que les éléments en question ne s'échappent pas (ce qui fausse le résultat). A l'inverse une datation relative n'estime pas un écart de temps mais sert plutôt à recaler dans le temps un événement par rapport à un autre, sans à priori sur l'âge des deux événements concernés.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire