16 décembre 2014

Le volcan Tokachidake passe en alerte 2

Le Japon est au centre de toutes les attentions depuis le mois de septembre et la catastrophe de l'Ontake.
Il faut dire qu'il y a de quoi: l'archipel compte depuis aujourd'hui pas moins de 14 édifices en état d'alerte, dont deux en éruption permanente depuis plus d'un an (Aira-Sakurajiama, et Nishino-Shima) et au moins 1 (Suwanose-Jima) en activité plus discontinue. Cela représente entre 9 et 10% des volcans de
l'archipel*.

Les volcans japonais en alerte, décembre 2014
Les volcans en alerte au Japon, en décembre 2014. Image: JMA


Rapide rappel de l'histoire volcanologique du Tokachidke

Ce volcan se trouve pile au centre de l'île d'Hokkaïdo, au nord du Japon. C'est un stratovolcan qui, une fois encore, est loin de correspondre aux canons de l'imaginaire collectif tels qu'on nous les a
transmis. A contrario de la forme cônique parfaite, qui en fait n'est l'apanage que d'un nombre très restreint d'édifices (Shishaldin, Mayon, Fuji, Taranaki pour n'en citer que quelques uns), il se présente plutôt sous la forme d'un groupe d'édifices bien alignés du sud-ouest au nord-est.

Son histoire géologique a été reconstituée dans les grande lignes grâce à une série de datations et d'analyses de ses dépôts. Les volcanologues Japonais ont ainsi pu la diviser en 3 étapes principales, bien que l'activité volcanique dans la zone où il se trouve remonte à bien plus loin: une partie du volcan s'est en effet édifiée sur des dépôts d'ignimbrites, roche formée lors d'éruption explosives puissantes.


Le volcan Tokachidake et les principales agglomérations
La forme allongée du Tokachidake, et les principales zones habitées qui l'on croisera dans le texte ci-dessous. Image: Google Earth

La période la plus ancienne, simplement nommée "période ancienne", est comprise entre 1 million et 500 000 ans. Elle est est surtout marquée (pour ce qu'il en reste du moins, l'érosion faisant son oeuvre) par la présence de coulées de lave visqueuse (andésite). Apparait à cette époque la partie sud du massif.

La seconde période s'étend entre 300 000 et 70 000 ans, après donc un hiatus de 200 000 ans, rien de moins. Les laves de cette période sont plus diversifiées: certaines sont assez pauvres en silice, ("plus basiques" dans le jargon), d'autres au contraire plus riches ("plus acides"). Les éruptions qui libèrent ces laves construisent au moins 11 stratovolcans différents (5 de composition plutôt basique, 6 plutôt acide), mais de petite taille. On trouve même, à un seul endroit, de la dacite, lave  hypervisqueuse qui pourrait dériver des andésites. C'est au cours de cette période qu'une dôme de lave apparait: il constitue l'actuel point culminant de tout le massif.

La troisième et dernière période commence il y a 60 000 ans. L'une de ses caractéristiques est la concentration de l'activité éruptive dans la partie centrale de la zone volcanique, alors que l'activité pendant la seconde période était plus étendue. L'actuel cône actif et ses différents cratères prennent ainsi progressivement forme. L'analyse des dépôts de cette période a permis de mettre en évidence toute une panoplie de phénomènes volcaniques: aussi bien des coulées de lave que des dépôts d'activité strombolienne, ou des phénomènes plus violents: écoulement pyroclastiques, avalanches de débris. Elle a aussi permis de constater que l'activité s'est vraisemblablement arrêtée pendant des phases longues de plusieurs centaines d'années.
La zone active actuelle est nommée "Ground Crater". Son apparition s'est faite en 2 fois il y à environ 4700 ans et 3300 ans lors de deux éruptions violentes qui ont provoqué, à chaque fois, un effondrement de la zone. Des dépôts épais de 10m ont été observés à proximité de la station Shirogane, au pied du volcan, côté ouest. 
Depuis environ 500 ans, c'est sur le bord ouest du Ground Crater que l'activité s'est concentrée plus spécifiquement. Deux cratères actifs s'y sont formés: le "Central Crater" et le cratère "62-2" (poétique non?)

L'ensemble de cette histoire a été transcrite de manière graphique sous la forme d'une carte volcanologique, un type de document qui me fascine toujours, du fait de la quantité impressionnante d'informations qui peuvent y être indiqués. Et en 3D je trouve tout simplement ça magnifique.


Carte volcanologique du volcan Tokachidake
La carte volcanologique du volcan Tokashidake, en relief et vue depuis le sud-ouest. Image: AIST

L'histoire éruptive récente de ce volcan fait état d'assez nombreuses éruptions, ce qui lui vaut d'être décrit comme l'un des volcans les plus actifs du Japon. A la lecture de cette histoire, plusieurs phénomènes reviennent assez fréquemment:
- écoulements pyroclastiques et chutes de cendres, qui signalent une tendance a produire des activités explosives
- lahars (coulées de boue) qui s'expliquent par le fait qu'à Hokkaïdo l'enneigement est important et généralement long, ce qui fournit l'eau nécessaire à la production de la boue.
- activité phréatique, qui semble être un type d'activité assez fréquent sur le volcan
- de manière moins fréquente on croise les termes "coulées de lave" et "avalanches de débris"

L'importance des éruptions explosive varie généralement de modérée à forte (VEI 2 à 3) mais, au cours du 20ème siècle, ce sont des éruptions plus modestes qui ont dominé, avec un VEI rarement supérieur à 1.

Quelques éruptions historiques ont marqué les esprit: celle de 1926 notamment avec, au mois de mai, une effondrement partiel du cratère central qui produit une avalanche de débris à haute température. Celle-ci se change, en cours de route, en importante coulée de boue qui dévale à plus de 60 km/h les pentes du volcan, tue 144 personnes, et détruite en partie Shirogane (6 km), Kamifurano (17 k) et Biei (25 km). On doit à cette éruption la forme en fer à cheval ouvert vers l'ouest du Central Crater

Le cratère central du volcan Tokachidake
Le "Central Crater", sa forme en fer à cheval et ses dépôts, dus à une phase paroxysmale, en mai 1926. Images: Google Earth et AIST. Montage: Culture Volcan
Celle de 1962 se démarque aussi des autres éruptions du 20ème siècle, avec un VSI de 3. Une importante activité explosive, phréatomagmatique puis magmatique, avait généré un imposant panache de cendres haut de 12 km , et fait au moins 5 morts à cause des retombées de blocs. C'est lors de cette éruption qu'est "né" le cratère 62-2 (d'où le nom de "62", référence à l'année).


Panache de cendres du volcan Tokachidake, 1962
Le panache de cendres de l'éruption de 1962: impressionnant. Image: AIST


La dernière éruption importante connue s'est déroulée en 1988 (bien qu'une petite émission de cendres ait été rapportée en 2004, vraisemblablement phréatique). Vigoureuse mais d'une importance modérée (VEI2) elle a été décrite comme phréatomagmatique. La phase la plus intense a débuté, hasard du calendrier, le 16 décembre 1988 par une activité phréatique, qui recommence le 18 décembre, puis qui passe, le 24 décembre, à une activité éruptive phréatomagmatique. Le soir du 25 décembre, en plus des fragments incandescents projetés au-dessus du cratère 62-2, des panaches noirs s'élèvent, zébrés d'éclairs. De courts écoulements pyroclastiques apparaissent et progressent sur la neige: une ambiance totalement surréaliste.

Activité phréatomagmatique du volcan Tokachidake, 25 décembre 1988
Séquence d'images montrant un écoulement pyroclastique, le 25 décembre 1988 et les projections incandescentes. Une fois les cendres déposées on voit la neige produire une important panache de "vapeur". Images: AIST

Pour en revenir à la situation actuelle, elle n'a pas commencé brusquement aujourd'hui par une élévation du niveau d'alerte.
En réalité, de longue date les volcanologues ont perçu une hausse progressive de "l'instabilité" du système volcanique du Tokachidake. Suivant un adage Japonais qui dit qu'"En cherchant le vieux, on apprend du neuf.", les volcanologues avaient, grâce à l'analyse comparative des éruptions passées, pu constater qu'avant chacune des éruptions, dont j'ai fais un rapide rappelle ci-dessus, l'activité fumerolienne sur le volcan se modifiait. Or elle a connu une hausse progressive entre 1995 et 2000 et, après une période de décroissance, elle a commencé à nouveau de s'accentuer à partir de 2006. Parallèlement des déformations de la croûte terrestre ont été enregistrées à partir de 2007. En juillet 2012 le JMA édite un rapport dans lequel ils précisent que le niveau d'alerte passe à 1: en plus de la sismicité qui augmente, des lueurs incandescentes ont été observées. Elles sont le résultat d'émissions de gaz soufrés à haute température (dans l'histoire récente de ce volcan, il y a même eu des geysers de soufre qui ont été observés.... incroyable). Une progressive hausse des températures profondes, jusqu'à 200 m de sous la surface, qui avaient aussi été déduites de mesures systématiques du magnétisme autour du cratère 62-2 depuis 2008. Les géologues Japonais avaient alors constaté une lente démagnétisation des roches, phénomène courant lorsqu'on chauffe une matière magnétisée (faite chauffer un aimant assez fort et il n'aimante plus).

Le passage en alerte 2 s'accompagne de l'interdiction d'approcher à moins de 1 km du cratère 62-2, comme indiqué sur la carte ci-dessous. La crainte principale semble surtout être le démarrage d'une activité de faible importance (phréatique, phréatomagmatique).


Carte des restrictions d'accès au sommet du Tokachidake. Image: ville de Biei


Sources: Merci à Shérine France; AIST; JMA; Ville de Biei, GVP

*si l'on prend en compte les volcans des Kouriles qui sont considérés par le Global Volcanism Program comme Japonais mais administrés par la Russie, 8% si on ne les prend pas en compte.

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